NOTE SUR LA SITUATION DES DÉFENSEURS DES DROITS DE L’HOMME EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

24/12/2008
Rapport
RDC

L’année 2008 a été marquée par la reprise de la guerre à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), la radicalisation des tensions entre les acteurs politiques congolais et, dans ce contexte, une restriction sensible des libertés fondamentales gravement préjudiciable aux défenseurs des droits de l’Homme.

Piétinant l’accord de paix de Goma signé en janvier 2008 et le processus Amani (« paix » en Swahili), de violents combats ont repris en août entre les troupes du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général dissident Laurent Nkunda et les Forces armées de la RDC (FARDC), notamment pour le contrôle des ressources naturelles et de certaines zones du pays. Les affrontements se sont déroulés en violation totale du droit international humanitaire et des droits de l’Homme. Les populations civiles ont été victimes d’exécutions sommaires, de viols, de recrutements forcés, de vols et de pillages et autres violations commises par les différentes forces armées en présence. La population a dû fuir en masse les combats, pour se rendre soit dans des camps de déplacés soit en Ouganda.

Dans cette situation de conflit ouvert, les autorités gouvernementales et les rebelles ont radicalisé leurs positions vis-à-vis de toutes voix contestataires pouvant, selon eux, saper leur autorité qu’elles proviennent des partis politiques ou de la société civile. Ainsi les libertés d’expression, de rassemblement pacifique et d’association ont été particulièrement mises à mal en 2008 : les médias indépendants sont régulièrement fermés sur décision du Ministre de la Communication, ou encore attaqués par les services de sécurité, notamment lorsqu’ils diffusent des interviews de membres de l’opposition [1]
. Par ailleurs, en dépit de l’introduction par l’article 26 de la Constitution d’un régime d’information, l’organisation des manifestations publiques reste en pratique arbitrairement soumise à l’autorisation du Gouvernement [2]
. Enfin, un certain nombre d’associations de défense des droits de l’Homme continuent à travailler sans personnalité juridique en dépit de l’accomplissement de toutes les formalités administratives.

Cette intensification de la tension s’explique aussi par les avancées cruciales qu’a connues la justice internationale en 2008 : le 24 mai, M. Jean-Pierre Bemba, président du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2006, a été arrêté par les autorités belges conformément au mandat d’arrêt international délivré par la Cour pénale internationale (CPI) [3]
pour les crimes présumés commis par ce dernier et par les hommes placés sous sa responsabilité en République centrafricaine en 2002/2003. En outre, le procès contre M. Thomas Lubanga [4]
, ancien chef rebelle de l’Union des patriotes congolais (UPC), qui s’est ouvert le 23 juin, devrait reprendre en 2009 à La Haye.

Dans ce contexte, les organisations de la société civile qui luttent en faveur de la fin de l’impunité des auteurs de violations graves des droits de l’Homme, notamment en soutenant la justice internationale et qui réclament le respect de la Constitution congolaise et l’instauration d’un régime démocratique en RDC [5]
se sont heurtées à la répression des autorités au pouvoir. En outre, les membres d’organisations qui dénoncent les violations perpétrées tant à l’est de la RDC que dans le reste du pays, sont assimilés à des ennemis de l’Etat ou à des traîtres, et ont été soumis à une répression féroce aussi bien de la part du Gouvernement que des milices et des groupes armés.

D’une manière générale, les défenseurs des droits de l’Homme en RDC ont payé en cette année 2008 un lourd tribut, ne bénéficiant d’aucune protection de la part du Gouvernement.

I. Contexte géopolitique

1/ Stigmatisation et attaques envers les défenseurs à Goma et dans les Kivu

Depuis l’amorce des discussions le 8 décembre 2008 entre les forces régulières de RDC et le CNDP sous la médiation d’Olusegun Obasanjo à Nairobi, la situation à Goma semble s’être relativement apaisée. L’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu ainsi que l’instauration d’un couvre feu - assuré par la police congolaise, les FARDC et la MONUC à Goma et dans les environs directs de la capitale du Nord-Kivu - ont en effet eu pour conséquence de réduire quelque peu l’insécurité. Cependant, des rumeurs font état d’éléments infiltrés du CNDP dans la ville de Goma, ce qui limiterait les actions des défenseurs des droits de l’Homme pour cause d’insécurité et par crainte de représailles.

