Affaire Hissène Habré : le Sénégal défie l’Union africaine

Deux ans après avoir accepté la décision de l’Union africaine qui lui a confié le jugement de Hissène Habré « au nom de l’Afrique », le Sénégal n’a toujours pas débuté l’instruction de l’ancien président tchadien. Les victimes dénoncent les lenteurs excessives de Dakar et demandent à l’Union africaine de s’impliquer.

Deux ans après l’engagement solennel du Sénégal de mettre en œuvre la décision de l’Union africaine lui donnant mandat « de faire juger, au nom de l’Afrique Hissène Habré », aucune poursuite n’a été engagée contre l’ancien dictateur tchadien accusé de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de torture, ont déploré les organisations de défenses des droits de l’Homme. Le sommet de l’Union africaine aura lieu en Egypte du 30 juin au 1er juillet.

Suite à la demande de soutien international formulée par les autorités sénégalaises, une mission de l’Union européenne - accompagnée du représentant spécial de l’Union africaine pour l’affaire Habré, M. Robert Dossou - s’est rendue à Dakar en janvier dernier pour évaluer les besoins du Sénégal. Cette mission a proposé que le Sénégal définisse une stratégie de poursuite, travaille sur la base d’un calendrier précis, et nomme un coordinateur administratif et financier pour le procès.

En avril, M. Madické Niang, a été nommé Ministre de la Justice du Sénégal. En mai, il a annoncé la nomination d’un « Coordonnateur pour l’organisation du procès » et la création d’une « Cellule de Suivi et de Communication ». En outre, il a annoncé que l’adoption d’un amendement constitutionnel qui clarifie la compétence de la justice sénégalaise pour rendre ces crimes imprescriptibles ce qui permet aux tribunaux d’être compétents pour juger des faits de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre perpétrés par le passé, était imminente et que trois juges d’instruction seraient nommés pour l’affaire Habré « avant le 7 juin », déclarations qui sont restées à ce jour lettre morte.

« Les victimes sont lassées par les effets d’annonces du Sénégal : il est temps que la justice de ce pays instruise ce dossier » a déclaré Souleymane Guengueng, fondateur de l’Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP). « L’Union africaine doit réagir après deux ans de lenteurs excessives du Sénégal. »

«  Le Sénégal excelle dans l’exercice de la manoeuvre dilatoire dans cette affaire. Nous en appelons l’Union africaine pour une réaction ferme, car il y va de sa crédibilité » a déclaré Alioune Tine, président de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), basée à Dakar. « On ne peut pas à la fois accuser la justice pénale internationale de n’arrêter que des dirigeants africains et ne rien faire pour mettre un terme à la question de l’impunité chez nous, surtout celle relative au cas Hissène Habré qui nous concerne.  »

La décision du 2 juillet 2006 de l’UA qui donne mandat au Sénégal de juger Habré prévoit « d’apporter au Sénégal l’assistance nécessaire pour le bon déroulement et le bon aboutissement du procès », mais il a fallu attendre seize mois pour que le président de la Commission de l’UA nomme – en novembre dernier – un représentant spécial pour le procès, M. Robert Dossou, ancien ministre béninois des Affaires étrangères et de la Justice dont le rôle reste flou. Aucune autre assistance n’a été apportée au Sénégal.

« L’Union africaine a la responsabilité d’assurer que sa décision soit suivie d’effets. Elle doit suivre les démarches du Sénégal et encourager la coopération de ses Etats membres. Sa réputation est en jeu. L’affaire Habré est l’occasion pour l’UA de témoigner de sa volonté de soutenir la justice africaine » a déclaré Dobian Assingar représentant permanent de la FIDH auprès de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC).

«  L’État du Sénégal doit donner les gages d’une volonté politique inébranlable quant à la tenue prochaine du procès de Hissène Habré, conformément au mandat que lui a confié l’Union africaine », a déclaré Assane Dioma Ndiaye, président de l’Organisation nationale des droits de l’Homme basée au Sénégal (ONDH).

En mai 2006, le Sénégal a été condamné par le Comité des Nations unies contre la torture (Guengueng c. Sénégal, http://www.hrw.org/pub/2006/french/cat051806.pdf) qui a jugé que le Sénégal avait violé par deux fois la Convention contre la torture, tout d’abord, en manquant à son obligation de traduire Habré en justice lors du dépôt de plainte par les victimes en 2000, puis, en ne respectant pas son obligation de le juger ou de l’extrader à la suite de la demande d’extradition formulée par la Belgique en septembre 2005.

Historique

Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, jusqu’à sa fuite vers le Sénégal lors de la prise de pouvoir par l’actuel président Idriss Déby Itno. Son régime de parti unique fut marqué par des violations massives des droits humains perpétrées à travers tout le pays, qui ont compris des campagnes d’épuration ethnique. Les dossiers de la police politique d’Hissène Habré, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), découverts par Human Rights Watch en mai 2001 révèlent l’identité de 1.208 personnes qui sont décédées en détention et font état de 12.321 personnes victimes d’autres violations.

Habré a d’abord été inculpé au Sénégal en 2000, avant que la justice sénégalaise ne se déclare incompétente pour le juger. Ses victimes se sont alors tournées vers la Belgique et, après quatre années d’enquête, un juge belge a délivré, en septembre 2005, un mandat d’arrêt international accusant M. Habré de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture. Les autorités sénégalaises ont arrêté M. Habré en novembre 2005 et le gouvernement sénégalais a demandé à l’Union africaine de se prononcer sur « la juridiction compétente » pour juger M. Habré. Le 2 juillet 2006, l’Union africaine, s’appuyant sur les recommandations du Comité des Éminents juristes africains, a demandé au Sénégal de juger Habré « au nom de l’Afrique », ce que le Président Wade a accepté.

ONG signataires :
 Association des victimes des crimes et des répressions politiques au Tchad (AVCRP)
 Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH)
 Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH)
 Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO)
 Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH)
 Human Rights Watch (HRW)
 Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
 Agir Ensemble pour les droits de l’Homme (AEDH)

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