Un peu de leur honneur rendu

30/01/2008
Communiqué

Par Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des ligues
des droits de l’Homme (FIDH)

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Des mots simples, des maux durs, des visages encore apeurés ou étonnamment
calme, au regard de l’horreur vécue. La peur, aussi, qui se lit au fond des
yeux... De la République centrafricaine à l’Ouganda, en passant, dernièrement,
par le Darfour la République démocratique du Congo, où nous les avons une
nouvelle fois entendus, nous gardons ce sentiment qu’en dépit de leur
multiplicité, les témoignages de ces femmes et de ces enfants violés - mais
aussi, et on les oublie trop souvent, ces nombreux hommes - racontent tous la
même souffrance. De tous les crimes commis, les crimes sexuels comptent parmi
les plus atroces, particulièrement lorsqu’ils se déroulent en temps de guerre.
L’horreur est poussée alors jusqu’à transformer les corps en cibles, en
objectifs de guerre, voire comme moyen de la faire. Ils relèvent d’ordres
donnés par la hiérarchie militaire, et revêtent alors d’une dimension toute
autre, atteignant ainsi la qualification de crimes de guerre, voire de crimes
contre l’humanité.

De l’impunité à la banalisation Dans cette région du monde, tout
particulièrement, où les conflits ont ravagé les corps et les consciences de
chacun, où les pires atrocités ont été commises, nous devons à tout prix
stopper ces violences sexuelles, qui continuent aujourd’hui encore de se
commettre, en masse. Car contrairement aux idées reçues, la « paix »
 encore faut-il être très prudent avec ce mot -, revenue dans certains de ces
pays, n’a pas eu pour conséquence directe une diminution des crimes sexuels,
loin de là. La banalisation de ces exactions, qui fait écho à l’impunité dont
ont pu bénéficier leurs auteurs, a en effet eu des conséquences désastreuses au
niveau de la société, où le viol est devenu un comportement courant.

Justices défaillantes Dans la poursuite des auteurs de viols, les
juridictions nationales ont partout montré leurs défaillances, qu’il s’agisse
d’hommes en armes ou de civils. Que ce soit dans les conditions d’acceptation
des plaintes, dans le traitement judiciaire qui en découle, ou bien encore dans
le suivi des rares condamnations obtenues : rien ne semble devoir être
prévu pour venir en aide aux victimes. Ainsi au Soudan, la Charria exige que
quatre hommes au moins soient témoins de la scène du viol, pour que la plainte
de la victime soit jugée valide. En Ouganda, les procédures et leurs coûts sont
tels qu’aucune plainte n’aboutit réellement. En RDC, bien que deux lois aient
été adoptées pour lutter contre les violences sexuelles, celles-ci ne sont
pratiquement pas appliquées. Et lorsqu’elles le sont – six condamnations
effectives pour viols utilisés comme crimes contre l’humanité ont été seulement
recensées jusqu’aujourd’hui -, leurs auteurs se retrouvent très rapidement dans
la nature, après s’être évadés de prison avec une facilité déconcertante.
Lorsque ces violences sexuelles sont assimilées aux crimes les plus graves, et
lorsque les juridictions nationales sont jugées à ce point défaillantes, la
Cour pénale internationale est censée alors prendre le relais, et exiger des
Etats le transfert de ces criminels.

Or le procureur de la CPI, s’il a su obtenir l’extradition de Thomas Lubanga
de RDC, il n’a pas été jusqu’à poursuivre ce dernier pour les crimes sexuels
perpétrés, en dépit des preuves flagrantes que nous lui avions fournies. Autant
de prudence ne peut et ne doit se justifier. Ce sont bien des viols qui ont été
commis, et qui plus est, des viols massifs et systématiques.

Appel Physiquement, moralement ces victimes de crimes sexuels, ne
retrouveront la sérénité qu’avec une force intérieure immense. Dans leurs yeux,
les visages de leurs bourreaux resteront ancrés jusqu’à leur mort, et pour
nombre d’entre eux, la seule solution pour survivre est de rechercher la
justice. C’est pourquoi elles s’organisent, témoignent, font pression auprès de
leurs autorités afin d’obtenir justice, avec un courage et une détermination
qui forcent l’admiration. Avec la plupart du temps, comme fil rouge de leur
démarche le besoin de retrouver un peu de leur honneur. Nous devons leur rendre
hommage, ainsi qu’à toutes les ONG de terrain qui les soutiennent et se battent
courageusement au quotidien pour que ces exactions soient connues et jugées.
Tous ces militants qui viennent également en soutien à ces victimes
traumatisées et blessées, touchées par le VIH et autres MST, ou qui travaillent
encore auprès des populations pour les sensibiliser à l’horreur de ces crimes.
Nous devons les soutenir, nous aussi, et c’est à cette fin que nous lançons
aujourd’hui cet appel à la mobilisation générale de la communauté
internationale pour l’éradication des crimes sexuels.

A l’orée de l’année 2008, qui verra le monde entier célébrer le soixantième
anniversaire de la plus célèbre des déclarations, nous devons tous nous
promettre de mettre définitivement et collectivement fin à ces crimes d’un
autre âge. Pour ces dizaines de milliers de victimes de crimes sexuels, cette
année doit être - enfin - celle de la justice, et donc de la paix enfin
regagnée.

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