Résumé exécutif du rapport annuel de l’IHD 2012

09/05/2013
Rapport
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Lorsque nous avions présenté le rapport 2011 sur les violations des droits humains en Turquie, nous avions conclu que le pays était devenu un véritable État policier et que les pratiques autoritaires du gouvernement avaient atteint des proportions extrêmes. Un regard rapide sur le rapport 2012 permet de constater que les pratiques autoritaires ont continué.

Ces pratiques ayant fait l’objet de violentes critiques de la part de la population, le troisième « paquet judiciaire » entré en vigueur en juillet 2012 a cherché à mettre fin aux détentions arbitraires et prolongées, mais s’est heurté aux erreurs commises par le pouvoir judiciaire. Afin de mettre fin au problème de surpopulation carcérale, de nouvelles dispositions législatives sur la mise en liberté sous contrôle ont été adoptées, si bien qu’environ 20 000 individus ont été libérés au cours de l’année 2012. Une disposition supplémentaire a également permis la mise en liberté d’environ 15 000 personnes détenues dans des prisons ouvertes.

Cependant, l’approche du gouvernement ne fournit que des solutions provisoires, indiquant qu’il n’est pas disposé à s’attaquer à la racine des problèmes. Le troisième paquet judiciaire, en créant des cours d’assises dans 11 zones (article 10 de la loi sur la lutte contre le terrorisme) pour remplacer les cours d’assises existantes dans 8 zones (article 250 du code de procédure pénale), indique que non seulement le système judiciaire extraordinaire perdure, mais qu’il s’institutionnalise progressivement. Comme les procédures ne se déroulent pas dans le respect de l’Etat de droit, les violations du droit à une procédure équitable persistent de manière inquiétante. Le gouvernement ne semble pas prêt à renoncer à sa politique de « pression par le judiciaire ».

Les pratiques judiciaires actuelles témoignent du non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’adoption du quatrième paquet judiciaire en avril 2013, censé remédier à ces problèmes, n’a donné que de faux espoirs. Grâce à la pression de l’opinion publique, il a toutefois été remis à une sous-commission parlementaire.

Les bonnes nouvelles méritent elles aussi d’être soulignées. Par exemple, le fait que le dialogue commencé fin 2012 entre Abdullah Öcalan, leader du PKK, et le gouvernement turc se soit transformé en véritable négociation est un développement encourageant. Comparé au bilan 2012 sur les violations des droits humains, 2013 semble annoncer des améliorations relatives en ce qui concerne le droit à la vie. Les espoirs croissants de démocratisation de la République seront sans doute déterminants dans la lutte contre les violations.

Des développements de grande importance viennent en effet d’avoir lieu : Öcalan a déclaré la cessation des hostilités et sa volonté de poursuivre la lutte uniquement par la politique le 21 mars, jour du Newroz, à Diyarbakır, et le PKK a proclamé l’armistice le 23 mars. Si ce processus se poursuit, il permettra de faire pression sur le gouvernement afin d’améliorer le respect des droits humains, notamment le droit à la vie.

Au fur et à mesure qu’une solution pacifique et démocratique au problème kurde se dessinera, il sera cependant nécessaire d’éclaircir les violations graves des droits humains commises dans le passé, de rendre justice, de présenter des excuses aux victimes et de mettre en place des Commissions de vérité et de réconciliation.

S’agissant du retrait des forces armées du PKK au-delà des frontières de la Turquie, il serait nécessaire d’établir une commission d’observation afin d’assurer que le retrait s’effectue dans le respect des droits humains et contribue à la construction de la paix sociale pour une meilleure résolution du conflit.

Avec la résolution de la question kurde, la Turquie devra aussi faire face à des problèmes réels et mener des enquêtes sur les fosses communes, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires ; déterminer qui étaient les responsables des massacres de masse (comme le tout récent massacre de Roboski) ; permettre le retour des villageois déplacés et expropriés ; abolir le système des gardes villageois et, enfin, nettoyer les champs de mines. La création d’une Commission de vérité et de réconciliation sera nécessaire à la mise en place d’un système de justice réparatrice.

Ainsi, le rapport 2012 indique que les pratiques de l’État policier perdurent mais que le processus de paix repris en 2013 permet d’espérer.

