RDC / Sénégal : La justice sénégalaise fait suite à la plainte en compétence universelle de la FIDH et des familles dans l’affaire Chebeya-Bazana

Faisant suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée par la FIDH et les familles des victimes, le 2 juin 2014, devant la justice sénégalaise sur le fondement de la compétence universelle, à l’encontre de Paul Mwilambwe, l’un des responsables présumés dans l’affaire du double assassinat des défenseurs Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, le juge d’instruction a entendu ce jour les parties civiles afin de confirmer la plainte et ainsi marquer le début de l’information judiciaire. Alors que les tentatives de faire la lumière sur le double assassinat des défenseurs des droits humains semblent bloquées en République démocratique du Congo (RDC), nos organisations saluent les efforts des autorités judiciaires sénégalaises et les appellent à poursuivre l’enquête judiciaire dans cette affaire hautement symbolique.

« Cette première audition de parties civiles est un acte fondamental qui marque le début de la procédure judiciaire au Sénégal. Le témoignage qui vient d’être apporté par les familles des victimes contribue à ce qu’elles retrouvent l’espoir de voir justice enfin rendue. La prochaine étape est maintenant la convocation et l’audition de Paul Mwilambwe, un acteur de cette tragédie, par un juge sénégalais,  » a déclaré Patrick Baudouin, président d’honneur et responsable du GAJ de la FIDH.

Major de la Police nationale congolaise (PNC), Paul Mwilambwe était en charge de la sécurité du bureau du Général John Numbi, le chef de la PNC au moment des faits, dans les locaux duquel ont été assassinés Floribert Chebeya et Fidèle Bazana après avoir été torturés. Peu après les faits, Paul Mwilambwe a pris la fuite dans un pays d’Afrique avant de venir au Sénégal. Au cours de sa fuite, il avait témoigné devant la caméra de France 24 et dénoncé, outre sa participation, le rôle et l’implication de hauts gradés de la police congolaise, dont le général John Numbi, dans l’assassinat et la disparition forcée des deux défenseurs.

« L’action de la justice sénégalaise dans une affaire qui voit le principe de compétence extra territoriale s’appliquer pour la première fois au Sénégal, en dehors de l’affaire Hissène Habré, envoie un signal fort et tout à fait précurseur, » a déclaré Assane Dioma Ndiaye, avocat du GAJ de la FIDH et des familles Chebeya et Bazana. « La rapidité avec laquelle l’institution judiciaire a réagi à ce dépôt de plainte semble démontrer la volonté des autorités sénégalaises à prendre une part active dans la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves en Afrique,  » a-t-il ajouté.

Nos organisations considèrent que la confirmation de la plainte contre Paul Mwilambwe constitue une étape particulièrement importante pour les défenseurs des droits humains en RDC qui exercent leur travail dans la plus grande insécurité et sont quotidiennement victimes de restrictions de leurs libertés d’association et d’expression, de campagnes de dénigrement, d’arrestations et détentions arbitraires, de menaces et atteintes à leur intégrité physique.

«  En confirmant cette plainte, la justice sénégalaise nous permet de croire qu’une enquête impartiale et indépendante peut finalement être menée, faire toute la lumière sur les assassinats de nos époux et rétablir leurs mémoires, » a déclaré Marie-Josée Bazana, l’épouse de Fidèle Bazana dont le corps n’a toujours pas été retrouvé.

Rappel des faits :
Le 2 juin 2010, Floribert Chebeya, directeur exécutif de l’ONG la Voix des sans voix (VSV) est retrouvé mort dans sa voiture dans un faubourg de Kinshasa et Fidèle Bazana, son proche collaborateur est porté disparu. La veille, les deux défenseurs des droits humains s’étaient présentés à la Direction de la PNC pour y rencontrer son directeur, l’Inspecteur-général et général John Numbi, et n’en sont pas sortis vivants. Face à l’émoi provoqué par le meurtre de Floribert Chebeya et la disparition de Fidèle Bazana, le pouvoir congolais est obligé d’ouvrir une enquête qui abouti à la suspension à titre conservatoire du général John Numbi et à l’inculpation, pour assassinats, de 8 policiers dont Paul Mwilambwe qui est en fuite.

A l’issue d’un procès marqué par de nombreux incidents (voir rapport de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme), la Cour militaire de Kinshasa reconnaît le 23 juin 2011 la responsabilité civile de l’État congolais dans l’assassinat de M. Chebeya, ainsi que dans l’enlèvement et la détention illégale de M. Bazana par plusieurs de ses agents et condamne 5 des 8 policiers accusés, dont 4 à la peine capitale et un à la prison à perpétuité. Trois des condamnés à mort sont toujours en fuite, et trois policiers dont l’instruction avait pourtant révélé le rôle dans la disparition de Fidèle Bazana, ont été acquittés. Le 7 mai 2013, la Haute cour militaire, saisie en tant que juridiction d’appel, se déclare incompétente pour instruire des questions procédurales et décide de saisir la Cour suprême de justice, qui fait office de Cour constitutionnelle, ce qui suspend de fait la procédure judiciaire d’appel qui reste à ce jour en RDC dans l’impasse. En outre, aucune procédure judiciaire n’a jamais été engagée par les autorités congolaises pour instruire le rôle joué par le général John Numbi, qui a depuis été remplacé à la tête de la police nationale, malgré l’existence de preuves et le dépôt de plaintes nominatives par les familles des deux défenseurs.

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