Les droits de l’Homme en Algérie

Examen Périodique Universel (EPU)
Première Session 7-18 Avril 2008
Les droits de l’Homme en Algérie

Rapport alternatif conjoint du CFDA et de la FIDH, disponible sur http://www.ohchr.org/english/bodies/hrc/docs/ngos/fidh_algeria.pdf (ci-après le rapport alternatif)
Introduction
Le gouvernement algérien soumettra en février 2008 un rapport sur l’évolution des droits de l’Homme dans le cadre de l’Examen périodique universel devant le Conseil des droits de l’Homme. La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) félicite l’Etat algérien pour avoir voté la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies pour l’établissement d’un moratoire sur la peine de mort. L’Algérie a été le seul Etat arabe à avoir voté en faveur de la résolution. La FIDH ne peut qu’encourager l’Algérie, à poursuivre ses efforts jusqu’à l’abolition de la peine de mort.
La FIDH souhaite cependant attirer l’attention du Conseil sur plusieurs points d’inquiétude qui méritent d’être examinés pour mener l’Algérie sur le chemin de l’Etat de droit. (Cf. rapport alternatif, recommandations générales, pp 71-76)
S’agissant du cadre général, la FIDH se joint aux préoccupations du Comité des droits de l’Homme sur le maintien de l’Etat d’urgence en Algérie depuis 1992. « L’Etat partie devrait s’engager à examiner la nécessité du maintien de l’état d’urgence selon les critères établis par l’article 4 du Pacte international sur les droits civils et politiques et s’assurer que sa mise en œuvre ne conduit pas à des violations du Pacte »1.

Droit à la justice et indépendance de la justice (Cf. rapport alternatif pp.39-43)

La (FIDH) prend note de l’adoption de la loi organique n° 04-11 du 6 septembre 2004 portant statut de la magistrature. Malgré quelques avancées notables, cette loi organique est fortment critiquée par les magistrats , notamment par le Syndicat national des magistrats. La FIDH regrette que cette loi n’ait notamment pas été examinée par le Conseil d’Etat avant son adoption comme le prévoit la Constitution.

L’article 49 de la loi organique n°04-11 du 6 septembre 2004 dispose que les plus hautes fonctions judiciaires spécifiques sont pourvues par décret présidentiel. La FIDH s’inquiète du fait que le Président de la République n’ait aucune obligation de consulter le Conseil supérieur de la magistrature. Cette lacune est de nature à jeter un doute sur l’indépendance des magistrats ainsi nommés.

L’article 59 de la loi organique portant statut de la magistrature dispose que « tout magistrat promu à une fonction est tenu de l’accepter ». Cet article peut être utilisé afin d’obliger un juge à se dessaisir d’une affaire contre son gré pour ne pas contrevenir à son obligation d’accepter toute fonction à laquelle il est « promu ».L’application de cette disposition comporte des risques d’atteintes à l’indépendance de la magistrature et au principe n° 14 des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature qui prévoit que « la distribution des affaires aux juges dans la juridiction est une question interne qui relève de l’administration judiciaire ».

Par ailleurs, la législation et la pratique algériennes ne sont pas en conformité avec les dispositions du Pacte et le principe d’égalité des armes. En effet, l’article 288 du Code de procédure pénale prévoit que, lors d’un procès, le procureur peut s’adresser directement aux témoins ou à l’accusé tandis que la défense doit s’adresser au juge qui pose lui-même les questions aux témoins. Le juge peut refuser de poser une question qui lui a été soumise oralement par la défense, ce qui est contraire au principe de l’égalité des armes et porte atteinte à l’impartialité du juge.

La FIDH encourage l’Etat algérien à réformer le code de procédure pénale afin de garantir le droit au recours devant une juridiction d’appel et notamment l’article 3132 du Code de procédure pénale qui ne prévoit qu’ un délai de huit jours pour se pourvoir en cassation .

En outre, a FIDH s’inquiète de la compétence des tribunaux militaires pour connaître de certaines infractions commises par des civils en temps de paix, en matière d’atteinte à la sûreté de l’Etat notamment.