Le reste de la province du Nord-Kivu est de facto divisé en deux zones : une zone occupée par les rebelles du CNDP, une autre par les FARDC.

Même si l’ouverture d’un couloir humanitaire entre ces deux secteurs début novembre 2008 permet désormais aux ONG humanitaires et à la MONUC de mieux circuler dans la province, les défenseurs des droits de l’Homme et leurs organisations ne restent pas moins soumis à des attaques physiques et verbales, dans un contexte d’extrême insécurité dans lequel ils sont régulièrement accusés de collusion avec l’une ou l’autre des parties au conflit lorsqu’ils dénoncent de façon objective les violations des droits de l’Homme. A cet égard, l’unité "témoins, victimes et défenseurs" de la MONUC semble avoir été dépassée par les récents événements, et a montré ses limites en termes de protection concrète des défenseurs.

Dans la province du Sud-Kivu, le degré d’insécurité demeure extrêmement élevé du fait de la présence d’une multitude de groupes armés congolais et étrangers, dont les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR - rebelles rwandais dont la plupart des membres sont issus des Interahamwe), les Forces armées rwandaises (qui opèrent des incursions répétées sur le sol congolais), auxquels s’ajoutent des éléments armés nationaux (forces armées régulières et les groupes locaux d’autodéfense Maï-maï). Des heurts et des combats entre ces différents éléments sont régulièrement signalés à l’intérieur de la province du Sud-Kivu, notamment dans des zones frontalières avec le Rwanda et le Burundi.

Dans cette province également, les défenseurs relatant les violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire par les différents acteurs armés restent dans une situation d’extrême insécurité.

2/ Situation tendue dans la région stratégique de la Province orientale

Même si la Division Est de la MONUC a été récemment déplacée de Kisangani à Goma, Kisangani reste la base arrière de la mission des Nations unies, mais aussi des FARDC, pour le renfort de leurs opérations à l’est.

Par ailleurs, un grand nombre de rebelles de l’Armée de Résistance du Seigneur (Lord Resistance Army - LRA) sont présents dans le parc de Garamba, au sein du territoire de Dungu, proche de l’Ouganda. Plusieurs éléments de la LRA ont récemment commis des viols, des enlèvements, des enrôlements forcés et des pillages, affectant directement les populations civiles, non seulement à Dungu, mais aussi dans la localité de Bangadi, attaquée dans la nuit du 19 au 20 octobre 2008, et causant la mort de plusieurs personnes ainsi que de nombreux dégâts matériels. Au cours de cette même période, des prêtres du diocèse de Dungu-Doruma dénonçant les violations commises par la LRA et protégeant les populations civiles ont aussi été attaqués. En décembre, les armées ougandaise, congolaise et du Sud-Soudan ont lancé une offensive conjointe contre la LRA, attaquant sa base dans le parc de Garamba.

La reprise intense du conflit début octobre dans le Nord-Kivu a eu des répercussions dans la Province orientale, suite à l’apparition d’un nouveau mouvement rebelle venu d’Ituri, le Front populaire pour la justice au Congo (FPJC), que les FARDC tentent de combattre. Début octobre 2008, des manifestations d’étudiants semblent avoir été provoquées par les autorités dans plusieurs villes contre la MONUC suite à la reprise intense des combats dans le Nord-Kivu et dans la province orientale (cf. II.7). Dans ce contexte, les défenseurs des droits de l’Homme dénonçant la manipulation des jeunes par les autorités à Kisangani sont régulièrement accusés d’"anti-patriotisme".

3/ Stigmatisation des défenseurs dans la province de l’Equateur

Dans la province de l’Equateur, d’où est originaire M. Jean-Pierre Bemba, les ONG dénonçant les arrestations et détentions arbitraires de membres du MLC sont constamment harcelées par les autorités, qui les accusent d’être pro-Bemba. Les ONG luttant en faveur de la justice internationale sont quant à elles régulièrement attaquées par des éléments du MLC.

