Prison de Moussoro : Quand l’Etat institutionalise le bagne

24/02/2012
Rapport

Publication du rapport d’enquête et d’information de la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) sur la prison de Moussoro

La Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) publie ce jour, un rapport d’une mission d’enquête et d’information sur la prison de Moussoro.

Mission qui a été rendue possible grâce au financement de la Diakonie Droit de l’Homme sur les fonds de l’Union Européenne.

Prison de Moussoro : Quand l’Etat institutionalise le bagne

Début décembre 2011, à la surprise générale, et sans explication publique, le Gouvernement tchadien prend une mesure visant à la délocalisation de la Maison d’Arrêt de N’Djamena vers Moussoro, localité située à plus de 300 kilomètre au Nord de la capitale.

Quelques jours plutard, plus d’un millier de personnes en détention entre autres, des prévenus, des accusés, des condamnés, des mineurs, des femmes, et des hommes sont, sans discernement, embarqués dans de véhicules gros porteurs de l’Armé Nationale et débarqués à Moussoro, entre dunes et sables, dans des conditions de traitement inhumains et dégradants.

Face à cette situation ainsi créée, dans un contexte où les détenus se retrouvent brutalement isolés de leurs communautés familiales et de leurs conseils respectifs, la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme, préoccupée par des témoignages persistants alléguant des conditions de détention cruelles, inhumaines et dégradantes, décident d’une mission d’information à Moussoro, pour observer et vérifier le nouveau régime carcéral de cet établissement pénitentiaire.
La mission s’est déroulée dans un contexte de tension politico-judiciaire engendrée par l’arrestation, la détention arbitraires, et la déportation à Moussoro d’un défenseur des droits de l’Homme par le Procureur de la République près le Tribunal de 1ère Instance de N’djamena.
La mission visait un triple objectif :

  • Faire l’état des lieux des conditions de détention, au regard des normes et standards régionaux et internationaux ratifiés par le Tchad ;
  • Etudier les conditions d’exercice du droit de la défense ;
  • Manifester la solidarité de la Ligue Tchadienne des droits de l’Homme et de la société civile à l’endroit du Président de l’Association Droits de l’Homme Sans Frontière (DHSF), victime de l’arbitraire.

Au regard de leurs conditions de vie, beaucoup de prisonniers nous ont dit que, être prisonnier à Moussoro, c’est être réduit à une vie de sous-homme, c’est devenir une personne sans droit. Notre équipe est unanime sur ce constat : ce que nous avons vu ne peut que susciter deux attitudes : de la pitié pour ces personnes brutalement déportées et incarcérées, sans préparation psychosociale, mais aussi un sentiment de révolte devant ce que vivent ces détenus, et qui, apparemment, n’émeut pas nos autorités, puisque des inculpés continuent d’être envoyés à Moussoro. Il faut plus d’humanité pour nos détenus ! Les initiateurs de la prison de Moussoro n’ont pas pensé à l’après- prison, et nul doute qu’on en sortira plus perverti que lorsqu’on y est entré ; parce que au Tchad, le bagne a pour but de punir et non d’éduquer, de redresser pour aider à une meilleure réintégration. Quoi de plus étonnant que la récidive par ces exclus gagne en ampleur et en étendue ?

A la surprise générale, le 28 décembre 2011, le Tribunal de Première Instance de N’Djamena se délocalise à son tour en audiences foraines à Moussoro pour connaitre des cas de détenus déportés de la Maison d’Arrêt de N’Djamena. Après l’ouverture solennelle de l’audience foraine par le Ministre de la Justice, qui a spécialement effectué le déplacement pour la cause, le Tribunal s’est mis au travail, avec une vitesse moyenne de 40 dossiers par jour. Il est à noter que pendant cette audience foraine tenue au siège du Tribunal de Moussoro, aucune partie civile ne s’est présentée à la barre pour faire valoir ses prétentions. Aussi, dans un communiqué de presse, l’ordre des avocats a dénonce l’illégalité de ces audiences foraines, et en réaction aucun avocat ne s’est évertué à effectuer le déplacement de Moussoro.

Que peut-on retenir ?