VIOLATIONS DU DROIT A LA VIE

Une étude sur les violations du droit à la vie nous permet d’observer en premier lieu que les violations du droit à la vie par les forces de la police continuent. Leur augmentation s’explique surtout notamment par une modification de la loi sur les missions et les pouvoirs de la police, survenue en 2007, qui a considérablement facilité l’usage des armes par les forces de l’ordre. Il n’y a guère eu de progrès à cet égard, étant donné qu’une véritable « culture de l’impunité » existe toujours.

Les cas de décès dans les prisons et les centres de détention continuent. La mort des détenus malades à cause du refus de leur accorder un traitement médical met en évidence l’insensibilité du pouvoir politique, qui laisse les détenus « pourrir » dans les prisons. Parmi les 411 détenus malades, 124 souffrent de maladies mortelles qui nécessitent leur mise en liberté immédiate ; en outre, 121 souffrent de maladies graves qui nécessitent des traitements lourds. 245 détenus attendent d’être relâchés en raison de leur maladie grave, ce qui leur est refusé. La loi n° 6411 adoptée en janvier 2013 prévoit qu’un détenu malade qui ne peut s’assumer seul peut être mis en liberté à condition que sa libération ne constitue pas un danger pour la sécurité publique ; cette disposition montre que le pouvoir politique poursuivra sa politique rigide en la matière.

Le décès de 9 personnes dans les centres de détention au cours de l’année 2012 est une indication supplémentaire de la poursuite des pratiques de l’État policier et des politiques d’impunité. L’adoption du projet de loi sur le contrôle de la police, qui stagnait au parlement lors de la période législative précédente, serait un pas, aussi modeste soit-il, vers la résolution du problème.

Le maintien du système des gardes villageois entraîne lui aussi des violations du droit à la vie. En 2012, deux personnes ont été tuées et trois ont été blessées par des gardes villageois. La politique de l’impunité continue également dans ce domaine. En parallèle avec la résolution démocratique du problème kurde, le système des gardes villageois devra être absolument supprimé.

En 2012, l’explosion de mines et de bombes de provenance inconnue a fait 85 blessés et a tué 19 civils (dont 8 enfants). Des mesures ont été prises en 2009 afin d’éliminer les mines situées sur la frontière syrienne, mais aucune disposition sérieuse ne concerne le nettoyage des mines situées en territoire turc, celles qui constituent en réalité le véritable problème. Neuf départements situés à proximité de lieux habités sont touchés par le problème des mines et, pourtant, aucune initiative concrète n’a été prise pour ces zones, qui devraient être nettoyés d’ici 2014 en vertu de la Convention d’Ottawa.

En 2009, la République turque a officiellement reconnu le problème kurde mais a refusé d’adopter des dispositions constitutionnelles et législatives pour une solution démocratique et pacifique, ce qui a approfondi la crise et donné lieu à une montée de la violence. Le nombre des personnes mortes lors d’affrontements armés est passé de 338 en 2011 à 507 en 2012. La rupture des négociations en cours en 2011 a entraîné une augmentation des conflits armés et par conséquent le nombre de morts.

S’agissant du problème kurde, la politique d’aliénation doit immédiatement être abandonnée et une politique de reconnaissance passant par des solutions constitutionnelles et législatives doit être adoptée. Au cours des deux années précédentes, les Kurdes ont manifesté leur volonté par des actes de désobéissance civile. La réponse du gouvernement a été l’adoption non déclarée de l’état d’urgence, augmentant ainsi le risque que les tensions latentes dégénèrent en conflit ouvert. Les pratiques de cet état d’urgence non déclaré ont continué jusqu’en 2012. Heureusement, la reprise des négociations avec Abdullah Öcalan en 2013 montre que, cette fois-ci, les parties ont une solide volonté de résoudre le problème.
Jusqu’à 2013, l’impossibilité de trouver une solution au problème kurde et la situation prolongée de conflit armé ont favorisé l’émergence d’une culture de la violence et l’expansion du nationalisme et du chauvinisme. Dans une telle atmosphère, les cas de suicides suspects de policiers et de militaires ont augmenté rapidement. Durant l’année 2012, on en a constaté 69. Une telle augmentation révèle l’existence de problèmes structuraux en Turquie.