4/ Harcèlement et surveillance des défenseurs dénonçant l’exploitation abusive des ressources naturelles dans la province de l’Equateur et au Katanga

En RDC, de nombreuses entreprises minières congolaises et étrangères développent leurs activités en dehors du cadre légal national et des instruments internationaux, notamment dans la province du Katanga et de l’Equateur. Les autorités locales, qui jouissent d’une certaine liberté par rapport au pouvoir central, sont régulièrement accusées de collusion avec certaines de ces entreprises par les défenseurs des droits de l’Homme et avocats de la région, ce qui leur vaut d’être la cible de ces mêmes autorités.

II. Répression multiforme à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme

L’hétérogénéité des contextes politiques et géopolitiques dans les différentes régions de RDC explique le caractère multiforme de la répression dont continuent de faire l’objet les défenseurs des droits de l’Homme congolais.

1/ Harcèlement judiciaire contre les défenseurs dénonçant l’arbitraire

A Kinshasa, les défenseurs des droits de l’Homme dénonçant la multiplication des arrestations arbitraires, le recours à la torture et le climat d’impunité qui prévaut actuellement dans la capitale sont particulièrement visés. Ainsi, le 15 juillet 2008, M. Amigo Ngonde, président honoraire de l’Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO), a été convoqué par l’avocat général du Parquet de grande instance de Kinshasa, auprès duquel il s’est fait représenter par ses avocats. Le lendemain, l’avocat général a informé M. Ngonde d’une plainte déposée contre lui par le chef de la maison militaire du Chef de l’Etat pour "diffamation" et "imputation dommageable". Cette plainte fait suite à la dénonciation écrite par M. Amigo Ngonde, en sa qualité de président de l’ASADHO, de l’arrestation arbitraire de Mme Jackie Mukonkole Kawanga1 - le 14 février 2008 puis le 16 avril 2008 - par des hommes de main du chef de la maison militaire, et au transfert de Mme Kawanga au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa le 18 avril. Depuis, M. Ngonde a été informé qu’il devait rester à disposition de la justice2.

Dans la Province orientale, M. Georges Mwamba Wa Mwamba, responsable des relations publiques du Groupe Lotus (GL), a quant à lui été interpellé alors qu’il s’apprêtait à déposer une invitation pour un événement universitaire à l’attention du directeur de l’ANR de Kisangani. Placé en détention, il a fait l’objet de mauvais traitements par des agents de l’ANR et a été accusé d’ "espionnage" et de "déstabilisation du chef de l’État", charges qui ont été requalifiées plus tard en "tentative d’incendie" et de "communication avec un détenu politique". Libéré le 10 juin 2008, il reste poursuivi fin 20083.

A Mbuji-Mayi, Kasaï-Oriental, le harcèlement de ces défenseurs est particulièrement élevé du fait du grand nombre d’irrégularités et d’abus que ces derniers mettent à jour, comme la détention arbitraire le 2 juillet 2008 de membres de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) du Kasaï Oriental.

2/ Répression à l’encontre des défenseurs et journalistes relatant les violations des droits de l’Homme

Au Sud-Kivu, plusieurs journalistes ont été assassinés ces dernières années pour avoir dénoncé les violences et l’arbitraire régnant dans l’est du pays. Ainsi, le 21 novembre 2008, M. Didace Namujimbo, journaliste de radio Okapi, a été tué d’une balle dans la tête près de son domicile à Bukavu. Son téléphone portable ainsi que les 50 dollars qu’il avait sur lui au moment de l’assassinat n’auraient pas été dérobés. Une enquête judiciaire a immédiatement été ouverte par les autorités judiciaires du sud Kivu, mais aucune information n’a encore pu être obtenue quant aux auteurs et/ou aux commanditaires de cet assassinat4. Cet assassinat intervient après celui de M. Pascal Kabungulu, membre de la Ligue des droits de l’Homme dans la Région des Grands Lacs et Héritiers de la Justice (Bukavu) le 31 juillet 2005.