Enfin, l’article 68 du Code de justice militaire dispose que « le droit de mettre en mouvement l’action publique appartient, dans tous les cas, au ministère de la défense nationale. Ce droit peut être exercé également sous l’autorité du ministre de la défense, devant les tribunaux militaires permanents, par le procureur militaire de la République ». Dans de telles conditions, l’action publique dépend exclusivement de l’exécutif, ce qui est contraire à l’indépendance et l’impartialité de la justice.

Cci témoigne de la dépendance de la justice vis à vis du pouvoir exécutif et des atteintes portées au droit à un procès équitable.

Un cadre institutionnel non protecteur des droits de l’Homme

La FIDH s’étonne que la seule instance nationale chargée de la promotion et de la protection des droits de l’Homme, la Commission Nationale Consultative pour la Promotion et la Protection des Droits de l’Homme (CNCPPDH), n’ait jamais publié de rapport annuel d’activités . L’article 7 § 2 du décret présidentiel 01-71 du 25 mars 2001 instituant la CNCPPDH lui fait pourtant obligation de rendre public son « rapport annuel sur l’état des droits de l’Homme » deux mois après la communication de ce document au Président de la République.

Quant à la formation ad hoc créée temporairement au sein de la CNCPPDH par le décret présidentiel 03-299 du 11 septembre 2003 pour « prendre en charge les requêtes tendant à la recherche de toute personne déclarée disparue par un membre de sa famille », Le rapport général en question a bien été remis au Président de la République d’après les déclarations à la presse de M. Farouk Ksentini, Président de la CNCPPDH et de cette formation ad hoc, mais n’aelle n’a jamais rendu public son rapport général qui doit contenir des recommandations à propos de la question des disparitions forcées. .

Au regard de la situation des droits de l’Homme en Algérie, la FIDH soulève le nombre très limité de communications devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU. Cette situation témoigne de la très faible diffusion de l’information relative au droit international des droits de l’Homme en Algérie contrairement à ce que semblent affirmer les autorités. Il est révélateur à cet égard que la CNCPPDH, créée en 2001 et qui a succédé à l’Observatoire national des droits de l’Homme, ne dispose toujours pas à ce jour d’un site Internet ni d’aucune publication régulière de large diffusion.

S’agissant de l’information concernant les droits de l’Homme, celle-ci semble réservée en Algérie aux universitaires et à une certaine élite. La population est quant à elle écartée des quelques séminaires organisés dans de grands hôtels à guichet fermé. De plus, la possibilité pour des associations, et en particulier de défense des droits de l’Homme, d’organiser en toute liberté des séminaires accessibles aux victimes et aux familles de victimes de violations graves de droits de l’Homme est quand à elle fortement entravée par les autorités. Nous rappelons à cet égard l’interdiction d’un séminaire « Pour la Vérité, la paix et la Conciliation » organisé conjointement par le Collectif des familles de Disparu(e)s en Algérie, la FIDH, L’association Djazaïrouna, l’ANFD et SOMOUD, qui devait se tenir à Alger les 7 et 8 février 2007. Premier du genre en Algérie, ce séminaire avait la particularité de réunir ensemble pour la première fois les associations de familles de disparus et les associations de victimes du terrorisme agissant jusqu’alors séparément.

Cette situation s’avère contraire aux engagements internationaux de l’Algérie en matière de droits de l’Homme.

En outre, la FIDH souhaite souligner qu’en dépit des lignes directrices de l’EPU, aucune organisation de défense des droits de l’Homme, parmi lesquelles nos ligues membres et associations partenaires n’a été consultée par les autorités algériennes avant la date butoir recommandée.

Liberté d’expression (Cf. Rapport alternatif, pp. 45-50)
La FIDH tient à exprimer vivement son inquiétude sur les mesures prises contre la liberté d’expression en Algérie et souhaite attirer l’attention du Conseil des droits de l’Homme sur la réalité du « paysage médiatique en Algérie ». Le Comité des droits de l’Homme avait pourtant souligné son inquiétude au sujet des menaces reçues par les journalistes dès 1998 et avait aussi regretté les nombreuses restrictions à la liberté de la presse3.

