UE-Tunisie : un Conseil d’association sur fond de répression.

10/11/2008
Communiqué

La FIDH, l’OMCT et le REMDH appellent l’Union européenne à prendre les mesures nécessaires pour faire cesser une situation de non-droit en Tunisie.

Madame la Ministre,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Haut Représentant,

Madame la Commissaire,

A la veille du septième Conseil d’association UE-Tunisie, la FIDH, le REMDH et l’OMCT expriment leur profonde inquiétude quant à la faiblesse et l’incohérence des prises de positions des institutions et Etats membres européens sur la situation des droits de l’Homme en Tunisie, à l’aune des enjeux de mobilisation requis. Alors que la Tunisie s’enlise dans un climat de répression à grande échelle et de déni des libertés et droits fondamentaux l’absence de message fort à l’attention des autorités tunisiennes mine la crédibilité de la politique extérieure de l’Union européenne. Le langage utilisé par la présidence française de l’UE dans un communiqué récent faisant état de « la coopération très forte et très confiante entre l’Union et la Tunisie » quelques mois après que le Président de la République française ait déclaré « Aujourd’hui, l’état des libertés progresse en Tunisie » est non seulement en contradiction avec l’évaluation de l’ensemble des organisations de défense de droits de l’Homme et des experts onusiens indépendants mais aussi incohérent au regard des positions prises par la Commission et le Conseil en début d’année et au printemps 2008.

Dans le rapport annuel de l’Union Européenne sur les droits de l’Homme – 2007, la présidence de l’UE, la Commission européenne et le Secrétariat général du Conseil estimait en effet qu’ « aucun progrès notable n’a été accompli » en 2007 en ce qui concerne la mise en oeuvre des recommandations relatives aux droits de l’Homme exprimées dans la déclaration du 4ème Conseil d’Association UE-Tunisie tenu il y a plus de 3 ans (1). En avril 2008, la Commission européenne exprimait, en termes pourtant très mesurés, le même constat dans son rapport de suivi sur la Tunisie en estimant qu’en matière de démocratie et de droits de l’Homme « l’essentiel reste à faire » et que « malgré les garanties prévues par la Constitution, on ne peut observer d’avancées en termes de diminution du décalage entre la législation en vigueur et son application pratique » (2).

Si des « engagements » ont été pris par les autorités tunisiennes devant le Comité des droits de l’Homme des Nations unies en mars 2008, repris ensuite devant le Conseil des droits de l’Homme à l’occasion de la revue périodique universelle, ils restent particulièrement faibles, et nettement en deça des obligations de la Tunisie au regard des instruments qu’elle a ratifiés. Le Comité des droits de l’Homme, dans ses conclusions à la suite de l’examen de la Tunisie a ainsi pu prendre la mesure de ces déclarations et déplorer le manque de progrès. De plus, ces « engagements » ne se sont traduits en aucun changement notable sur le terrain, où les foyers de répression se multiplient.

Dans ce contexte, nos organisations appellent solennellement la Présidence française de l’UE et l’ensemble des institutions européennes à restaurer la primauté des droits de l’Homme dans le cadre de leur relation avec la Tunisie et à rendre un minimum de crédibilité à la politique qu’elle mène en matière de droits de l’Homme en :

* exprimant clairement et publiquement leur extrême préoccupation quant à la détérioration de la situation des droits de l’Homme ces dernières années en Tunisie, notamment lors du prochain Conseil d’association UE-Tunisie ;

* exhortant les autorités tunisiennes à mettre en oeuvre les engagements pris conjointement , dans le cadre du Plan d’Action UE-Tunisie de la Politique Européenne de Voisinage ;

* respectant leurs obligations propres et internationales, ainsi que les principes fondateurs de la Politique Européenne de Voisinage, exigeant que le degré d’approfondissement des relations de l’UE avec ses pays partenaires ait pour objectif, et condition, de promouvoir et de respecter les droits de l’Homme et les principes démocratiques ;

* définissant un calendrier précis de progrès et réformes devant être engagés à court terme par la Tunisie et des indicateurs précis permettant une évaluation objective et régulière de la situation, dans le cadre du Sous-comité « Droits de l’Homme » UE-Tunisie ;

* consultant régulièrement les ONG de défense des droits de l’Homme sur leur évaluation de la situation des Droits de l’Homme en Tunisie.

