Iran : les libertés victimes de promesses mortes

16/06/2014
Communiqué
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Tribune rédigée par Karim Lahidji, président de la FIDH, à l’occasion du premier anniversaire de l’élection de Rouhani à la présidence iranienne. Ce texte a été publié sur www.liberation.fr le 14 juin 2014.

Les diplomates se réjouissent. Un an après l’élection de Hassan Rouhani à la présidence, les relations entre l’Iran et les chancelleries occidentales sont (presque) au beau fixe. Qualifié parfois de « réformiste », Hassan Rouhani est présenté dans de nombreux journaux comme l’antithèse d’un Ahmadinejad au discours belliqueux et violemment antisémite. Entouré de conseillers assez avisés, après son élection il n’a pas tardé de fait à entamer un vaste chantier de négociations sur le programme nucléaire destiné à obtenir une levée des sanctions qui pèsent lourdement sur l’activité économique iranienne.

Selon le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, les négociations nucléaires qui se poursuivent à Genève sont certes « difficiles », mais elles avancent ; de même que les discussions avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), ré-autorisée à visiter les sites sensibles iraniens. L’avancement de ces négociations ainsi que le réchauffement spectaculaire des relations avec les Etats-Unis ont été également largement médiatisés - à l’image du coup de téléphone historique passé entre le président iranien et son homologue américain en septembre 2013 - salué comme un moment majeur dans les relations internationales. L’embellie n’a été que très légèrement perturbée par la nomination du nouvel ambassadeur de la République islamique à l’ONU, Hamid Aboutalebi, soupçonné d’avoir joué un rôle dans la prise d’otage des Américains en 1979.

Cette conjoncture diplomatique a suffi à la communauté internationale pour accorder un satisfecit d’ensemble tacite au président iranien, à la veille du premier anniversaire de son élection et décider d’une nouvelle levée partielle des sanctions qui frappent l’Iran. Même la crise syrienne n’a pas réussi à entamer durablement ce retour en grâce de l’Iran dans le concert des nations, en dépit de son soutien affiché au régime de Bashar el-Assad. La communauté internationale a également fermé les yeux sur la situation des droits humains en Iran, un Etat qui est loin de refléter l’image de tolérance affichée par son président devant les caméras du monde entier.

On exécute, on torture, on embastille

Louer les progrès diplomatiques du président iranien c’est oublier un peu vite en effet que la situation intérieure de l’Iran, elle, n’a que peu ou pas évolué depuis le départ d’Ahmadinejad. La vague d’espoir qui avait accompagné la victoire d’Hassan Rouhani ne s’est pas concrétisée dans les faits, loin de là. On exécute, on torture, on embastille certainement tout autant encore dans l’Iran d’aujourd’hui que dans celui d’Ahmadinejad, et les nombreuses promesses électorales effectuées en matière de libertés de la presse, de réunion, ou de conscience sont restées lettre morte.

Le droit à un procès équitable reste systématiquement bafoué, et la peine de mort est de plus en plus utilisée par les tribunaux, la plupart du temps dans des cas de trafic de drogue. Des milliers de personnes – y compris des membres de minorités religieuses telles que les Balouch, Kurdes, et Arabes – sont aujourd’hui dans les couloirs de la mort des prisons iraniennes. Malgré un manque de transparence et l’absence de registres officiels d’exécutions, nombre de sentences capitales prononcées sont appliquées, lors d’exécutions dont beaucoup se déroulent en public. L’année 2013 a été une année record, avec plus de 700 exécutions recensées, dont 8 au moins sur des mineurs, cette même tendance semblant se poursuivre en 2014 avec plus de 330 exécutions déjà recensées, dont 7 sur des mineurs.

Les quelques libérations de détenus politiques qui ont eu lieu en septembre 2013 – dont celle de notre collègue Nasrin Soutodeh, avocate des droits humains et lauréate du Prix Sakharov 2012 – ne doivent pas faire oublier que de nombreux prisonniers de conscience sont encore en détention, et que les arrestations continuent. Ils ne seraient pas moins de mille prisonniers politiques et prisonniers d’opinion derrière les barreaux en Iran aujourd’hui, dont deux membres de la FIDH, Abdolfattah Soltani et Mohammad Seifzadeh, et d’autres défenseurs des droits humains comme Bahareh Hedayat, Mohammad Seddigh Kaboudyand et Reza Shahabi Zakaria. Plus de 130 adeptes de la foi bahaïe sont aussi emprisonnés, ainsi que près de 50 personnes converties au christianisme, des dizaines de soufi (derviches) et des musulmans sunnites, tous pour leurs croyances religieuses. La plupart des détenus sont enfermés à la prison d’Evin et la prison Rajaishahr, et y subissent toutes sortes de tortures et mauvais traitements.

En dépit des promesses du candidat Rouhani, la liberté de la presse continue aussi d’être baffouée. De nombreuses publications, y compris des publications réformistes comme Asseman, Ghanoon et Bahar, ont été interdites, et l’Association des journalistes, interdite depuis les élections de 2009, n’a toujours pas pu rouvrir ses portes. La répression de la contestation sociale est à son plus haut niveau, avec des arrestations de nombreux syndicalistes.

Sous le contrôle du Guide suprême

Il serait toutefois exagéré de faire porter le chapeau de cette répression qui s’exerce aujourd’hui en Iran uniquement à Hassan Rouhani. Avocats, journalistes, professeurs font de fait toujours les frais d’un régime sclérosé, incapable d’évoluer. Un régime encore très largement contrôlé par le vrai maître de Téhéran, l’ayatollah Khamenei. Le Guide suprême, qui supervise les trois branches du gouvernement, et tout particulièrement l’exécutif, n’a jamais caché son hostilité à toute évolution politique, et le nouveau président élu n’a que peu d’atouts à faire valoir. Le système judiciaire, qui n’est responsable que devant Khamenei, n’a aucune raison de changer de cap en matière de respect des libertés publiques. Quant aux parlementaires, ils sont disqualifiés de fait par le mode de scrutin, qui les oblige à être pré-sélectionnés par le Conseil des Gardiens – lui-même très conservateur, et dont la moitié des membres est choisie par le même Guide suprême et l’autre moitié par ses magistrats -, afin de pouvoir se présenter.

Hassan Rouhani n’est donc pas le seul responsable de l’impasse politique et économique dans laquelle s’enfonce chaque jour davantage l’Iran. Cela dit, le président iranien n’est pas démuni de tout pouvoir pour modifier certaines politiques répressives, mais il n’a pas usé de cette latitude. Les promesses de campagne selon lesquelles il s’engageait à réduire la censure des médias et à autoriser les syndicats à fonctionner plus librement relèvent de la compétence du président, mais n’ont pas été tenues.

En déclarant son scepticisme quant à un accord sur le nucléaire avec les Occidentaux, Ali Khamenei a néanmoins passé un cap et engagé de facto un bras de fer avec Hassan Rouhani, qui a tout misé sur ces négociations pour relancer la machine économique en Iran. Si Rouhani veut vraiment réussir son mandat, au-delà du grand spectacle diplomatique de sa première année au pouvoir, il ne devra pas seulement assurer la levée des sanctions et la revitalisation de l’économie de l’Iran, mais aussi s’appuyer sur la Constitution (bien qu’elle ne soit pas démocratique) et le peu de légitimité que lui a décerné le peuple iranien lors des élections de l’année dernière, pour pousser le régime à respecter les droits humains les plus élémentaires du peuple iranien. Un devoir et une promesse qu’il lui reste encore à accomplir.

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