Commerce et droits de l’Homme : Dénoncer la schizophrénie des Etats

Du 16 au 21 avril, se tient à Québec le deuxième " Sommet des Peuples des Amériques ", en marge du Sommet des chefs d’Etats et de gouvernements du continent. Les membres de la société civile vont tenter une fois encore d’apporter une réponse à la volonté désormais clairement affichée d’établir une Zone de Libre-échange englobant l’ensemble des Etats Américains et des Caraïbes, excepté Cuba. Plusieurs Forums de discussion sont ainsi proposés aux participants, dont celui sur les droits humains, organisé par la Ligue des droits et Libertés du Québec (LDL) - affiliée à la FIDH -.

Schizophrénie des Etats et Primauté du droit international des droits de l’Homme

Depuis le Sommet de Miami (cf. chronologie ci-jointe), des groupes de négociation oeuvrent de façon quasi-secrète à la préparation d’un accord par lequel serait créé la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Parmi les droits les plus menacés par la perspective d’une telle zone, s’étendant de l’Alaska a la Terre de feu, figurent les droits à l’alimentation, à l’éducation (privatisations des systèmes éducatifs...), à la santé (suppression de programmes nationaux de vaccinations...), ou bien encore les droits relatifs à la propriété intellectuelle (droits des populations autochtones...). L’ensemble de ces sujets d’inquiétudes sont analysés dans un rapport publié par le Centre Droits et Démocratie, en collaboration avec la FIDH. Ce rapport, intitulé " Un cadre de référence des droits humains pour le commerce dans les Amériques ", est disponible sur le site de la fidh :
http://www.fidh.org/ecosoc/rapport/2001/fr/2903f.pdf
Ces négociations sur la ZLEA démontrent que les droits de l’Homme sont toujours considérés comme autant d’entraves à la libéralisation des échanges. Tout au plus y accorde-t-on une attention détournée quand ils représentent des " avantages déloyaux " ou des " obstacles techniques au commerce. " Ces droits ne sont donc appréhendés qu’au travers du prisme de la facilitation ou au contraire du blocage de la libéralisation des échanges. On assiste donc à une inversion totale des valeurs. Jusqu’à présent, ce n’est pas le commerce qui a dû s’adapter aux droits fondamentaux de la personne, mais l’inverse. Pourtant, le principe de préséance du droit international des droits de l’Homme sur les dispositions d’accords de commerce devrait être l’objet d’un large consensus au niveau international, notamment au regard de la valeur juridique des instruments les explicitant. La FIDH et la LDL considèrent en effet que les gouvernements ne peuvent ignorer leurs obligations en matière de droits humains lorsqu’ils négocient des ententes commerciales. Selon elles Ils doivent en premier lieu s’assurer que les accords qu’ils sont en train de négocier sont conformes aux instruments internationaux de défense des droits humains auxquels ils sont liés.
La FIDH dénonce cette schizophrénie des Etats qui, d’un côté ratifient les conventions internationales de droits humains et de l’autre prennent des engagements, dans la cadre de négociations commerciales, qui contredisent directement les obligations qu’ils se sont engagés de respecter.
La FIDH se félicite cependant du fait que les documents de base des négociations soient enfin à disposition des ONG, mais regrette l’impossibilité pour celles-ci de les diffuser convenablement, compte-tenu notamment des délais de traduction.

Québec : zone de répression des Amériques ?