Point actualisé sur la situation des droits de l’Homme en Tunisie

Premier signataire parmi les pays de la rive sud de la Méditerranée, d’un accord d’association avec l’Union européenne au titre duquel la Tunisie s’est engagée à oeuvrer à la réalisation effective des objectifs en matière de droits de l’Homme, la Tunisie n’a pas enregistré en dix années de partenariat, de progrès notables dans ce domaine. Au contraire, au cours de ces douze derniers mois, à l’exception de la ratification du protocole facultatif à la CEDAW et d’une invitation au Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme dont la date n’a toujours pas été fixée, un recul sensible du respect de ces droits et libertés et un renforcement de la politique répressive menée par le pouvoir tunisien ont été constaté.

Le bassin minier de Redeyef (Sud ouest de la Tunisie) a été le théâtre ces derniers mois, d’une répression sévère d’un large mouvement de protestation sociale qui s’y est développé à partir du mois de janvier 2008. Les procès à l’encontre de manifestants et de ceux qui leur ont témoigné leur soutien, se comptent par dizaines, avec des peines de prison de plusieurs mois voire années. En date des 5 et 6 novembre, 23 personnes ont été condamnées à des peines de 5 ans et 6 ans et 7 mois de prison accusés respecivement d’avoir brûlé un bus et un bureau du parti au pouvoir lors de manifestations. La majorité des poursuites et des condamnations qui très souvent s’ensuivent, visent uniquement à sanctionner l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique de ces citoyens. Parallèlement à la tenue des procès qui se succèdent depuis des semaines, des arrestations continuent d’avoir lieu et des barrages policiers restent en place pour contrôler l’accès à la ville de Gafsa.

A l’occasion des différentes missions d’observations judiciaires qu’elles ont mandatées pour assister à des procès intentés à l’encontre de manifestants de la région de Redeyef, nos organisations ont constaté plusieurs violations entachant le droit à un procès équitable et notamment, le non-respect du principe de publicité des débats et l’absence de prise en compte dans le délibéré de la Cour des allégations de mauvais traitement formulées par les prévenus. Ces constats ne font que confirmer la poursuite de pratiques dont sont coutumières les autorités tunisiennes depuis de nombreuses années.

Le recours aux mauvais traitements voire à la torture, en particulier lors des arrestations et pendant les détentions continuent ainsi d’être régulièrement dénoncé par les victimes, leurs avocats ou encore les organisations de défense des droits de l’Homme. Pas moins de trois rapports sur les pratiques de torture en Tunisie ont été publiés par des organisations de défense des droits de l’Homme au cours des deux dernières années. Parmi les victimes, l’on dénombre majoritairement des personnes accusées de lien avec le terrorisme, mais également de nombreux prisonniers d’opinion et politiques. Plusieurs témoignages concordants font état lors d’une audience qui s’est tenue à la chambre criminelle de la cour d’appel de Tunis, de coups violents portés par un policier sur un prévenu et ce, en présence du juge qui siégeait pour cette affaire. Il a fallu l’insistance des avocats présents pour que ce dernier accepte finalement d’enregistrer la plainte de l’accusé. Les appels réitérés de nos organisations à l’UE à mettre en oeuvre les mesures définies dans ses Lignes Directrices contre la torture en exhortant notamment les autorités tunisiennes à instaurer des mesures efficaces de prévention contre l’usage de la torture, à assurer une enquête immédiate, indépendante, impartiale et effective pour toute allégation de torture et à poursuivre en justice, le cas échéant, les auteurs de tels actes, ne semblent pas avoir été suivies d’effet.