En 2008, la MONUC a fait état du climat de tension prévalant à Bukavu et de nombreuses irrégularités ainsi que de menaces pesant contre les avocats dans le procès en appel du meurtre de M. Serge Maheshe, journaliste à Radio Okapi5. En mars 2008, plusieurs membres d’ONG observant le procès ont été intimidés par l’Auditeur militaire supérieur pour avoir révélé les violations graves des normes relatives à un procès équitable6. En outre, quatre observateurs ont reçu des menaces anonymes en avril 2008 : le 17 avril 2008, Mme Sophie Roudil, représentante de l’ONG "Protection internationale" en RDC, a reçu un SMS anonyme qui l’a mise en garde en ces termes : "Ne t’en fais pas. Rira bien qui rira le dernier. Ils paieront cher de leur propre sang à l’issue de ce procès qu’ils ont tant discrédité. Nous sommes au Congo. Au plaisir... ". Ce message semblait viser plus généralement l’ensemble des observateurs qui ont dénoncé les irrégularités dans le procès relatif à l’assassinat de M. Serge Maheshe. Ainsi, Me Jean Bedel, avocat membre du Pacte international pour la protection des journalistes (International Covenant for the Protection of Journalists - ICPJ), M. Jean-Pol Ngongo, membre de la Voix des sans voix (VSV) et représentant des ONG de défense des droits de l’Homme au bureau de coordination de la société civile de Bukavu, et M. Dieudonné Sango, vice-président du Réseau provincial des organisations de droits de l’Homme de la RDC (REPRODHOC) et coordinateur du Programme de développement social (PRODES), tous trois observateurs au procès, ont également reçu des menaces similaires par SMS, provenant du même numéro de téléphone7.

MM. Donat Mbaya Tshimanga et Tshivis Tshivuadi, respectivement président et secrétaire général de Journalistes en danger (JED), avaient quant à eux déjà reçu des menaces à la mi-2007, suite à la dénonciation par JED du meurtre de M. Serge Maheshe, et dénoncé "une tentative de brouiller les pistes" et "de protéger les véritables assassins"8. Ils avaient dû quitter le pays temporairement en 2007 suite à ces menaces. Fin 2008, les menaces ont diminué mais restent réelles.

Par ailleurs, le 3 avril 2008, M. Georges Kapiamba, avocat et membre de l’ASADHO/Katanga, a été menacé de mort. Dans l’après midi du 3 avril 2008, l’ASADHO/Katanga, l’Action contre l’impunité pour les droits humains (ACIDH) ainsi que les ONG internationales Global Witness et Rights and Accountability in Development (RAID) avaient publié un communiqué de presse dénonçant la décision des autorités provinciales du Katanga leur interdisant de se rendre à Kilwa pour rencontrer les victimes civiles de manifestations violemment réprimées par les forces gouvernementales en octobre 2004. A la suite de la publication de ce communiqué, M. Kapiamba avait accordé des interviews à la BBC. Il avait également accordé une interview à un journaliste de la BBC en visite à Lubumbashi, au cours de laquelle il avait critiqué les violations des droits des victimes de Kilwa par la justice congolaise9.

En outre, les médias locaux relatant les violations des droits de l’Homme dans le pays sont confrontés à des stratégies multiformes de musellement. Ainsi, le 9 septembre 2008, le Ministre de Communication, M. Bongeli et actuellement Vice-Premier Ministre en charge des travaux publics du Gouvernement Muzito, a signé un arrêté ministériel10 interdisant la diffusion de cinq chaînes de télévision (Africa TV, Canal 5, RLTV, Couleurs TV, DRT Africa) et de deux stations de radio (Africa FM et DRT FM) qui font état des violations des droits de l’Homme commises par les deux parties à l’est de la RDC, et qui restaient fermées au 17 décembre 2008, le Gouvernement les accusant de faire de la propagande et de servir l’opposition politique. Par ailleurs, dans la nuit du 25 au 26 septembre 2008, les locaux de la chaîne de télévision Molière - qui couvre des sujets sensibles relatifs aux droits de l’Homme et donne la parole à des membres de l’opposition - ont été attaqués. Aucune enquête n’a à ce jour été diligentée afin d’identifier les responsables.

A cela s’ajoute la visite le 26 novembre 2008 du Capitaine Alexis dans les locaux de la Ligue des électeurs (LE), muni de l’ordre de mission suivant : "Depuis l’Europe où il séjourne, M. Paul Nsapu, président de la Ligue des électeurs, a fait des déclarations qui affectent le moral des troupes des FARDC engagées à l’est contre les groupes armés de Laurent Nkunda, ce qui constitue une atteinte à la sécurité nationale".

