Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'ĂŞtes pas inscrit sur Le Monde ?

Une plainte contre Damas déposée à Paris pour « crimes ­contre l’humanité »

La justice française pourrait enquêter sur la disparition, en 2013, de Mazen Dabbagh et son fils Patrick, tous deux franco-syriens, dans une prison du régime.

Par 

Publié le 24 octobre 2016 à 12h54, modifié le 24 octobre 2016 à 13h01

Temps de Lecture 5 min.

Au tribunal de grande instance de Paris, en 2014.

Pour la première fois, lundi 24 octobre, une plainte contre X pour « disparitions forcĂ©es, torture et crimes ­contre l’humanitĂ© Â» concernant le cas inĂ©dit de deux victimes françaises prĂ©sumĂ©es disparues dans les geĂ´les du rĂ©gime de Bachar Al-Assad, devait ĂŞtre dĂ©posĂ©e auprès du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris. PortĂ©e par la FĂ©dĂ©ration internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’homme (LDH), cette plainte concernant le conflit syrien est la première Ă  avoir des chances d’aller plus loin que les enquĂŞtes actuellement en panne au pĂ´le gĂ©nocide du TGI.

Le plaignant, Obeida Dabbagh, est un Franco-Syrien de 64 ans, ingĂ©nieur de mĂ©tier, vivant en France. Depuis 2013, il est Ă  la recherche d’un de ses frères et d’un neveu, disparus tous deux Ă  Damas. Son neveu Ă©tait âgĂ© de 20 ans et Ă©tudiait Ă  la facultĂ© de lettres quand il a Ă©tĂ© interpellĂ© le 3 novembre 2013 Ă  minuit, Ă  son domicile, par des personnes dĂ©clarant appartenir aux services syriens de renseignement. Ces derniers ont indiquĂ© vouloir l’emmener pour l’interroger, sans autre prĂ©cision. Le père du jeune homme, qui Ă©tait le conseiller principal d’éducation de l’école française de Damas, a Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© le lendemain, en pleine nuit Ă©galement, par une dizaine d’hommes armĂ©s, lui indiquant qu’il avait « mal Ă©duquĂ© Â» son fils.

Jamais impliqués dans des mouvements de contestation

Le père, Mazen Dabbagh, âgĂ© de 57 ans, et son fils Patrick ont tous les deux Ă©tĂ© emmenĂ©s en novembre 2013, Ă  Mezzeh, oĂą se trouve le centre de dĂ©tention des services de renseignement de l’armĂ©e de l’air syrienne. Un endroit unanimement dĂ©crit comme l’un des pires centres de torture du rĂ©gime. Mazen Dabbagh et son fils Patrick n’avaient jamais Ă©tĂ© impliquĂ©s dans des mouvements de contestation, ­selon la FIDH et la LDH.

Si la plainte de leur oncle et frère Obeida Dabbagh a des chances de prospérer aujourd’hui, c’est parce que Mazen et Patrick ont la double nationalité franco-syrienne. Une nationalité française obtenue grâce à la mère de Mazen, une Française mariée à un Syrien. Ce critère est indispensable pour que la justice française soit compétente dans ce dossier dont les faits ont eu lieu à l’étranger.

Le 7 juillet, une autre plainte avec constitution de partie civile contre X, pour « disparition forcĂ©e, torture et homicide Â», a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e auprès du TGI de Paris. Il s’agit de celle d’un pĂ©diatre franco-syrien de 57 ans dont le frère a disparu, fin 2014, dans la prison de Sednaya, près de Damas. Mais le frère de cet homme n’ayant pas la nationalitĂ© française, la plainte est suspendue Ă  une dĂ©cision de la Cour de cassation.

600 000 documents attestant de crimes en Syrie

Alors que le conflit syrien dure depuis 2011 et que les tĂ©moignages d’atrocitĂ©s se multiplient, la justice internationale peine Ă  dĂ©clencher des poursuites contre le rĂ©gime de Damas. La Syrie n’a pas ratifiĂ© le statut de la Cour pĂ©nale internationale (CPI). Le seul moyen de contourner cette difficultĂ© serait que le Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU saisisse la CPI. Mais la Russie, alliĂ©e du rĂ©gime de Bachar Al-Assad, oppose systĂ©matiquement son veto. Ne restent que les juridictions nationales. Mais elles ne peuvent engager des poursuites que sur la base de la « compĂ©tence universelle Â» dont les critères sont stricts.

