Élections générales au Burundi : Les acteurs politiques doivent prévenir toute escalade de la violence

23/04/2015
Communiqué
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Nibigira Onesphore / ANADOLU AGENCY

Le parti présidentiel burundais, le CNDD-FDD doit tenir son Congrès samedi prochain, lors duquel il pourrait investir son candidat pour l’élection présidentielle prévue en juin. Dans la perspective d’une probable investiture de Pierre Nkurunziza, le président sortant, les tensions sont manifestes et des craintes d’une escalade de la violence sont bien réelles. La FIDH et la Ligue ITEKA, qui ont pu documenter plusieurs cas de violences pré-électorales et craignent une véritable dégradation du contexte sécuritaire à l’approche des scrutins, appellent les acteurs politiques à s’abstenir de tout acte qui pourrait conduire à une généralisation de la violence, sous peine d’en être tenus pénalement responsables.

«  Les élections à venir sont cruciales pour le Burundi. Or, le contexte actuel ne présage en rien la tenue de scrutins libres et sécurisés. Des milliers de Burundais fuient leur pays par crainte pour leur sécurité, les manifestations de l’opposition sont réprimées dans la violence, les exactions commises par les Imbonerakure persistent et la société civile continue d’être stigmatisée par le pouvoir. Il s’agit là de très mauvais signaux et les acteurs politiques burundais doivent en prendre la mesure et prévenir tout embrasement de la situation  » ont déclaré nos organisations.

La répression s’accroît contre les opposants à un troisième mandat de Pierre Nkurunziza

Le Président Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, pourrait être investi par son parti, le CNDD-FDD, comme candidat à l’élection présidentielle. Ces derniers mois, plusieurs voix, parmi lesquelles celles des principaux partis de l’opposition, des organisations de la société civile, les églises, des diplomaties étrangères ou même des membres du parti au pouvoir se sont élevées contre sa candidature qu’ils jugent contraire aux dispositions de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi (2000) et de la Constitution burundaise (2005).

La FIDH et la Ligue ITEKA, qui ont pu interroger, en février 2015, plusieurs acteurs politiques burundais, représentant(e)s de la société civile et diplomates présents à Bujumbura, craignent que le durcissement de la répression contre ceux qui s’opposent au troisième mandat ne conduise à une multiplication des exactions à caractère politique. «  La contestation d’un troisième mandat de Pierre Nkurunziza s’accentue et l’étau se resserre autour de lui et des soutiens qu’il détient au sein de son parti. À mesure qu’approche la tenue du Congrès du parti présidentiel, le régime semble vouloir répondre à cette pression par la force, les sanctions et l’intimidation  » ont ajouté nos organisations.

Le 19 avril dernier, de violents affrontements ont opposé les forces de police burundaises à des centaines de personnes venues manifester dans la capitale, Bujumbura, contre un troisième mandat présidentiel de Pierre Nkurunziza. Pour disperser les manifestants, la police a usé de canons à eaux, de grenades lacrymogènes et de matraques. 2 policiers auraient été blessés dans les affrontements et 105 manifestants arrêtés, parmi lesquels 65 ont été inculpés pour participation à un mouvement insurrectionnel et transférés à la prison de Muramvya, à environ 50 km de la capitale. Ils encourent jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Lundi 20 avril, lors d’une conférence de presse commune, les Ministres de l’Intérieur, de la défense, de la justice et de la sécurité publique ont durci le ton et laissé entendre que les autorités pourraient accentuer la répression contre les manifestants s’opposant au troisième mandat.

Au sein de la mouvance présidentielle, les sanctions ont visé ceux qui se sont ouvertement opposés à la candidature du président sortant. Dans une pétition datée du 20 mars 2015, 17 hauts représentant(e)s du CNDD-FDD ont appelé le Président à se conformer à la position du Conseil des sages du Parti l’appelant à ne pas se représenter sous peine de conduire le pays vers la chaos. Parmi les signataires de la pétition figuraient le porte-parole du Président, celui du parti ou encore le Gouverneur de la province de Bubanza. Tous ont été démis de leurs fonctions. Le même sort a été réservé aux Gouverneurs des provinces de Bujumbura Rural, Muramvya et de Karusi, ainsi qu’au Directeur général de la Radio et télévision nationale (RTNB). Nos organisations ont par ailleurs appris qu’une dizaine de hauts cadres de la CNTB (Commission nationale des terres et autres biens) et une vingtaine d’employés du Parlement ont récemment été licenciés pour les mêmes raisons.

