Rapport : Éviter l’embrasement au Burundi

07/05/2015
Rapport
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La FIDH et la Ligue ITEKA publient aujourd’hui leur nouveau rapport d’enquête sur la situation au Burundi dans lequel nos organisations rendent compte de la violence politique qui a prévalu dans le pays ces derniers mois avant de prendre l’ampleur qu’elle connaît aujourd’hui.

Elles démontrent comment la rupture du dialogue politique, l’impunité des auteurs de violations, y compris graves, des droits humains, l’absence de réforme effective du secteur de la sécurité et l’instrumentalisation de la justice ont créé les conditions de la dégradation politique et sécuritaire en cours.

Pour Dismas Kitenge, Vice-Président de la FIDH, qui a conduit la mission d’enquête au Burundi, « les affrontements violents auxquels on assiste aujourd’hui au Burundi sont le résultat direct d’un durcissement du régime de Pierre Nkurunziza observé ces dernières années et qui se renforce à mesure qu’approchent les élections générales. Notre rapport révèle pourquoi et comment la défiance s’est installée au Burundi envers les institutions, la police, la justice au point de constituer aujourd’hui une menace pour la stabilité du pays ».

L’enquête menée par la FIDH et la Ligue ITEKA a permis par exemple de documenter plusieurs cas d’exactions à caractère politique, qui ont touché en particulier des militants de l’opposition. Les témoignages recueillis démontrent qu’en 2014 et 2015, des militants de l’opposition ont fait l’objet d’actes d’intimidation, de menaces, de violences physiques, en particulier aux mains des Imbonerakure, la ligue des jeunes du CNDD-FDD, le parti au pouvoir. Fait très inquiétant, ces exactions, pour lesquelles les Imbonerakure n’ont été que très rarement inquiétés, ont souvent été perpétrées avec la complicité des agents de l’État (police, services de renseignement, administrateurs locaux). Alors que la sécurité demeure un enjeu majeur au Burundi, le rapport montre également que les autorités n’ont pas apporté de réponses adéquates pour réprimer les exactions, et en particulier les exécutions sommaires et extra-judiciaires imputées aux forces de défense et de sécurité.

Le rapport révèle par ailleurs les tactiques utilisées par le pouvoir en place pour neutraliser les voix contestataires, au premier lieu desquelles les défenseurs des droits humains et les journalistes, et montre en particulier comment l’instrumentalisation de la justice a permis de servir cet objectif.

Aujourd’hui, à un mois des élections générales, les craintes d’un embrasement de la situation politique et sécuritaire sont réelles. La question d’un possible troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza a dominé le débat public des derniers mois, accentué les dissensions au sein de la classe politique et attisé le mécontentement de larges pans de la population. Aux vus des affrontements violents qui opposent ceux qui disent non au troisième mandat du président sortant aux forces de police, les craintes de voir le blocage politique conduire à une escalade de la violence sont manifestes.

Le bilan des affrontements de ces derniers jours est d’ores et déjà très lourd. Au moins 13 personnes, dont 1 militaire, auraient été tuées, pour l’essentiel à la suite de tirs à balles réelles par les forces de police. Au moins 161 auraient été blessées, dont plusieurs grièvement. Près de 600 manifestants auraient été arrêtés et placés en détention, et des informations font état de mauvais traitements contre certains détenus. Plusieurs informations concordantes révèlent par ailleurs la participation d’éléments des Imbonerakure dans la répression des manifestants, aux côtés des forces de police. Dans plusieurs quartiers de la capitale, comme à Kanyosha-Mairie, les Imbonerakure, armés de pistolets, procéderaient à des tirs de sommation pour empêcher les manifestants de se rendre dans les rues et auraient également lancé des grenades contre certains manifestants. Dans d’autres, comme à Kinama, ils auraient tabassé et appréhendé des manifestants avant de les remettre à la police. Des informations révèlent par ailleurs que dans la journée du 6 mai environ 8 Imbonerakure auraient été capturés et tabassés par des manifestants à Kanyosha-Rural avant d’être remis à des militaires.

Aux violences s’ajoutent les restrictions aux libertés fondamentales avec la fermeture d’une des radios les plus populaires, la RPA, et les restrictions sévères sur deux autres d’entre elles (Bonesha FM et Isanganiro), interdites d’émettre en province.

Face à un tel contexte, la communauté internationale a la responsabilité de prévenir l’embrasement de la situation. Dans leur rapport, nos organisations appellent en particulier les Nations Unies et l’Union africaine à renforcer leurs outils politiques, diplomatiques mais également leurs mécanismes de sanctions permettant d’aboutir à un arrêt des violences, à une reprise du dialogue politique et à la construction d’un État de droit au Burundi, gage de stabilité.

Pour nos organisations, à moins que – hypothèse peu probable – Pierre Nkurunziza ne retire de lui-même sa candidature, et si les acteurs burundais ne parviennent pas à un accord, les Nations unies et l’Union africaine doivent proposer dès maintenant la mise en place d’un Comité d’experts indépendants, composé de personnalités africaines, internationales et le cas échéant burundaises connues pour leur haute moralité, leur intégrité et leur impartialité et possédant une solide compétence en droit international et/ou en droit constitutionnel. Ce Comité, qui devrait être présidé par une personnalité consensuelle, serait mandaté pour dire le droit et rendre une décision sur la possibilité ou non pour Pierre Nkurunziza de se présenter pour un nouveau mandat présidentiel et mettre en place les mesures de confiance pour la tenue des scrutins dans les meilleurs délais.

Parallèlement, les Nations Unies, l’Union africaine et l’Union européenne doivent clairement indiquer qu’elles se tiennent prêtes à activer, en cas de violations des droits humains constatées, les mesures de sanctions prévues par les textes régissant ces organisations.

Les institutions, États et entreprises qui soutiennent logistiquement, techniquement et financièrement l’organisation des élections doivent y poser de conditionnalités claires et prévenir les autorités qu’ils suspendront tout soutien en cas de violations des droits humains constatées. Les institutions et États qui soutiennent la formation des forces de défense et de sécurité doivent faire de même.

Les Nations unies et l’Union africaine doivent également se tenir prêtes à intervenir en cas de crise ouverte pour assurer très rapidement, la protection des populations civiles.

Enfin, la Procureure de la CPI doit s’exprimer publiquement pour rappeler que les crimes perpétrés au Burundi pourraient relever de la compétence de la Cour et que leurs auteurs devraient en être tenus responsables.

Téléchargez le rapport « Burundi : Éviter l’embrasement »

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