Or, la FIDH note avec regrets que l’Algérie demeure un pays où toute forme d’expression divergente est réprimée. Le champ audiovisuel reste un monopole public et fait figure d’instrument de propagande au service du pouvoir politique en place. Une seule chaîne télévisée algérienne existe ce qui par définition réduit fortement le pluralisme de l’information. Le pouvoir politique ne permet pas à ceux qui sont critiques à son égard de s’exprimer sur les ondes radio ou sur l’unique chaîne de télévision, sauf à l’occasion de certaines élections lorsque la loi oblige à accorder aux partis politiques et/ou aux candidats un temps de parole. Cette restriction est d’autant plus grave qu’une proportion non négligeable de la population demeure analphabète et n’a, par conséquent, pas accès à la presse écrite. La presse écrite, lorsqu’elle est critique à l’égard du pouvoir, est constamment réprimée.

Ce harcèlement est facilité depuis la révision du Code pénal, appelée « amendement Dilem », qui incrimine dans des termes très vagues l’injure et la diffamation contre les institutions publiques par voie de presse. L’article 144 bis du Code pénal prévoit notamment des peines de prison ferme et de lourdes amendes aux journalistes .
En effet, depuis 2001, on ne compte plus les journalistes algériens accusés de diffamation et condamnés par les tribunaux. Les plaintes déposées émanent la plupart du temps du ministère de la Défense. Plusieurs journalistes ont été condamnés à des peines de prison et à de fortes amendes.

En 2005, au moins 114 affaires de presse ont été enregistrées Elles se sont soldées par une centaine de condamnations à des peines de prison ferme ou avec sursis et à des amendes.
Si en mai 2006, le Président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika a gracié les journalistes condamnés pour "diffamation" et "outrage à institution et corps constitués"4, cette mesure n’a pas mis fin à la répression de la presse algérienne. Les médias ont continué en 2006 et 2007, à être poursuivis et craignent toujours de voir leur journal fermés par décision de justice. Le Comité des droits de l’Homme a rappelé dans ses observations finales de 2007 sa préoccupation à cet égard et a demandé à l’Etat algérien de réviser sa législation afin de mettre fin à toute criminalisation de la diffamation5.

RESTRICTIONS A LA LIBERTE D’ASSOCIATION (Cf. rapport alternatif pp. 54-58)

De nombreuses associations et syndicats rencontrent d’importantes difficultés depuis l’instauration de l’état d’urgence tant pour être reconnus au niveau local, régional et national que pour mettre en œuvre leurs activités. Les membres d’associations et particulièrement les défenseurs des droits de l’Homme et les syndicalistes sont harcelés par les autorités.

Alors que l’article 7 de la loi n° 90-31 sur les associations ne prévoit qu’un régime déclaratif pour la création d’une association, hormis pour les associations étrangères, la pratique instaurée par les autorités fait de l’agrément une obligation. Bien que la loi ne fasse pas mention d’un agrément en tant que tel, il semblerait qu’en pratiqu de tels agréments sont réclamés à chaque démarche et notamment, pour l’ouverture d’un compte bancaire.
En outre, il n’est pas rare que les associations n’obtiennent jamais le récépissé d’enregistrement même après les 60 jours de délai légal. Enfin, les obstacles administratifs et juridiques restreignent les capacités de fonctionnement et empêchent d’obtenir toute subvention à l’intérieur de l’Algérie
En matière de financements, s’agissant des subventions de provenance étrangère, selon l’article 28 alinéa 2 de la loi 90-31 du 4 décembre 1990, seul le Ministre de l’Intérieur peut juger si elles sont recevables. « Il en vérifie l’origine, le montant, la compatibilité avec le but assigné par les statuts de l’association et les contraintes qu’ils peuvent faire naître sur elle. ».
De manière générale, la pérennité et l’autonomie des associations ne sont pas garanties en raison du manque de moyens financiers, du manque de soutien financier public et du manque de transparence et de publicité au sujet des possibilités de subventions.