Des milliers de Burundais fuient le pays par crainte pour leur sécurité

«  De nombreux actes de violence pré-électorales sont survenus ces derniers mois dans plusieurs provinces du Burundi et ont ciblé en particulier les militants de l’opposition et les opposants au troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Les populations vivent dans la crainte que la situation ne se détériore et cherchent légitimement à se mettre à l’abri. C’est la stabilité du Burundi et de la sous-région qui sont désormais en jeu  » ont prévenu nos organisations.

Fuyant les violences pré-électorales et craignant une escalade de l’insécurité à l’approche des scrutins, près de 8,000 Burundais auraient quitté leur pays pour se réfugier au Rwanda et en République démocratique du Congo. D’après nos informations, certains auraient également commencé à rejoindre la Tanzanie. Selon le HCR, les réfugiés, qui proviennent principalement de la province de Kirundo, au nord du Burundi, auraient invoqué des actes de harcèlement et d’intimidation à motivation politique, des disparitions forcées de leurs proches et des recrutements forcés par les membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure.

En février 2015, la FIDH et la Ligue ITEKA ont pu interroger des habitants de la province de Kirundo, victimes de violences pré-électorales. L’un d’entre eux, membre du parti d’opposition FRODEBU-NYAKURI a déclaré à nos organisations, "le 26 janvier 2015, j’ai quitté le chef lieu de la commune de Bugabira et suis rentré chez moi. J’ai entendu des jets de pierre sur le toit de ma maison. Je suis sorti pour regarder ce qu’il se passait et ai été capturé par des Imbonerakure de notre colline qui m’ont conduit de force sur la route. Il m’ont battu avec des fers à béton, des gourdins et des bâtons. C’était un groupe de plus de 20 personnes de ma colline. Ils ont fui quand les voisins sont venus voir ce qui se passait […] Aujourd’hui on se regarde en chiens de faïence. Sur la colline sont représentés l’UPRONA, les FNL, le CNDD-FDD et le FRODEBU. Maintenant il y a des endroits qu’on a peur de fréquenter parce qu’ils sont tenus par le CNDD-FDD. Ils nous appellent, nous les membres de l’opposition des Ibipinga [des gens avec lesquels il faut en découdre]. Aujourd’hui, je continue de participer aux réunions de mon parti. Mais les Imbonerakure viennent à nos réunions et les perturbent. Ils lancent des pierres pour nous empêcher de les tenir. Ce sont surtout les militants UPRONA et FRODEBU-NYAKURI qui sont harcelés par les Imbonerakure. Le Président de FRODEBU-NYAKURI est originaire de la province de Kirundo. C’est dans cette province où il a le plus d’adhérents. On n’attend rien de la justice quand ce sont les Imbonerakure qui commettent des forfaits. Ce sont des intouchables, protégés par la justice. Moi je ne peux pas fuir. Vous savez, ils nous font peur parce qu’ils veulent qu’on quitte, qu’on fuit pour qu’ils restent seuls pendant les élections. C’est pourquoi nous n’allons pas fuir ».

Un autre habitant originaire de Kirundo, lui aussi membre du parti FRODEBU-NYAKURI a déclaré à nos organisations, « Le 23 décembre 2014, l’administrateur de Gitobe est passé près de ma boutique et m’a menacé en me disant « toi Ibipinga d’ici, je vais travailler sur toi aujourd’hui ». Plus tard, il est repassé près de ma boutique dans un véhicule rempli d’Imbonerakure à l’arrière. Ils ont attaqué ma boutique. Moi j’ai eu le temps de fuir. Le lendemain, j’ai pris tout ce qu’il restait dans ma boutique et l’ai déplacé dans un autre endroit à Busoni. Mais en janvier 2015, deux Imbonerakure ont encore tenté d’ouvrir ma boutique de force. Je pense que la guerre va commencer dans notre commune. Si j’analyse le CNDD-FDD, même si ils sont vaincus, ils ne quitteront pas le pouvoir ».

«   Les autorités burundaises doivent prendre les mesures nécessaires pour qu’il soit mis un terme immédiat aux menaces, actes de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des militants de l’opposition ou des personnes perçues comme étant proches de l’opposition. Sous peine d’entacher la crédibilité du processus électoral, elles doivent garantir le plein respect de la liberté d’expression et du droit de manifestation pacifique. Elles doivent de surcroît s’assurer que les Imbonerakure responsables d’exactions répondent de leurs actes devant les juridictions compétentes  » ont ajouté nos organisations.

