Hissène Habré : Conférence de presse suite aux premières auditions des victimes

A l’occasion des premières auditions de victimes par les juges d’instruction des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises et la constitution de partie civile de plus de 1000 victimes dans les procédures visant Hissène Habré, Me Jacqueline Moudeina, avocate et coordinatrice du Comité international pour le jugement équitable de Hissène Habré [1], et Présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme, organisation membre de la FIDH au Tchad, est revenue sur le sens de ces derniers développements judiciaires.

Déclaration liminaire

Conférence de presse du Comité internationale pour le jugement équitable de Hissène Habré

Mercredi 17 juillet 2013

Par Me Jacqueline Moudeina, Coordinatrice du Comité, avocate des victimes 

" Mesdames, Messieurs, Bonjour à tous, merci d’être venus à notre conférence de presse.

Je vous présente :
 Clément Abaifouta, qui est le président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré et qui pendant le régime Habré a été forcé d’enterrer par centaines ses codétenus décédés ;
 Ginette Ngarbaye, qui a été torturée à l’électricité et qui a donné naissance à sa fille en prison ;
 Hadjo Moktar, qui a été détenue enceinte dans la « cellule de la mort » et qui y a perdu son bébé ;
 Younous Mahadjir, qui a été torturé pour avoir distribué des tracts dissidents contre Habré. Vice-président de l’Union des syndicats du Tchad et toujours opposant, il a été condamné par le régime actuel à 18 mois de prison avec sursis ;
- et enfin Abdourahmane Gueye, plus connu au Sénégal et qui a été détenu arbitrairement pendant 10 mois dans des conditions insupportables tandis que son ami sénégalais Demba Gaye n’y a pas survécu.

J’aimerais aussi vous présenter leurs avocats :
 Assane Dioma Ndiaye, coordinateur des avocats sénégalais et président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, organisation membre de la FIDH au Sénégal
 Delphine Djiraibe, avocate tchadienne et pionnière dans cette affaire
 Lambi Soulgan, avocat tchadien travaillant quotidiennement avec les victimes.

Nous reconnaissons aussi la présence de :
 Reed Brody, Henri Thulliez et Olivier Bercault de Human Rights Watch et Fatou Kama de la RADDHO

***

Nous avons voulu organiser cet événement pour revenir sur le sens et le but de notre visite chez vous à Dakar.

Le lundi 15 juillet 2013 se sont constituées parties civiles au sein des Chambres africaines extraordinaires 1015 victimes directes et indirectes. Les 5 victimes présentes ici ont d’ores et déjà donné leurs dépositions aux juges d’instruction des Chambres africaines extraordinaires. Nous, les avocats, représenteront ces 1015 victimes tout au long de la procédure devant les Chambres, de l’instruction jusqu’au procès.

Ces victimes ont souffert des exactions commises sous le régime de Hissène Habré. Elles s’attendent à ce que leurs droits soient respectés et entendus et que justice leur soit rendue.

L’inculpation du principal responsable pour crimes de guerre, crimes de torture et crimes contre l’humanité leur donne enfin raison, à toutes ces victimes qui n’ont jamais cessé de croire que la justice, un jour, sera à portée de main. La mise en route des Chambres africaines extraordinaires est le résultat du long travail entrepris par ces rescapés qui se sont battus indépendamment de tout courant politique pour un procès équitable.

Nous avons suivi scrupuleusement le débat public au Sénégal depuis l’arrestation de Monsieur Habré. Si nous sommes très heureux de constater qu’un tel événement est largement relayé dans la presse, engageant des débats pertinents et sérieux sur la justice, nous regrettons la politique de dénigrement menée par les avocats et la famille de Habré. Ce dernier ne fait qu’utiliser la même ligne de défense que tous les grands criminels qui ont eu répondre de leur actes (Eichmann, Pinochet, Taylor, etc.) : on conteste la légitimité du tribunal, on dénigre les vraies victimes tandis qu’on se fait passer pour une victime soi-même, tout en refusant de répondre aux graves accusations.

A chaque fois qu’un magistrat a étudié le dossier de Hissène Habré sur le fond, il l’a inculpé. A chaque fois, le magistrat a considéré qu’il y avait des indices sérieux de croire que Habré était responsable des crimes déférés. Mais contrairement à ce que veulent fraire croire ses avocats, Hissène Habré n’a jamais été jugé. Ni en 2000 après qu’il ait été inculpé par le doyen des juges d’instruction de Dakar, ni en 2005 après l’inculpation par le juge belge. Aujourd’hui les conditions sont réunies pour qu’il soit enfin jugé. Et ce grâce à la persévérance et à la ténacité des victimes.

Les victimes, et nous leurs représentants, ne pouvons que remercier le gouvernement du Sénégal et l’Union africaine pour avoir finalement entendu nos cris et écouté notre soif de justice. Nous nous devons aussi de remercier le peuple sénégalais qui, au centre de cet interminable feuilleton politico-judiciaire, a reconnu que la Téranga ne pouvait pas s’accorder avec injustice et impunité. Nous remercions enfin tous les bailleurs internationaux qui ont soutenu les Chambres africaines : l’Union africaine, l’Union européenne, le Tchad, les Etats-Unis, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la France, la Belgique et le Luxembourg.

Nous nous battrons aussi pour que les droits de Hissène Habré soient respectés et que cette procédure soit équitable et exemplaire. Nous ne courrons pas après la vengeance. Nous ne voulons pas faire subir à Habré une once de ce que les victimes ont connu.

Pour rappel, sous Hissène Habré, des milliers de personnes ont été torturées, ont disparu ou ont été liquidées arbitrairement. Le régime Habré, c’est aussi une séparation prononcée entre les Tchadiens du nord et ceux du sud, c’est l’enfermement des ethnies sur elles-mêmes avec des vagues d’épuration ethnique touchant les Sara, les Arabes, les Hadjerai et les Zaghawas. Depuis le régime Habré, le Tchad est divisé et nous voulons, tous ensemble, nous réconcilier.

Les avocats de Habré ont saisi la Cour de Justice de la CEDEAO comme c’est leur droit, mais ce recours n’est pas suspensif et n’empêche pas les Chambres de continuer leur travail. De toute façon, la Cour internationale de Justice dans sa décision de 20 juillet 2012 a déclaré que « les obligations qui incombent au Sénégal au titre de la Convention des Nations Unies contre le torture ne sauraient être affectées par la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO ».

Est-il nécessaire de rappeler que la CIJ est la Cour de justice de l’ONU, et d’après l’article 103 de la Charte des Nations unies les obligations des états membres des Nations unies prévalent sur les obligations qu’ils ont en vertu de « tout autre accord international » ?

Enfin, il est clair que la Cour de la CEDEAO n’a aucune compétence pour invalider des actes de l’Union africaine comme la création des Chambres africaines.

Le Sénégal, en s’acquittant de ses obligations internationales, devient un exemple en matière de justice internationale. Et un procès juste et équitable pour Hissène Habré marquera un tournant pour la justice en Afrique et sonnera comme une alerte pour tous les apprentis dictateurs qui pourront un jour être ratrappés par leurs crimes.

Merci."

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