Thaïlande : le recours abusif à la loi lèse-majesté entrave l’expression créative

Paris, Genève, 4 juin 2015. Le recours abusif par la Thaïlande à l’article 112 du Code pénal (lèse-majesté) a fortement restreint la liberté d’expression créative concernant la monarchie, et a entraîné l’emprisonnement de plusieurs artistes et écrivains, affirme la FIDH dans un nouveau rapport publié aujourd’hui.

Ce rapport, intitulé Dark Ages - Violations of cultural rights under Thailand’s lèse-majesté law, explique comment les entraves mises en place au titre de l’article 112 violent les obligations de la Thaïlande dans le cadre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), dont la Thaïlande est État partie. La FIDH publie ce rapport à l’occasion de l’examen par le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) du rapport périodique de la Thaïlande, les 4 et 5 juin à Genève.

« Les autorités ont systématiquement bloqué les sites internet, interdit les livres et supprimé tout acte et document, écrit ou oral, dont on considère qu’ils critiquent la famille royale. Ces mesures, ajoutées aux peines de prison sévères infligées aux condamnés pour crime de lèse-majesté, verrouillent effectivement tout débat sur la monarchie thaïe » , a déclaré le Président de la FIDH, Karim Lahidji.

L’article 112 du Code pénal thaï impose des peines de prison pour toute personne ayant diffamé, insulté ou menacé le Roi, la Reine, l’Héritier du Trône ou le Régent. Toute personne jugée coupable d’avoir enfreint l’article 112 encoure une peine de prison de trois à quinze ans, sous chaque chef d’accusation.

Le rapport documente la façon dont l’application trop zélée de l’article 112 aboutit pour la Thaïlande à un manquement à ses obligations de respecter et protéger le droit de tous de participer à la vie culturelle. Ce droit est garanti par l’article 15 du PIDESC.

L’emprisonnement des acteurs de théâtre Pornthip Munkong aka Golf et Patiwat Saraiyaem aka Bank pour avoir joué dans une pièce politique montre clairement le lien entre le recours abusif à l’article 112 et le manquement par la Thaïlande à son obligation de protéger le droit de participer à la vie culturelle. D’autres personnes ayant participé à la pièce ont fui le pays par peur d’être arrêtées au titre de l’article 112.

Au cours des dernières années, il y eut plusieurs poursuites pour lèse-majesté avec peines de prison, à la suite de publications concernant la monarchie thaïe. Sous le règne du Conseil National pour la Paix et l’Ordre (National Council for Peace and Order - NCPO), la junte militaire qui a saisi le pouvoir à la faveur du coup d’état du 22 mai 2014, le nombre de poursuites et de mises en détention au titre de l’article 112 s’est accru de façon spectaculaire. Depuis le coup d’état de 2014, sur les 16 affaires de lèse-majesté ayant abouti à des peines de prison, 13 comportaient des éléments liés à la liberté d’expression et au droit de participer à la vie culturelle. Dans de nombreux cas, les accusations de lèse-majesté étaient portées contre des personnes ayant partagé des opinions et des contenus concernant la monarchie sur Facebook. Ainsi, Siraphop Komarut, soupçonné de lèse-majesté, est détenu depuis juin 2014, et reste derrière les barreaux dans l’attente de son procès, pour avoir écrit un poème qui faisait allusion au Roi vénéré, Bhumibol Adulyadej.

De façon routinière, la Thaïlande interdit des livres et autres publications offrant une perspective critique sur le Roi Bhumibol et sur d’autres membres de la famille royale. Ces mesures créent une atmosphère de crainte qui donne lieu à une vaste autocensure.
En outre, les autorités ont mené sans relâche une vaste campagne de censure sur internet à l’encontre de contenus jugés offensants pour la monarchie. Cette tendance s’est poursuivie sous le NCPO. Depuis le 22 mai 2014, les autorités ont bloqué des milliers de sites internet qui auraient diffamé la monarchie. Début janvier, 2015, le NCPO a approuvé le texte d’un projet de loi sur la sécurité cybernétique, destiné à légaliser les contrôles invasifs sur les communications électroniques. Le chef du NCPO, le Général Prayuth Chan-ocha, a indiqué qu’un des objectifs de ce projet de loi était de réprimer les contenus lèse-majesté sur internet. Cette loi comporterait la création d’un comité dirigé par le gouvernement qui aurait le pouvoir d’accéder à des informations sur les ordinateurs personnels, les téléphones mobiles et autres dispositifs électroniques, sans avoir besoin d’une décision de justice.

« La censure, la prison ou l’exil sont les scénarios les plus probables pour ceux qui critiquent la monarchie thaïe » a ajouté M. Lahidji. « À tout le moins, la Thaïlande doit amender l’article 112 du Code pénal pour supprimer les peines de prison pour des infractions consécutives à l’exercice du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Les autorités doivent également cesser de censurer le contenu de l’internet et de documents imprimés, pour permettre la libre circulation des idées et de l’information » , a-t-il ajouté.

Le rapport de la FIDH formule de nombreuses recommandations visant à s’assurer que les restrictions imposées à la participation à la vie culturelle par l’article 112 sont compatibles avec les obligations de la Thaïlande au titre du PIDESC.

Ce rapport est une version actualisée du rapport alternatif soumis par la FIDH à la 55e session du CDESC.

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