«  La communauté internationale, en particulier l’Union africaine et les Nations Unies doivent accentuer la pression sur les autorités burundaises pour prévenir l’escalade de la violence et garantir la tenue de scrutins libres, crédibles et inclusifs » ont-elles ajouté .

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  • Co-signataires

    Les enjeux du 3ème mandat de Pierre Nkurunziza

    Aux termes de l’article 7 de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation (2000) et de l’article 96 de la Constitution (2005), le Président de la République burundaise est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Pour le CNDD-FDD, Pierre Nkurunziza a certes exercé deux mandats présidentiels, mais le parti rappelle qu’en 2005, Nkrurunziza a été élu par le Parlement et considère qu’il n’a par conséquent pas exercé son premier mandat (2005-2010) à l’issue d’un suffrage universel direct. Or, pour l’opposition et la société civile, cet argument ne tient pas dans la mesure où l’article 103 de la Constitution stipule que « le mandat du Président de la République débute le jour de sa prestation de serment » et que le Président sortant a prêté serment à deux reprises (en 2005 et en 2010). Les opposants au troisième mandat soulignent par ailleurs que la Constitution de 2005 prévoit explicitement, aux termes de son article 302, que « le premier Président de la République post-transition est élu par l’Assemblée Nationale et le Sénat ». Ils rappellent à ce propos que c’est ce même article 302 de la Constitution que le parti au pouvoir a tenté, sans succès, d’amender en 2014, signe selon eux d’une volonté du parti au pouvoir de tout mettre en œuvre pour permettre à Nkrurunziza de briguer un nouveau mandat.

    En février 2015, la FIDH et la Ligue ITEKA ont pu interroger plusieurs acteurs politiques burundais et diplomates en poste à Bujumbura et constater la véritable tension qui règne autour de la question d’une possible candidature de Pierre Nkurunziza. Plusieurs membres de l’opposition se sont dits farouchement opposés à une telle candidature. Pour l’un d’entre eux « la candidature de Pierre Nkurunziza va contribuer à exacerber les tensions. Les articles 96 et 302 de la Constitution doivent être lus complémentairement. Le mandat du Président de la République prend effet le jour de sa prestation de serment ». Pour un autre « nous sommes catégoriques, il n’est pas question que Nkurunziza se représente pour un troisième mandat. Un troisième mandat équivaudrait à une descente aux enfers. Il n’a jamais eu de demi-mandat. Si il brigue un 3ème mandat, il aura signifié qu’il n’y aura plus d’accord d’Arusha, plus de Constitution, donc que le désordre est permis ».

    Pour Pascal Nyabenda, président du CNDD-FDD, rencontré par nos organisations « le problème c’est que les gens veulent comparer le Burundi avec le Congo. Mais la situation est différente. Nous sommes dans un pays encore en transition. Le mandat de 2005 à 2010 était un mandat partagé. Celui de 2010 à 2015 est différent. L’article 96 de la Constitution dit que le Président est élu au suffrage universel. Il y en a qui évoquent les articles 103 et 302 de la Constitution. Ceux qui étaient à Arusha disent que nous nous sommes convenus que le Président serait élu pour deux mandats maximum. La Cour Constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée parce qu’elle n’a pas encore été saisie. L’opposition a peur de notre Président c’est tout  ».

    Les diplomates rencontrés par nos organisations ont eux aussi fait part de leurs craintes de voir la situation politique et sécuritaire se détériorer, tant les tensions se cristallisent autour de la question du 3ème mandat du président sortant. Pour l’un d’entre eux « la question du 3ème mandat est un facteur de risque qui peut inciter les populations à se mettre dans une dynamique de la violence ». Un autre est allé encore plus loin en déclarant « Le 3ème mandat n’est pas légal. Si l’article 302 de la Constitution avait été supprimé, il n’y aurait pas eu de débat sur le 3ème mandat. C’est pour cela que le gouvernement voulait le supprimer. Mais le processus de révision a échoué. De mon point de vue, il faut interpréter les deux textes [l’Accord d’Arusha et la Constitution] ensemble ».

    La FIDH et la Ligue ITEKA réitèrent leur appel aux autorités à s’assurer d’un processus électoral réellement inclusif, qui permette aux candidats de l’opposition de concourir librement, et à lutter de manière effective contre les actes de violence à caractère politique. Pour nos organisations, si le débat sur la possibilité pour le Président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat doit être examiné à la lumière de la légalité, il doit également amener le pouvoir actuel à pleinement garantir les principes démocratiques et à éviter toute dérive autoritaire.

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