3/ Menaces à l’encontre de la liberté d’association

Plusieurs associations de défense des droits de l’homme ne sont pas reconnues par les autorités congolaises en dépit de l’accomplissement de toutes les formalités administratives. Les membres de ces associations font régulièrement l’objet de harcèlement, d’intimidation et de menaces d’arrestation de la part des services administratifs et de sécurité.

Le 9 septembre 2008, le Ministre de la Justice et des droits humains a fait publier dans la presse nationale une longue liste reprenant 140 ONG, dont l’ASADHO et le Groupe Lotus (GL), comme fonctionnant "dans l’illégalité" en dépit du fait que celles-ci comme tant d’autres détiennent des autorisations de fonctionnement. Cette publication a été accompagnée d’une campagne de dénigrement contre les ONG des droits de l’homme, qui a été reprise dans les médias de l’Etat, notamment par la Radio Télévision Nationale.

4/ Harcèlement des défenseurs luttant contre l’exploitation illégale des ressources naturelles

Les autorités restant particulièrement sensibles à tout ce qui touche aux ressources naturelles, les défenseurs des droits économiques sociaux et culturels qui dénoncent les conséquences environnementales des activités minières et forestières ou des cas de corruption s’exposent à des menaces et entraves dans leur travail.

Ainsi, le 21 mars 2008, le Conseil des Ministres congolais a instruit le Ministre de la Justice de retirer la personnalité juridique à l’association BDK, qui vise entre autres à sensibiliser la population du Bas Congo aux conséquences néfastes de la corruption sur le développement de la région. Le Conseil des Ministres a également informé l’opinion publique que cette association "ne [pouvait] plus fonctionner", en violation de la législation congolaise qui prévoit que la dissolution d’une association ne peut se faire que par voie juridictionnelle ou suite à une décision de ses membres directeurs. Cette fermeture a été relayée plus tard par les médias officiels. Le même jour, M. Hubert Tshiswaka, alors directeur exécutif de l’ACIDH, basée à Lubumbashi, et actuellement membre de l’Open Society Institute for Southern Africa (OSISA), a été arrêté par l’Agence nationale des renseignements (ANR) pour avoir distribué un dépliant dénonçant les contrats léonins signés par le Gouvernement congolais et certaines entreprises multinationales dans le secteur minier au Katanga, ainsi que le détournement de fonds publics par les autorités congolaises. Il a été libéré le jour même à la suite de multiples pressions exercées par les organisations de la société civile sur les autorités de Kinshasa.

5/ Campagnes de stigmatisation et menaces contre les ONG et défenseurs luttant contre l’impunité et soutenant les actions de la Cour pénale internationale

Cette année, les menaces contre les organisations et leurs membres engagés dans la lutte contre l’impunité en RDC se sont intensifiées. Ainsi, la FIDH, l’ASADHO, le GL et la LE ont été injuriés et menacés par des personnes proches ou appartenant au MLC, suite notamment à l’arrestation de M. Jean-Pierre Bemba en mai 2008. M. Dismas Kitenge, président du Groupe Lotus et vice-président de la FIDH, a en outre été accusé le 28 mai 2008 d’avoir "vendu Bemba à la FIDH et aux occidentaux", et averti du mauvais sort qui l’attendait si M. Bemba était condamné11.

Par ailleurs, en juin 2008, des membres de l’UPC ont menacé plusieurs membres de Justice Plus travaillant à Bunia suite à leurs prises de position publiques sur la décision, le 13 juin 2008, de la Chambre de première instance de la CPI de suspendre les poursuites à l’encontre de M. Thomas Lubanga. M. Christian Lukusha avait réagi sur radio Okapi, accusant notamment les Nations unies d’avoir refusé d’accéder aux demandes répétées du bureau du procureur de la CPI de lever la confidentialité des documents qui lui ont été transmis, et considérant cette décision comme un frein à la lutte contre l’impunité et à l’établissement de la justice internationale. M. Joël Bisubu s’était quant à lui exprimé en des termes analogues sur les ondes de la BBC. Ces défenseurs ont depuis dû quitter Bunia, à la suite de menaces et par crainte pour leur intégrité physique et leur sécurité12.

