Violences et intolérance en Tunisie

15/06/2012
Communiqué

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) est vivement préoccupée par des atteintes à la liberté d’expression et de conscience enregistrées depuis quelques semaines, et par les actes de violence intervenus ces derniers jours dans plusieurs régions de la Tunisie qui constituent une menace aux droits et aux libertés.

Le 10 juin 2012, dernier jour de l’exposition « Printemps des arts » au Palais Abdellia à la Marsa, banlieue nord de Tunis, deux personnes se réclamant de la mouvance salafiste sont venus avec un huissier de justice demander que des œuvres considérées blasphématoires et contraires aux bonnes mœurs soient enlevées. Suite au refus des responsables de l’exposition, des dizaines de personnes identifiées comme salafistes ont manifesté à la tombée de la nuit scandant des slogans contre les artistes, parvenant à s’introduire dans le palais et dégradant quelques œuvres. Elles ont alors été dispersés par les forces de l’ordre venues surveiller les lieux. Le lendemain, le Palais était attaqué par vagues successives de salafistes et des tags fustigeant les « mécréants » étaient inscrits sur les murs du bâtiment.

Dans la nuit du 11 au 12 juin, une flambée de violence attribuée par le Premier ministre à des groupes composés de salafistes, de délinquants et d’anciens du régime Ben Ali, a touché plusieurs régions. Ainsi, le tribunal de première instance Tunis 2 a été incendié et des postes de police ont été pris d’assaut. Simultanément, à Jendouba, Sousse et Monastir, des sièges régionaux de la centrale syndicale de l’Union générale des travailleurs tunisiens ainsi que des sièges de partis politique ont été attaqués. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont fait un mort, Fehmi El Aouini, un jeune homme de 22 ans, tué par balle, une centaine de blessés dont 65 des forces de l’ordre et plus de 160 personnes ont été arrêtées.

Les autorités ont dénoncé ces actes de violence qu’elles ont qualifié de terroristes, et ont déclaré leur intention de juger les personnes arrêtées en vertu de la loi anti-terroriste de 2003 toujours en vigueur.

Dans un communiqué rendu public le 13 juin, le président de la République, le président de l’Assemblée nationale constituante ainsi que le chef du gouvernement ont lancé un appel au dialogue, à l’unité nationale et à la solidarité et ont condamné la violence des groupes extrémistes. D’autre part, ils ont aussi condamné ce qu’ils ont considéré comme une atteinte au sacré qui dépasserait selon eux le cadre des libertés et d’expression. Le ministre de la culture, Mehdi Mabrouk, a décidé la fermeture du Palais Abdelli et le déclenchement de poursuites judiciaires contre l’Association des arts de la Marsa qui a organisé le festival du Printemps de l’art plastique pour atteinte aux bonnes mœurs et à l’ordre public.

De plus, le groupe parlementaire des députés membres d’Ennahdha a annoncé le 12 juin qu’il allait proposer une loi incriminant toute atteinte au sacré. Les libertés d’expression et de création, selon eux, ne peuvent pas être absolues, elles doivent respecter les croyances et les mœurs du peuple tunisien.

Le mouvement salafiste « Ansar Al-Chariaa » a lancé un appel à manifester pour protester contre ce qu’ils ont considéré comme des atteintes à l’Islam. Cet appel a été soutenu par Rached Ghannouchi, fondateur du parti Ennhada. Cette manifestation a été finalement interdite par le ministère de l’intérieur.

La FIDH s’inquiète vivement de cette vague de violences ciblant autant les personnes que les biens publics et privés, d’autant plus qu’elles surviennent deux jours après l’appel lancé aux Tunisiens par le chef d’Al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, pour que l’application de la charia soit imposée en Tunisie.

La FIDH condamne avec la plus grande vigueur les actes de violence et d’intolérance perpétrés ces derniers jours.

Elle exprime ses plus vives préoccupations face à la recrudescence des actes de harcèlement voire des appels au meurtre intervenus ces dernières semaines en Tunisie contre des artistes, des militant-e-s des droits humains, députés et syndicalistes qualifiés de mécréants et apostats. Elle appelle les autorités à prendre les mesures nécessaires afin de prévenir de tels actes et de diligenter des enquêtes indépendantes et impartiales pour que toute la lumière soit faite sur ces violences et que les responsables de ces actes rendent des comptes devant la justice.

La FIDH prend bonne note de la position du président de la République, du président de l’Assemblée nationale constituante et du chef du gouvernement dénonçant les violences perpétrées. Elle regrette cependant leur condamnation de ce qu’ils considèrent comme des atteintes au sacré du peuple et de la nation et qui dépasseraient selon eux le cadre des libertés d’expression et de création.
Par ailleurs, la FIDH s’inquiète des déclarations du représentant du ministère de la justice faisant référence à la réactivation de la loi anti-terroriste, une loi dont nous avons dénoncé le caractère liberticide à maintes reprises depuis son adoption par le régime de Ben Ali en 2003.

La FIDH appelle les autorités tunisiennes à garantir les libertés d’expression, de conscience et de religion conformément aux obligations internationales de la Tunisie, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié en 1968. La FIDH appelle à cet égard les autorités à renoncer à toutes poursuites annoncées par le Ministre de la culture à l’encontre des organisateurs du Printemps des arts.

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