Un certain nombre de procé­dures judiciaires concernant des crimes de guerre en Syrie ou en Irak ont été ouvertes récemment en Europe (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Finlande). Mais toutes ­concernent des rebelles syriens ou des djihadistes appartenant à l’organisation Etat islamique. Les choses pourraient évoluer, notamment en Allemagne. Avec la récente vague migratoire, les autorités ont mis en place une procédure écrite où il est demandé à tous les demandeurs d’asile s’ils ont été témoins d’éventuels crimes de guerre.

Une approche qui rejoint la stratĂ©gie de nombreux collectifs militants. Comme celle de l’une des organisations les plus efficaces en la matière, basĂ©e au Royaume-Uni : la Commission for International Justice and Accountability (CIJA). ConcentrĂ©e sur le recueil de preuves – et non de tĂ©moignages, jugĂ©s moins fiables –, la CIJA dit avoir rassemblĂ© plus de 600 000 documents attestant de crimes commis en Syrie. Une base de donnĂ©es Ă  partir de laquelle elle dit avoir rĂ©ussi Ă  reproduire un organigramme de la « bureaucratie de la guerre Â», essentiel pour remonter l’échelle des donneurs d’ordre.

Des milliers de clichés de cadavres de prisonniers

Grâce Ă  ce travail, une plainte très circonstanciĂ©e a pu ĂŞtre dĂ©posĂ©e, le 10 juillet, aux Etats-Unis, par la famille de la journaliste amĂ©ricaine du Sunday Times, Marie Colvin. La reporter avait Ă©tĂ© tuĂ©e en fĂ©vrier 2012, dans un bombardement de l’armĂ©e visant un centre de presse clandestin Ă  Homs. Elle accuse le rĂ©gime syrien d’avoir dĂ©libĂ©rĂ©ment pilonnĂ© le lieu, situĂ© dans un quartier rebelle. Une information judiciaire a Ă©tĂ© ouverte, en 2013, sur la base des mĂŞmes faits, après la mort du photographe français RĂ©mi Ochlik et des blessures de la journaliste Edith Bouvier pour « homicide involontaire Â» et « tentative d’homicide Â». Mais les investigations en France n’ont pas permis jusqu’à prĂ©sent d’en savoir plus.

Le Monde Application
La Matinale du Monde
Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer
Télécharger l’application

La France reste le seul pays Ă  avoir une poignĂ©e d’enquĂŞtes en cours contre le rĂ©gime de Bachar Al-Assad, dont la plus connue est l’enquĂŞte dite « CĂ©sar Â». Une enquĂŞte prĂ©liminaire a Ă©tĂ© ouverte contre X, en septembre 2015, pour « crimes contre l’humanitĂ©, enlèvement et actes de torture Â» sur la base de milliers de clichĂ©s de cadavres de personnes incarcĂ©rĂ©es. Les images ont Ă©tĂ© rapportĂ©es par un ex-photographe militaire syrien ayant fui le rĂ©gime en Ă©change de son immunitĂ©. Ses chances de dĂ©boucher sur l’ouverture d’une information judiciaire restent cependant maigres, aucune victime franco-syrienne n’ayant Ă©tĂ© identifiĂ©e jusqu’à prĂ©sent.

Obeida Dabbagh, l’homme qui porte aujourd’hui plainte, a Ă©tĂ© entendu dans le cadre de ces investigations. Mais son frère et neveu n’ont pas Ă©tĂ© identifiĂ©s parmi les clichĂ©s. MalgrĂ© la prĂ©cision de son tĂ©moignage, aucune procĂ©dure n’a Ă©tĂ© lancĂ©e en parallèle, en raison notamment des craintes pour ses proches restĂ©s sur place et du contexte diplomatique sensible. Une dĂ©cision qui l’a laissĂ© amer. En dĂ©posant formellement plainte, ce lundi 24 octobre, il veut changer la donne. MĂŞme si, en l’état, du fait de la guerre et de l’absence d’entraide judiciaire entre Paris et Damas, les chances d’investigation sur le terrain sont nulles.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

RĂ©utiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil Ă  la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez Ă  lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.