En outre, en juillet 2008, les membres de la famille de Me Carine Bapita, membre de l’organisation Femmes et enfants pour les droits de l’Homme (FEDHO) et avocate congolaise représentant des victimes auprès de la CPI dans l’affaire Thomas Lubanga, ont également dû entrer en clandestinité après avoir fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation13.

6/ Attaques et menaces contre les défenseurs soutenant les victimes de violations graves, en particulier les victimes de violences sexuelles

En 2008, les défenseurs qui dénoncent les violences sexuelles ont continué de risquer leur vie, à l’instar de Mme Wabihu Kasuba, chargée du monitoring au sein de l’organisation "Voix des sans voix ni liberté" (VOVOLIB) et conseillère à la maison d’écoute des victimes de violences sexuelles de Panzi, assassinée le 18 mai 2008 dans le Sud-Kivu14.

La vie de plusieurs autres défenseurs est en péril pour avoir dénoncé ces violences. En mars 2008, Mme Thérèse Kerumbe, membre de l’association Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral (SOFEPADI) et proche collaboratrice de Mme Julienne Lusenge, coordinatrice de cette association qui se trouvait alors en Europe, a en effet reçu des menaces de la part d’individus recherchant Mme Lusenge. Les demandes de protection adressées par l’association SOFEPADI aux autorités locales étant restées sans réponse, Mme Kerumbe a dû fuir Bunia face à l’intensification des menaces à son encontre. Fin 2008, aucune assurance sur sa sécurité n’ayant été obtenue, elle était toujours dans l’impossibilité de rentrer. Elle reste par ailleurs victime de menaces téléphoniques, et a porté plainte dans le courant du mois de juin, une plainte qui, fin 2008, n’avait pas encore abouti. En outre, le 27 juillet, deux inconnus parlant le swahili de Bunia se sont présentés à son nouveau domicile situé à Beni en son absence, afin de s’assurer qu’elle résidait bien à cette adresse15.

Par ailleurs, en juillet 2008, le personnel du Centre psycho-médical pour la réhabilitation des victimes de la torture (CPMRVT/Kitshanga) de l’organisation Solidarité pour la promotion sociale et la paix (SOPROP) a fait l’objet de menaces et d’actes de harcèlement de la part du CNDP, qui souhaitait obtenir les registres médicaux contenant les identités des victimes de violence sexuelle traitées par le Centre16.

Enfin, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, Mme Noella Usumange Aliswa, coordinatrice de la SOFEPADI, et sa famille ont été attaqués à leur domicile dans la ville de Bunia, en Ituri, et grièvement blessés. Cette agression serait directement liée au travail de la SOFEPADI en faveur des femmes victimes du conflit17. Deux miliciens auraient par la suite été arrêtés puis remis en liberté après avoir payé une somme d’argent.

7/ Manipulation des populations dirigées contre la MONUC

Début octobre 2008, des manifestations d’étudiants de plusieurs universités de l’est de la RDC ont été organisées dans plusieurs villes contre la MONUC suite à la reprise intense des combats dans le Nord-Kivu et dans la province orientale entre - d’une part - les FARDC et le CNDP, et - d’autre part - les mêmes FARDC et le FPJC.
 
Dans les semaines qui ont précédé ces manifestations, des sources concordantes ont fait état d’agissements de la part du Gouvernement congolais pour inciter la population à se soulever contre la communauté internationale et la MONUC, arguant que les forces des Nations unies n’empêchaient pas les rebelles de progresser sur le terrain des combats et étaient par conséquent complices du CNDP et du Gouvernement rwandais. Des étudiants auraient ainsi été approchés, manipulés par des autorités locales afin de manifester contre la MONUC, attaquer son personnel et ses installations. Des informations crédibles ont en effet fait état de rencontres informelles entre les autorités locales et les étudiants pour l’organisation de ces manifestations. Les marches d’étudiants encadrées tantôt par la police, tantôt par les autorités locales, tantôt par des éléments de l’armée, ont connu plusieurs débordements occasionnant des pertes de biens et attaques contre les bureaux de la MONUC.