La première interrogation, qui vient directement à l’esprit est celui de la légalité même de ces audiences foraines. En principe, lorsqu’une infraction est commise, c’est soit le tribunal du lieu de commission de l’infraction, ou soit celui de la résidence du prévenu qui est compétent pour connaître cette affaire. En effet, les dispositions de les articles 26 et 27 du code de procédure pénale tchadien disposent respectivement que « sont compétents pour la mise en mouvement et l’exercice de l’action publique, l’instruction et le jugement des crimes et délits, respectivement, le ministère public, le juge d’instruction, le juge résident ou le juge de paix, le tribunal ou la cour criminelle dans le ressort desquels :
Soit l’infraction a été commise ; soit se trouve la résidence de l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction, inculpées ou accusées ; soit l’une de ces personnes a été arrêtée ou se trouve détenue, même pour une autre cause » ; « la poursuite et le jugement de contraventions de simple police sont attribués respectivement au ministère public et au tribunal correctionnel et de simple police dans le ressort duquel la contravention a été commise ».

Dans le cas d’espèce, les infractions ont été commises à N’Djamena ou dans le ressort territorial de son tribunal. D’autre part, aucun des détenus n’a une résidence à Moussoro ou encore des présumés complices qui seraient détenus dans cette prison. Il va de soit, au regard de ces éléments de faits et de droit dégagés, que la compétence territoriale revienne tout naturellement au Tribunal de Première de N’Djamena. Justement c’est le tribunal qui a été saisi de ces affaires et il a même déjà enrôlé certaines pour l’audience du 23 décembre 2011, mais la déportation des prévenus à Moussoro a empêché que les dossiers soient instruits à la barre et ce conformément aux dispositions de l’article 309 du code de procédure pénale qui mentionne que « le prévenu doit comparaître en personne… ».

C’est contre toute attente que ces audiences foraines ont été organisées. Même si par définition une audience foraine est celle qui se tient hors de son cadre habituel, l’article 27 de la loi 004/PR/98 du 28 mai 1998 portant Organisation Judiciaire précise que « Tribunal de Première Instance peut tenir des audiences foraines dans tout son ressort ». Or, Moussoro n’est pas du ressort territorial du Tribunal de Première Instance de N’Djamena. L’audience foraine de Moussoro s’est tenue comme si le Tribunal de Première Instance de N’Djamena était encore dans son ressort territorial. Ce sont ces entorses aux règles préliminaires de la procédure qui ont poussé l’ordre des avocats, au regard des arguments de droits avancés, à boycotter ces audiences foraines.

La conséquence immédiate est que les débats à cette audience n’étaient pas riches et fournis à cause de l’absence des parties civiles et des témoins car ils sont tous supposés habiter N’Djamena, et aucun n’accepterait de prendre le risque de venir en aventure à Moussoro sans avoir de fonds nécessaires pour se prendre en charge dans cette ville fortement militarisée avec le contrôle physique des militaires.
La deuxième interrogation fondamentale est de savoir si la tenue des audiences foraines à Moussoro n’a pas mis en mal les règles et standards requis pour un procès équitable. Par définition, pour qu’un procès soit qualifié de juste et équitable, il doit au moins remplir vingt cinq principes fondamentaux (cf. rapport)

La troisième renvoie à l’attitude magistrats et des juges : peut-on être sous serment et cautionner l’illégalité ? Ont-ils un seul instant eu à l’esprit que désormais les justiciables ont désormais un regard défiant vis-à-vis d’eux ?

La justice est le dernier rempart contre l’arbitraire, en se pliant devant une décision politique scélérate pour appliquer dans l’illégalité une justice, en créant ce dangereux précédant, c’est simplement tous les fondements de l’Etat de droits que les uns et les autres remettent ainsi en cause.

Au demeurant, la décision de délocaliser la maison d’arrêt de Ndjamena, la déportation des détenus, dans des conditions telles que vécues, ainsi que le tenue et la poursuite des audiences foraines sont tout simplement une chaîne de décisions irresponsables. Vue sous l’angle des droits de l’homme, des libertés et de la justice, les autorités politiques et judiciaires n’honorent pas la Renaissance.

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