Premièrement, le droit à l’objection de conscience n’est pas respecté, malgré l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Bayatyan C. Arménie n° 23459/03, qui a clairement reconnu le droit à l’objection de conscience et a explicitement déclaré que les États membres du Conseil de l’Europe devaient se conformer à ce droit en vertu de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Si des jeunes jugent le service militaire incompatible avec leur personnalité, leurs convictions, leurs croyances, leurs opinions politiques ou philosophiques, cela ne devrait pas les mener au suicide. En conséquence, le droit à l’objection de conscience devrait être immédiatement reconnu et les personnes qui considèrent le service militaire comme incompatible avec leurs convictions devraient pouvoir jouir de ce droit.

Deuxièmement, la discipline au sein de l’armée turque est très sévère et difficilement supportable pour certains jeunes gens. De nouvelles dispositions devraient ainsi immédiatement être adoptées afin d’assouplir la discipline. L’adoption de la loi n° 6413 du 31 janvier 2013 sur la Discipline des Forces Armées Turques, en vertu de laquelle la peine d’isolement (surnommée le ‘Disko’) ne relève plus des punitions disciplinaires courantes, constitue d’ores et déjà un grand progrès dans ce domaine. Le rôle joué par la peine d’isolement dans les 2221 cas de suicides survenus au cours des vingt dernières années ne doit en effet pas être oublié. Les améliorations doivent continuer.

Troisièmement, les crimes de haine ne font pas l’objet d’une régulation en droit turc. En particulier, les discriminations subies par les soldats en raison de leur appartenance ethnique, religieuse ou confessionnelle, de leurs opinions politiques et philosophiques, sont bien connues. Les discours encourageant la haine devraient être immédiatement interdits et des poursuites judiciaires engagées contre toute personne ayant commis un crime de haine.

Quatrièmement, les cas d’impunité - surtout dans les zones militaires - ont atteint un niveau intolérable. Les atteintes au droit à la vie, au droit à l’intégrité corporelle ainsi que les torture commises dans les zones militaires ne font pas l’objet d’investigations ni de poursuites judiciaires effectives. L’absence de poursuites judiciaires ne produit pas d’effet dissuasif et les crimes continuent en toute impunité. Les cas de suicides suspects au sein de l’armée mettent en évidence le désespoir des soldats, dont les persécuteurs ne sont pas inquiétés. Pour cette raison, ainsi qu’en vertu du principe de la suprématie du droit, les tribunaux militaires doivent être supprimés. Autre exemple d’impunité : la tentative de lynchage visant une famille alévie à Malatya/Sürgü n’a pas fait l’objet d’investigation ni de poursuites judiciaires. La politique discriminatoire continue donc à produire des effets. Le seul fait que de telles tentatives peuvent être dirigées contre des Alévis prouve que la sécurité publique n’est pas assurée. D’autres tentatives de lynchages par des formations illégales ont d’ailleurs eu lieu à l’encontre des Kurdes à Afyon/Sultandağı et à Karabük au début de l’année 2013, ainsi que contre des membres du comité exécutif du Congrès démocratique des peuples à Sinop et à Samsun. Ces événements illustrent la tolérance éhontée de l’État vis-à-vis de formations illégales qui violent la sécurité des citoyens turcs.

Par ailleurs, les violations du droit à la vie des femmes et des enfants ont malheureusement augmenté. Les diverses initiatives d’ordre législatives du gouvernement visant l’adoption de lois ne sont pas parvenues à mettre fin aux nombreux décès. Les crimes d’honneur, les suicides et les décès de femmes et d’enfants constituent un problème qui ne peut être résolu que dans un environnement pacifique et grâce à un volonté politique ferme de mettre fin à la culture de la violence actuelle.

L’événement le plus marquant survenu en 2011 en matière de violations du droit à la vie est sans doute la découverte de nombreuses fosses communes par l’Association des Droits Humains. Selon les données fournies par celle-ci, 3248 individus auraient été ensevelis dans 253 fosses communes. Aucune volonté politique permettant l’examen de ces fosses n’a été exprimée, violant ainsi le protocole de Minnesota sur l’autopsie. La manière dont ces fosses seront ouvertes est encore inconnue. Des mesures politiques ont été attendues pendant toute l’année 2012.

