Lettre ouverte des membres du bureau international de la FIDH au président de Colombie Juan Manuel Santos

23/05/2012
Communiqué
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Nous, les membres du Bureau International de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), défenseurs des droits de l’Homme sur les cinq continents, souhaiterions vous exprimer notre profonde inquiétude face aux attaques qui ont lieu à l’encontre des membres du Collectif d’Avocats « José Alvear Restrepo », organisation colombienne membre de la FIDH.

Depuis le mois de novembre 2011, le CCAJAR fait l’objet d’une campagne qui vise à délégitimer son travail, lorsque vous avez qualifié les avocats du CCAJAR de « sournois » et corrompus suite au scandale des faux témoignages dans le cas du massacre de Mapiripán. À cet égard, il est rappelé que le lundi 14 mai 2012 Mariela Contreras, qui avait fait un faux témoignage dans le cas de Mapiripán, a fait une déposition devant l’Unité des Droits de l’Homme de la Fiscalía confirmant que le CCAJAR ne l’avait pas induite à mentir ni devant la Fiscalía ni devant la Cour intéramericaine des droits de l’Homme. Les déclarations que vous avez faites viennent s’ajouter à celles des membres des Forces Armées qui affirment que le CCAJAR se dédie à mener une guerre juridique, et aussi à l’annonce de « sanctions exemplaires » au niveau judiciaire à leur encontre, demandées par plusieurs de vos ministres et le Procureur général de la République. Ceci constitue un grave précédent dans la mesure où celles-ci révèlent une volonté depuis les plus hautes sphères de l’Etat colombien, de stigmatiser et décrédibiliser le CCAJAR, une organisation qui depuis plus de trente ans a montré son engagement dans la représentation des victimes de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre. Dans son Rapport Annuel 2011, la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme a exprimé sa préoccupation au sujet de ces déclarations contre le CCAJAR, considérant qu’elles pourraient "avoir un impact négatif sur le travail des organisations colombiennes de défense des droits de l’Homme, qui au cours des dernières décennies ont développé leur travail de défense des droits de l’Homme dans des situations de risque grave, ce qui a tué beaucoup d’entre eux et a conduit la Commission à demander à plusieurs reprises au gouvernement colombien la protection et le respect de leurs actions [1]"

Malgré de nombreuses requêtes, ni vous-même ni vos ministres n’ont rectifié ces déclarations, qui en plus de souligner l’absence de reconnaissance du travail des défenseurs, augmentent leur vulnérabilité et les mettent en danger. La semaine dernière, la Contraloría, dont le mandat couvre les activités publiques et non celles de la société civile, a convoqué plusieurs membres du Colectivo, au sujet des accusations d’enrichissement illicite dans le cas du massacre de Mapiripán. Bien que nous comprenions que ces faits puissent faire l’objet d’une enquête, nous vous demandons à nouveau de rectifier vos déclarations et de soutenir publiquement le travail légitime des ONG et du CCAJAR en matière de protection et représentation des victimes. En 2005, la Cour interaméricaine des droits de l’Homme a condamné l’Etat colombien pour le massacre de Mapiripán. Il est du devoir d’un état démocratique d’accepter que des actions en justice soient engagées et que des condamnations soient prononcées à son encontre, y compris au niveau interaméricain, lorsque certains acteurs étatiques commettent des violations des droits de l’Homme et de l’Etat de droit.

Cela aggrave la vulnérabilité du CCAJAR, qui bénéficie de mesures conservatoires de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, et vient s’ajouter à des actes d’intimidation et de violence perpétrés au mois de mars, lorsqu’à l’arrêt de bus à côté du siège du CCAJAR, un groupe de personnes a distribué des tracts visant à délégitimer le travail de l’organisation. Cela vient également s’ajouter à de multiples menaces contre la CCAJAR de la part de groupes paramilitaires. Enfin, de graves actes de violence à l’encontre des membres du CCAJAR ont eu lieu, au sujet desquels notre ligue membre vous a fourni des informations.

Face à cette situation, nous, les membres du Bureau International de la FIDH, en précisant qu’en aucun cas le CCAJAR se dédie à mener une guerre juridique, sollicitons la rectification de vos déclarations et la reconnaissance de la légitimité de cette organisation. En outre, nous vous demandons instamment de prendre des mesures de protection spéciales pour les membres du CCAJAR et leurs familles, et d’ordonner que les fichiers de renseignement relatifs aux défenseurs des droits de l’homme soient déclassifiés.

La FIDH a accueilli avec espoir votre engagement pour mettre un terme aux attaques verbales et protéger le travail des défenseurs des droits de l’Homme en Colombie. Nous espérons que vous saurez tenir cette promesse et rompre avec les pratiques de votre prédécesseur.

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