Des organisations internationales exigent l’annulation de la sanction prise à l’encontre de Yassmín Barrios, présidente du procès historique concernant le génocide au Guatemala

10 novembre 2014

Des organisations régionales et internationales exigent du Guatemala qu’il respecte l’indépendance de la justice et annule la sanction illégale infligée à la juge Yassmín Barrios. La Cour constitutionnelle du Guatemala examine actuellement un recours en garantie des droits qui remet en cause la compétence du Tribunal d’honneur du collège des avocats et notaires du Guatemala (CANG) à sanctionner la juge Barrios pour les décisions qu’elle a prises en tant que juge pendant le procès qui s’est tenu en 2013 contre l’ex-dictateur Efraín Rios Montt et celui qui était à l’époque son chef des services secrets, Maurice Rodriguez Sánchez.

Neuf organisations internationales et organisations latino-américaines – l’Open Society Justice Initiative (OSJI), le Centro por la Justicia y el Derecho Internacional [Centre pour la justice et le droit international] (CEJIL), la Fundación para el Debido Proceso [Fondation pour le procès équitable] (DPLF), la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), le Centro de Estudios Legales y Sociales [Centre d’études juridiques et sociales] (CELS), le Centro por la Justicia y los Derechos Humanos Robert F. Kennedy [le Centre Robert F. Kennedy pour la justice et les droits de l’homme], la Guatemalan Human Rights Commission (GHRC), la Plataforma Internacional contra la Impunidad [Plateforme internationale contre l’impunité] et le Washington Office on Latin America (WOLA) — exigent du Guatemala qu’il annule cette sanction et garantisse l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire de ce pays.

Au cours d’une carrière qui s’étend aujourd’hui à presque deux décennies, la juge guatémaltèque Yassmín Barrios a agi admirablement et avec indépendance dans de nombreuses affaires de la plus haute importance. Outre le procès pour génocide à l’encontre de Ríos Montt, la juge Barrios a notamment présidé les procès consacrés aux exécutions extrajudiciaires de l’archevêque Juan Gerardi et de l’anthropologue Myrna Mack, aux massacres de Dos Erres et de Plan de Sánchez, à la mort de Rodrigo Rosenberg et à divers crimes perpétrés par des narcotrafiquants. Elle subit actuellement des représailles sévères, y compris des menaces relatives à sa capacité d’exercer librement en tant que juge, dues à son action dans le procès pour génocide. Le 4 avril 2014, le Tribunal d’honneur du collège des avocats et notaires du Guatemala l’a suspendue de ses fonctions pour une année, suite à la plainte infondée d’un membre de l’équipe juridique du co-accusé de Ríos Montt. Ce tribunal corporatif a en outre ordonné que Yassmín Barrios fasse l’objet d’une admonestation publique, lui a infligé une amende et a renvoyé l’affaire devant le Parquet. D’après cet organisme, l’action « contraire à l’éthique » de la juge Barrios « a constitué une atteinte à la dignité humaine » de l’avocat de la défense.

L’utilisation du Tribunal d’honneur d’une association d’avocats pour sanctionner un ou une juge est atypique en Amérique latine, mais c’est aussi au Guatemala que les lois stipulent qu’il incombe à la Junta Disciplinaria del Organismo Judicial [Conseil disciplinaire de l’organisme judiciaire] d’examiner les plaintes relatives à des pratiques judiciaires présumées répréhensibles. De fait, une plainte parallèle à l’encontre de la juge Barrios a déjà été examinée — et rejetée — par ledit Conseil il y a un an.

Des acteurs internationaux et locaux ont condamné la décision du Tribunal d’honneur du CANG. Toutefois, l’organe qui a examiné l’appel a déclaré infondé le recours interjeté par la juge, mais a rejeté l’amende économique et la suspension et a conservé la condamnation dans le dossier professionnel de la juge. En réaction à cette décision, la juge Barrios a déposé un recours qui a été, de manière illogique, transféré à la cour chargée de traiter de la violence à l’égard des femmes. Le 22 octobre (décision datée du 18 juillet), cette Cour a notifié à la juge Barrios qu’elle avait rejeté son recours. Son dernier appel est actuellement examiné par la Cour constitutionnelle.

Il y a un an, le Guatemala a montré au monde qu’il était possible de poursuivre efficacement les auteurs de graves violations des droits humains devant les tribunaux nationaux. À présent, il illustre les difficultés que rencontrent ces processus internes. Cette affaire révèle les risques auxquels sont confrontés les juges et les avocats généraux indépendants qui se risquent à s’opposer aux acteurs puissants du pays. L’importance de cette décision se trouve accentuée par le fait qu’elle intervient lors du processus de nomination de tous les magistrats de la Cour suprême de justice et des Cours d’appel du pays. Le Collège des avocats joue un rôle central dans la désignation de ces acteurs judiciaires essentiels.

Une sanction à l’encontre de la juge Barrios menace l’indépendance judiciaire et la capacité de tous les juges et de tous les avocats généraux du Guatemala à prendre des décisions sans craindre des interférences ou des sanctions. Le maintien de la sanction enfreindrait le droit international. C’est pourquoi elle doit être annulée.

*Yassmín Barrios a reçu récemment le Prix du courage féminin des mains de Michelle Obama.

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