Les sittings et les campagnes organisées par l’Association des Droits Humains demandant l’investigation des disparitions forcées survenues depuis le coup d’Etat du 12 septembre 1980 jusqu’à 2004 et le jugement des responsables ont continué. L’association n’a pas reçu de réponse de la part du gouvernement, qui garde le silence en la matière.

L’Association des Droits Humains et la Fondation turque des droits humains poursuivent leur campagne en faveur de l’adoption du principe d’imprescriptibilité pour les crimes dont l’auteur est inconnu. Certes, la suppression de la prescription du crime de torture par le quatrième paquet judiciaire constitue un développement important, mais elle demeure insuffisante. L’imprescriptibilité devrait être la règle de principe en ce qui concerne tous les crimes contre l’humanité et l’article 7/2 de la Convention européenne des droits de l’homme devrait absolument être respecté.

Nous voudrions rappeler que pour une lutte effective contre les violations du droit à la vie, la Turquie devrait reconnaître la juridiction obligatoire du Tribunal pénal international et ratifier la Convention internationale des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ainsi que les Protocoles additionnels facultatifs des Conventions de Genève.

TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS

Au cours de l’année 2012, les allégations de torture, de mauvais traitements, ainsi que de traitements ou châtiments inhumains ou dégradants ont été nombreuses et répandues. Le régime du 12 septembre avait mis en place une politique d’impunité qui s’est transformée par la suite en une culture d’impunité. Tant qu’une véritable lutte n’est pas menée contre la culture d’impunité, une diminution des allégations de torture et de mauvais traitements n’est guère possible. La politique gouvernementale de « tolérance zéro vis-à-vis de la torture » est restée d’ordre théorique et aucune lutte effective n’a été menée, ce que confirment les statistiques officielles.

Selon les statistiques judiciaires publiées par le Ministère de la Justice, 707 personnes avaient été jugées pour crimes de torture et de mauvais traitements en 2009. Ce chiffre est passé à 755 en 2010 et à 800 en 2011. L’augmentation des cas de torture et de mauvais traitements apparaît aussi clairement dans les rapports annuels de notre association. Ces données prouvent que le gouvernement n’a pas su prévenir et empêcher les pratiques de torture. En contrepartie, 22 195 personnes avaient été jugées en 2009 pour crime de résistance aux forces de police (crime inscrit à l’article 265 du Code pénal turc), chiffre qui est passé à 25 497 en 2010 et à 27 753 en 2011. Ces chiffres prouvent clairement que la culture d’impunité continue d’exister.
En vertu du Protocole facultatif à la Convention contre la torture, la Turquie aurait dû créer un mécanisme national de prévention avant le 27 octobre 2012. Le refus d’instituer ce mécanisme ne fait qu’augmenter nos préoccupations. Il n’est pas suffisant que l’Institution des Droits Humains de la Turquie, créée en 2012 en dépit de l’opposition des organisations des droits humains, ait parmi ses missions la création d’une unité de lutte contre la torture et les traitements inhumains. La Turquie devrait absolument mettre en place le mécanisme national de prévention en tant qu’institution indépendante.

L’emploi croissant de la torture et des mauvais traitements dans les prisons et dans l’espace public constitue clairement une menace pour tous les citoyens. Le fait que le nombre des allégations de torture et de mauvais traitement soit passé à 2571 en 2012 montre que la torture a changé de lieu mais pas de nature.