Les événements qui viennent de se dérouler à Buenos Aires, à l’occasion d’une rencontre entre ministres du Commerce et des affaires étrangères de 34 pays du continent, montrent qu’au cours de ce type de réunions, les libertés d’expression et de manifestation sont particulièrement menacées. En effet, l’intensification de la répression et des restrictions à la liberté d’expression qui accompagnent les rassemblements de la société civile, préoccupe à juste titre les défenseurs des droits de l’Homme.
A Seattle, déjà, l’arrestation de plus de 500 manifestants avait conduit l’American Civil Liberties Union (ACLU) à publier un rapport dénonçant les multiples violations des droits de l’Homme commises par les forces de l’ordre envers les manifestants. Parmi celles-ci figuraient notamment :
Ø La création de zones où toute protestation est interdite
Ø La surveillance et l’intimidation des organisateurs des manifestations
Ø Des actes répréhensibles commis par les policiers, notamment l’usage d’une force excessive contre des rassemblements pacifiques, des arrestations illégales et le mauvais traitement de personnes en détention.
Craignant que de tels débordements - également observés à Prague lors des réunions annuelles de la Banque Mondiale et du FMI - ne se reproduisent à Québec, la LDL a demandé à différentes organisations de participer à une mission d’observation. En effet, avec plus de 32 millions de dollars investis dans la sécurité du Congrès, et l’un des plus vaste dispositifs policiers jamais déployé au Canada, il est à craindre que de graves dérives ne se produisent, à commencer par les atteintes délibérées au droit de manifestation. Un périmètre de sécurité a d’ores et déjà été mis en place à Québec (les émetteurs de cellulaires seront coupés), 6000 policiers seront affectés à la sécurité du sommet et ont reçu un entraînement spécifique à cette fin, les brigades anti-émeutes ont quant à elles reçu de nouveaux matériels, et la prison de Québec a été réquisitionnée ... au cas où... .
Cette mission, qui se déroulera du 14 au 24 avril 2001 sera menée par des observateurs provenants de grandes ONG internationales (la FIDH, Amnesty International, Human Rights Watch) et nationales comme la Coordination Nationale des droits de l’Homme du Pérou et la Coalition nationale des droits des Haïtiens. Les observateurs, qui porteront des dossards orange, surveilleront le déroulement des manifestations et les éventuelles répressions policières, et visiteront régulièrement les centres de détention. Leurs observations donneront lieu ultérieurement à un rapport de mission, qui portera notamment sur le déroulement des manifestations, ainsi que sur les conditions de détention (éventuelles) des manifestants.
Par ailleurs un comité de surveillance des libertés civiles, regroupant une trentaine d’avocats et juristes québécois, rapportera quotidiennement les violations potentielles des droits fondamentaux observées à Québec.

Brève Chronologie de la ZLEA

27 juin 1990 : Le président des États-Unis, Georges Bush, présente son projet : Initiative pour les Amériques. Un des objectifs prioritaires : créer une zone de libre-échange à l’échelle continentale, de mettre sur pied un fonds d’investissement, dont le mandat serait d’encourager les réformes et d’attirer les investissements internationaux et d’alléger les dettes des pays latino-américains
9 au 14 décembre 1994 : Sommet de Miami. Les chefs d’État et de gouvernement des 34 pays du continent s’entendent pour créer une zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) d’ici 2005. Le projet prévoit de libéraliser les marchés des biens et services des capitaux, améliorer les infrastructures, y compris les télécommunications, renforcer la coopération dans les domaines de l’énergie, de la science, de la technologie et du tourisme. Deux documents sont adoptés à cet effet, une déclaration de principes et un plan d’action.
18 et 19 avril 1998 : 2ème Sommet des Amériques, à Santiago, Chili. Les négociations commerciales pour l’établissement de la ZLÉA sont officiellement lancées. La Déclaration de Santiago réaffirme les grands principes du projet des Amériques et le plan d’action reprend le protocole établi en mars dernier.
Ce plan d’action est défini comme un corps d’initiatives concrètes destinées à promouvoir le plein
développement des pays de l’hémisphère et à assurer l’accès et l’amélioration de la qualité de l’éducation, la promotion et la fortification de la démocratie et le respect des droits de l’homme, l’approfondissement de l’intégration économique, le libre commerce et l’éradication de la pauvreté et de la discrimination.
Avril 1998 : 1er Sommet des peuples des Amériques, initiative lancée par l’Alliance sociale continentale.
16-21 avril 2001 : 2ème sommet des peuples des Amériques
20-22 avril 2001 : 3ème Sommet des chefs d’Etats et de Gouvernements (Québec)

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