A la date de publication de cette note, la « non prise » de la ville de Goma par les rebelles du CNDP, les récentes initiatives diplomatiques des Ministres des Affaires étrangères français et britannique et la reprise des négociations entre le CNDP et les FARDC en novembre ont contribué à la diminution des attaques des autorités centrales et locales congolaises envers la MONUC et les défenseurs de RDC.

Cependant, d’une manière générale, la stigmatisation des défenseurs et leur assimilation à des opposants politiques restent bien réelles. Ces derniers restent par conséquent la cible privilégiée des autorités congolaises, qui continuent à user d’une palette de stratégies de répression : arrestations, mauvais traitements, harcèlement judiciaire, obstacles à la liberté d’association, etc. A cela s’ajoute l’extrême insécurité dans laquelle opèrent les défenseurs dans l’est de la RDC, en particulier les journalistes et les défenseurs dénonçant les crimes sexuels.

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RECOMMANDATIONS

Au regard de la recrudescence des actes de répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme en République démocratique du Congo, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), recommande :

Au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies :

 de mettre en œuvre les dispositions des résolutions 7/20 et S-8/L.2/Rev.2 sur la RDC.

Aux Rapporteures spéciales des Nations unies et de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples sur la situation des défenseurs :

 de saisir systématiquement le Gouvernement des cas de menaces et de violations des droits des défenseurs des droits de l’Homme ;

 de solliciter une visite en RDC, afin d’évaluer la situation des défenseurs, en rencontrant la société civile et les autorités, et en assurant un suivi des cas de violations des droits des défenseurs qui auront été portés à leur connaissance ;

 d’entreprendre un dialogue régulier avec les autorités congolaises sur la question des défenseurs des droits de l’Homme.

Au Conseil de sécurité des Nations unies :

 d’inclure de façon expresse la protection des défenseurs des droits de l’Homme dans le mandat de la MONUC, renouvelé fin décembre 2008.

A l’Union européenne :

 de placer la question de la protection des défenseurs au centre du dialogue politique avec les autorités congolaises, conformément aux Lignes directrices de l’UE concernant les défenseurs des droits de l’Homme ;

A la délégation de la Commission européenne à Kinshasa et aux missions diplomatiques des Etats membres de l’Union européenne en RDC :

 de mettre en œuvre pleinement les lignes directrices sur les défenseurs des droits de l’Homme, afin de protéger les défenseurs des droits de l’Homme et de promouvoir leurs activités, notamment en :

* assistant aux procès intentés contre les défenseurs des droits de l’Homme ;

* incluant la question des défenseurs des droits de l’Homme dans toutes leurs réunions relatives aux droits de l’Homme ;

* établissant des rencontres régulières avec les autorités sur la question des défenseurs afin d’instaurer un dialogue avec ces dernières et d’assurer un suivi des cas individuels de répression à leur encontre ;

* accueillant temporairement les défenseurs des droits de l’Homme en danger au sein des enceintes diplomatiques ;

* invitant les défenseurs des droits de l’Homme à participer à des événements publics sur la question ;

* finançant des programmes de soutien aux organisations indépendantes de la société civile.

A la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples :

 de faire en sorte que la question de la protection des défenseurs des droits de l’Homme soit un point central des discussions avec les représentants de la RDC lors de l’examen du rapport de l’Etat à l’occasion de la 45ème session de la Commission.

Aux autorités congolaises :

 de faire des déclarations publiques sur l’essentielle protection des défenseurs des droits de l’Homme et l’importance de leur rôle ;

 de mettre fin au harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme et prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer leur protection, conformément à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998 ;

 de respecter et mettre en œuvre pleinement leurs engagements régionaux et internationaux en matière de droits de l’Homme ;
de mettre fin à l’impunité des auteurs de violations à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme ;

 de ratifier le Protocole sur la Cour de justice et des droits de l’Homme, en permettant aux ONG et individus de saisir la Cour ;

 de coopérer pleinement avec les procédures spéciales des Nations unies et de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, notamment :

* en répondant systématiquement aux communications qui leurs sont envoyées ;

* en autorisant toute visite sollicitée par ces procédures ;

* en mettant pleinement en œuvre toute recommandation faite par ces dernières .

Au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine :

 de prendre systématiquement en compte dans ses interventions sur la RDC la question de la protection des défenseurs des droits de l’Homme.

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