INTERDICTION DE SE REUNIR ET DE MANISFESTER EN ALGERIE (Cf. rapport alternatif, pp 50-54)
Les manifestations et réunions pacifiques ont toujours été contrôlées par les autorités. Depuis la promulgation de l’état d’urgence, elles ont été réprimées sévèrement. En 2001, le paroxysme de la répression à l’encontre des manifestants a été atteint à la suite des évènements qui se sont organisés en soutien à la Kabylie. Plus d’une centaine de personnes est tombée sous les balles des forces de l’ordre6. A la question d’un journaliste concernant les « tirs à balles réelles des forces armées », le Général Nezzar, ex-Ministre de la Défense, a rétorqué : « mais vous voulez que l’on tire avec des balles en caoutchouc ! » Depuis lors, il règne une loi tacite en Algérie selon laquelle il est interdit de manifester.

Au moment de la campagne gouvernementale pour le référendum sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, ni les victimes du conflit, ni les associations de défense des droits de l’Homme n’ont été consultées et n’ont pu exprimer librement leurs revendications et leur opposition. Le paysage médiatique a été confisqué par le pouvoir tout comme la rue et les salles de réunion. Le Collectif des Familles de Disparus en Algérie et SOS Disparus, qui avaient commencé une contre-campagne sur leurs craintes concernant les graves atteintes aux droits fondamentaux contenues dans la Charte, ont été rapidement empĉchés d’agir par les autorités. Les bureaux de l’association ont été perquisitionnés, constamment surveillés et les membres ont été harcelés et menacés de mort jusqu’à ce qu’ils cèdent à la pression et laissent place au discours officiel. Les organisations qui continuent à vouloir utiliser leur droit de réunion pacifique font face à de nombreuses entraves imposées par la loi 91-19 du 2 décembre 1991 renforcées par certaines dispositions des textes d’application de la Charte et surtout par l’article 46 de l’ordonnance 06-01. En février 2007, cinq associations algériennes se sont vues interdire par les autorités la tenue de leur séminaire sur « la Vérité, la Paix et la Conciliation » avec comme prétexte l’obligation de respecter cet article liberticide.

HARCELEMENT ET REPRESSION DES DEFENSEURS DES DROITS DE L’HOMME (Cf. rapport alternatif pp58-59)
L’Algérie, lors de son élection au sein du nouveau Conseil des droits de l’Homme des Nations unies le 9 mai 2006, s’est engagée publiquement à prendre plusieurs engagements en faveur de la protection et de la promotion des droits de l’Homme, notamment "en plaidant pour un traitement égal des droits de l’Homme [...] et [en privilégiant] le dialogue et la concertation.
Or, harcèlements et pressions sur les membres des familles des défenseurs et de leur entourage, campagnes de dénigrement, coupures de téléphone, agressions, confiscation de papiers d’identité, surveillance policière, continuent à être le lot quotidien de nombreux militants oeuvrant pour la promotion et la protection des droits de l’Homme en Algérie.
Bien que l’article 33 de la Constitution algérienne du 28 novembre 1996 du droit de défendre les droits fondamentaux de l’Homme et les libertés individuelles et collectives, les autorités algériennes pratiquent une répression permanente des défenseurs des droits de l’Homme, qu’ils agissent collectivement (associations, partis politiques) ou à titre individuel (avocats, journalistes, etc.)

Les membres de l’association SOS disparu(e)s, sont régulièrement harcelés par les forces de sécurité. Les bureaux de l’association en Algérie ont fait l’objet de perquisitions sans mandat. Les membres de l’association ainsi que les mères de disparu(e)s font l’objet d’appels anonymes et de menaces.
Les avocats qui agissent aux cotés des familles de disparu(e)s, sont la cible des autorités judiciaires, harcelés et poursuivis par la justice pour des affaires infondées.
Le ministère de la justice a porté plainte contre Me Sidhoum le 23 août 2006 pour « discrédit sur une décision de Justice » ainsi que pour « outrage à corps constitué de l’Etat » à la suite de la parution d’un article en mai 2004 dans lequel il aurait évoqué, à propos de l’un de ses clients, une « décision arbitraire ». Convoqué pour complément d’information le 27 mai 2007. L’affaire est toujours pendante devant la Cour. Me Sidhoum risque 3 à 6 ans de prison ferme.

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