Beijing +20 : la promesse d’égalité n’a pas été tenue

06/03/2015
Communiqué
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Paris, 6 mars 2015 - A quelques jours de l’ouverture à New York du processus d’évaluation des engagements pris à Beijing il y a 20 ans (Beijing+20), la FIDH publie un constat alarmant des graves menaces qui pèsent sur les droits des femmes dans le monde.

Réunis à Beijing en 1995, les gouvernements avaient mis en place une feuille de route pour éliminer les discriminations à l’égard des femmes dans la loi et dans la pratique. En 2015, force est de constater que la volonté politique nécessaire pour traduire ces engagements en actions a fait défaut. Non seulement les progrès ont été lents et parfois hésitants, mais dans certains pays les droits des femmes ont connus de sérieux reculs.

La FIDH appelle les États participant à la 59ème session de la Commission de la condition des femmes, qui débutera lundi 9 mars à New York, à reconnaître les graves dangers qui menacent actuellement la liberté et la vie des femmes et des filles, ainsi qu’à prendre les mesures nécessaires pour éliminer les lois et pratiques discriminatoires qui persistent et garantir la sécurité et la liberté des défenseur-e-s des droits des femmes.

NOTE DE POSITION


Paris, 6 mars 2015 – Lundi 9 mars, débutera le processus Beijing+20, consistant à évaluer les progrès accomplis en matière d’égalité entre les femmes et les hommes depuis l’adoption de la Déclaration et du programme d’action de Beijing il y a 20 ans. Malgré la feuille de route mise en place par les gouvernements en 1995 pour éliminer les discriminations à l’égard des femmes dans la loi et dans la pratique, en 2015, force est de constater que la volonté politique nécessaire pour traduire ces engagements en actions a fait défaut. En outre, la FIDH s’indigne des graves reculs qu’ont connus certains pays ces dernières années en matière de droits des femmes.

Lors de la 4ème Conférence mondiale sur les femmes, les gouvernements du monde entier ont affirmé que « [L]es droits des femmes sont des droits fondamentaux de la personne ». Ils ont constaté que « [si] la condition de la femme s’est améliorée dans certains domaines importants au cours de la dernière décennie, les progrès ont été inégaux, les inégalités entre hommes et femmes persistent et d’importants obstacles subsistent, ce qui a de graves conséquences pour le bien-être de l’humanité tout entière ». 20 ans plus tard, ce constat demeure inchangé.

À Beijing, les États s’étaient engagés à éliminer les lois discriminatoires dans un délai de 10 ans, soit avant 2005. En 2015, de telles lois persistent dans de nombreux pays, notamment dans les domaines du mariage, de la nationalité, de l’accès à la propriété et à l’héritage. Ainsi, en vertu des Codes de la famille en vigueur dans plusieurs États, tels que le Burkina Faso, l’Égypte, le Gabon, l’Indonésie, le Maroc ou le Sénégal, les hommes ont le droit d’épouser plusieurs femmes. Dans plusieurs pays comme au Mali, en 2011, et au Kenya en 2014, l’adoption de réformes législatives n’a pas permis d’éliminer ces discriminations. En Afghanistan, en Arabie saoudite, au Burundi, en Guinée Conakry, au Nicaragua, au Soudan et au Yémen, la loi impose aux femmes un devoir d’obéissance envers leur mari. De nombreuses législations contiennent des discriminations concernant l’âge légal du mariage, à l’instar des lois en vigueur au Cameroun ou en République démocratique du Congo (RDC). Dans plusieurs pays, comme au Bahreïn ou au Liban, la loi empêche les femmes de transmettre leur nationalité à leur conjoint étranger et à leurs enfants. Les législations concernant l’accès à la propriété et à l’héritage demeurent discriminatoires dans tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient où les femmes n’héritent que de la moitié de la part d’un homme, ainsi qu’au Chili. En Iran, le témoignage d’un homme devant la justice équivaut aux témoignages de deux femmes.

La Déclaration de Beijing engage les États signataires à « prévenir et éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles ». En 2015, le droit interne de nombreux pays demeure défaillant en matière de prévention et de répression des violences à l’égard des femmes. Plusieurs États, comme le Liban, l’Arménie, la RDC, la Côte d’ivoire, le Gabon, l’Égypte, Haïti et le Niger, n’ont toujours pas adopté de législation sanctionnant spécifiquement les violences conjugales, et les auteurs continuent ainsi de jouir d’une impunité quasi-absolue. Le viol conjugal n’est pas pénalisé en République centrafricaine (RCA), en RDC, en Égypte, en Haïti, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Liban, au Mali, au Maroc, ni au Sénégal. En Tunisie, la loi permet à un violeur d’éviter toute sanction en épousant sa victime mineure. En Égypte et en Syrie, la loi prévoit une peine diminuée pour les hommes qui tuent leur femme au nom de « l’honneur ». Dans plusieurs États, la quasi-totalité des femmes et des filles sont victimes de mutilations génitales féminines, sans que les mesures nécessaires soient mises en œuvre pour parvenir à leur élimination. En Somalie, elles sont 98 %, en Guinée 96 %, à Djibouti 93 %, en Égypte 91 % et au Mali 89 % à être victimes de ces pratiques.