Bien que la Tunisie ait ratifié la Convention de Genève relative au statut de réfugié de 1951. elle ne dispose d’aucun régime national effectif de reconnaissance du statut de réfugié. Par ailleurs la législation tunisienne sur l’entrée, la sortie et le séjour (loi 2004-06) prévoit jusqu’à 6 mois de prison. Les demandeurs d’asile peuvent également tomber dans les champs d’application de cette loi. Ces sanctions s’appliquant également à la sortie irrégulière du territoire, elles constituent une atteinte à la liberté de quitter son paysLa mise en place de mesures punitives d’enfermement des migrants et demandeurs d’asile pour entrée ou séjour irréguliers est également préoccupante en ce qu’elle peut mener à des violations des droits de l’Homme des migrants (3).

La non-garantie du droit à un procès équitable et la non-indépendance de la justice demeurent la norme en Tunisie. La multiplication des procédures judiciaires à l’encontre des défenseurs des droits humains reste une illustration emblématique de l’instrumentalisation du judiciaire par l’exécutif afin de faire taire toute voix dissidente. Dans ce contexte, nos organisations ne peuvent que réitérer leur étonnement quant aux conditions de mise en oeuvre de l’accord entre l’Union européenne et la Tunisie sur un programme de renforcement de l’institution judiciaire. Nous ne pouvons que dénoncer les concessions ainsi consenties alors qu’au cours des dernières années, aucun changement substantiel de la situation du système judiciaire n’a été enregistré, la situation s’étant même dégradée.

Enfin c’est avec consternation que nos organisations constatent cette année encore, une très sensible détérioration de la situation des défenseurs des droits de l’homme et de l’exercice des libertés fondamentales et en particulier, les libertés d’expression, d’association et de rassemblement pacifique. Blocages des locaux des associations, multiplication des intimidations de la police, empêchement des manifestations et des rassemblements y compris dans des espaces privés sont le quotidien des militants des droits de l’Homme tunisiens. Des organisations internationales se sont vus à nouveau empêchées d’accéder au territoire tunisien. La presse et les journalistes indépendants sont également la cible de mesures répressives, et le droit à la liberté d’expression est quasi systématiquement bafoué sur le territoire tunisien. Internet est sous haute surveillance, les autorités contrôlent la messagerie et bloquent les sites Internet à contenu critique. Plusieurs personnalités et rédactions ont été particulièrement ciblées par les autorités ces derniers mois.

La détérioration emblématique de la situation des libertés et des droits fondamentaux en Tunisie va de pair avec un désengagement sensible de l’Union européenne de son rôle de garant du respect par son partenaire de ses engagements en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme. Nos organisations appellent donc l’UE à prendre les mesures qui s’imposent afin que la Tunisie respecte les engagements qui sont les siens dans le cadre du partenariat qui les lie.

Confiants de l’attention que vous porterez à ce courrier, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre haute considération.

Kamel Jendoubi, président du REMDH

Eric Sottas, secrétaire général de l’OMCT

Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH

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  • Co-signataires

    Contacts :
    REMDH : Emilie Dromzée, +3225030686, edr@euromedrights.net

    FIDH : Grégoire Théry, +32 2 609 44 21 gthery@fidh.org

    OMCT : Laëtitia Sedou, +32.2.218.37.19, ls@euro.omct.org

    (1) Conseil d’Association UE-Tunisie de janvier 2005.
    (2) Dans son « progress report » sur la Tunisie publié en avril 2008, la Commission européenne rappelle que les conclusions du quatrième Conseil d’association UE-Tunisie demandent une augmentation des efforts visant à assurer le respect des droits de l’Homme et en particulier la liberté d’expression et la liberté d’association.
    (3) De telles pratiques ont notamment été critiquées par le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’Homme des migrants.


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