Dans de nombreuses situations de conflit, les femmes et les filles sont prises pour cible. En RDC, au Darfour et dans le sud du Soudan, en Syrie, ainsi qu’en Somalie, les viols et d’autres crimes sexuels continuent d’être perpétrés à grande échelle. Les victimes n’ont quasiment jamais accès à la justice, ainsi leurs bourreaux bénéficient d’une totale impunité. Des groupes fondamentalistes, comme Daech en Irak et en Syrie, ou Boko Haram au Nigeria, prônent l’exclusion des femmes et des filles de la vie publique et commettent des viols, des enlèvements et mariages forcés, et pratiquent l’esclavage sexuel.

Selon la Déclaration de Beijing de 1995, « l’instauration de la paix [...] est indissociable de la promotion des femmes, car celles-ci sont un moteur essentiel des initiatives, du règlement des conflits et de la promotion d’une paix durable à tous les niveaux ». Ce constat a été affirmé par le Conseil de sécurité des Nations Unies lors de l’adoption de la résolution 1325 en 2000, et réaffirmé dans les résolutions suivantes sur « les femmes, la paix et la sécurité ». Cependant, en 2015 encore, les femmes éprouvent de grandes difficultés à être représentées dans les processus de transition politique et de paix.

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, si les changements provoqués par le « Printemps arabe » ont ouvert des possibilités pour la promotion de l’égalité, ils ont toutefois également engendré des risques de régression. En Égypte, la participation des femmes au processus de transition est menacée par les violences continuelles dont sont victimes celles qui tentent d’exercer leur droit à participer à la vie publique. En Syrie, le conflit en cours a un impact particulier sur les femmes et les jeunes filles, augmentant leur vulnérabilité et les actes de violence fondés sur le sexe.

Des risques de reculs flagrants ont eu lieu dans le domaine des droits reproductifs et sexuels. En 1995, les gouvernements ont souligné que « La reconnaissance et la réaffirmation expresses du droit de toutes les femmes à la maîtrise de tous les aspects de leur santé, en particulier leur fécondité, sont un élément essentiel du renforcement de leur pouvoir d’action ». Or, sur tous les continents, des législations répressives criminalisant le recours à l’avortement persistent, engendrant de graves violations des droits des femmes. En 2014, l’Espagne a échappé à une réforme visant à limiter de manière drastique l’accès à l’avortement, grâce notamment à une mobilisation massive des défenseur-e-s des droits des femmes. En Turquie, l’avortement est autorisé depuis 1983, pourtant, le président a clairement exprimé sa volonté d’y limiter l’accès. Au Nicaragua, au Salvador, au Chili et en République dominicaine, l’avortement est interdit sans exception. En Irlande, au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Bangladesh des lois extrêmement restrictives ne permettent de lever l’interdiction de l’avortement que lorsque la vie de la femme est en danger. En Pologne, l’avortement est interdit depuis 1997 sauf en cas de viol, d’inceste, de malformation du fœtus ou de danger pour la vie de la femme. Toutes ces législations comportent en outre des contraintes procédurales qui empêchent les femmes de recourir à l’avortement dans la pratique, même dans les cas prévus par la loi. Les femmes qui y ont recours de manière clandestine encourent des risques pour leur santé, parfois mortels et des peines de prison allant, dans certains pays, jusqu’à plusieurs dizaines d’années.

Ce ne sont pas simplement de « nouveaux défis » qui ont émergé dans la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes mais de véritables dangers qui menacent quotidiennement la liberté et la vie des femmes et des filles. Comme nous l’a démontré le récent rejet par le parlement européen du rapport « Zuber » appelant les Etats à garantir l’égalité femmes-hommes dans le contexte de la crise économique et du rapport « Estrela » sur les droits reproductifs, même au sein d’organisations multilatérales où ces valeurs semblaient acquises, des actes non contraignants de promotion des droits des femmes ne parviennent pas à être adoptés.

Les gouvernements doivent prendre des mesures urgentes pour éliminer les lois et pratiques discriminatoires encore en vigueur. Pour la plupart, il s’agit seulement de se conformer aux obligations internationales qu’ils ont déjà contractées.

Les défenseur-e-s des droits des femmes, qui mènent la lutte pour l’égalité, payent souvent un lourd tribut, comme en témoignent par exemple les menaces de mort pesant sur la défenseure mauritanienne Aminetou Mint El Moctar ou encore les récents assassinats des défenseures libyennes Salwa Bugaighis et Intissar Al Hasairi et de la défenseure congolaise Kasoki D’arcise. Il est primordial que les gouvernements s’engagent à garantir leur sécurité afin qu’elles puissent exercer leur action sans crainte de représailles.

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