LIBERTÉ DE PENSÉE, D’EXPRESSION ET DE LA PRESSE

Des dispositions particulièrement restrictives en matière de liberté de pensée, d’expression et de la presse sont prévues aux articles 134, 214, 215, 216, 217, 218, 220/6,7 et 8, 222, 277, 285, 288, 300, 301, 305, 314/3, 318 et 341 du Code pénal turc et par la Loi sur la lutte contre le terrorisme, la Loi sur les délits, la loi n° 2911, la Loi sur les partis politiques, la Loi sur les syndicats, la Loi sur les associations et la loi sur la protection d’Atatürk. En 2012, aucune modification substantielle n’a été effectuée par le gouvernement concernant ces dispositions. L’ajournement, en vertu du troisième paquet judiciaire, des crimes de propagande commis jusqu’au 31 décembre 2011 a constitué un soulagement provisoire, sans toucher au fond du problème. Selon les statistiques officielles du Ministère de la Justice, 140 personnes ont été jugées en 2011 pour avoir violé seulement l’article 301 du Code pénal turc. Toujours dans le courant de l’année 2011, 11 657 personnes ont fait l’objet de poursuites judiciaires pour avoir promu des organisations illégales selon les termes de la Loi sur la lutte contre le terrorisme. Les poursuites judiciaires dont les journalistes ont fait l’objet se comptent par milliers. De nombreux politiciens, syndicalistes, activistes des droits humains, journalistes, avocats, intellectuels, écrivains, étudiants et maires ont été accusés de mener des « activités illégales ».
En 2012, l’accès à 6661 sites internet a été bloqué. La tentative du gouvernement d’utiliser un système de filtrage pour exercer un contrôle absolu et complet sur l’accès à l’Internet s’est pour l’instant heurtée à l’opposition de l’opinion publique. L’article 6 de la Loi sur la lutte contre le terrorisme, qui a permis la censure de certaines publications et qui a été fustigé par la Cour européenne des droits de l’homme, a été modifié par le troisième paquet judiciaire, mais de manière insuffisante. Le quatrième paquet judiciaire, transmis à l’assemblée nationale turque en mars 2013, n’a pas été à la hauteur de nos attentes. Nos espoirs reposent à présent sur les prochains paquets judiciaires.

LIBERTÉ DE RÉUNION, DE MANIFESTATIONS

Les atteintes à la liberté de réunion et de manifestation ont atteint leur paroxysme en 2012. De graves violations ont eu lieu lors de l’intervention des forces de l’ordre pendant des réunions ou manifestations. 424 réunions et manifestations de masse ont fait l’objet d’interventions, surtout en Anatolie de l’est et du sud-est. Les données officielles fournies par le Ministère de la Justice confirment que les violations de la liberté de réunion et de manifestation sont de plus en plus fréquentes. Selon les données du Ministère, 3297 personnes ont été jugées en 2007 pour avoir enfreint la Loi sur les réunions et les marches de manifestation. En 2008, elles étaient 3778, 8251 en 2009, 11 462 en 2010 et 13 479 en 2011.

Le pouvoir politique refuse la critique et recourt à la force pour faire taire les manifestations qui mettent en cause son action. Outre ce comportement antidémocratique, des changements dans le système judiciaire suscitent également l’inquiétude. En effet, la chambre de la Cour de Cassation compétente en matière de violations de la loi 2911 a été modifiée et ces affaires relèvent désormais de la compétence de la neuvième chambre, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une augmentation des condamnations. Toutefois, dans un arrêt de cassation en 2012, la neuvième chambre a entravé, ne serait-ce que partiellement, la politique pénale oppressive du pouvoir politique, en déclarant que la liberté de réunion et de manifestation constituait une forme particulière de la liberté d’expression. Le « Rapport sur les violations du droit de célébrer Newroz » publié par l’Association des Droits Humains le 2 avril 2012 a clairement démontré que les autorités publiques ne permettaient pas à la population d’invoquer la liberté de réunion et de manifestation et qu’elles pouvaient intervenir très violemment.

L’Union des médecins turcs a clairement déclaré que l’usage excessif de gaz lacrymogène produisait des effets semblables à ceux d’une arme chimique. L’emploi d’armes produites à partir d’agents chimiques devrait immédiatement être réglementé. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs condamné la Turquie pour avoir excessivement utilisé des gaz lacrymogènes, violant ainsi l’interdiction d’employer la torture et les mauvais traitements. Les déclarations du Ministre de l’Intérieur encourageant la police à faire usage du gaz indiquent clairement que les pratiques de torture et de mauvais traitements se perpétuent à un niveau avancé. La mort de quatre personnes atteintes par des capsules de gaz poivre en 2012 témoignent également de la gravité du problème.

LIBERTÉ D’ASSOCIATION

En 2012, 18 actions en dissolution ont été engagées contre des associations. Les sièges de partis politiques et d’associations ont fait l’objet de 68 attaques anonymes.

Le système électoral n’a pas été changé et la barrière des 10% est maintenue pour les élections parlementaires.

La législation relative aux droits syndicaux, modifiée en dépit de l’opposition des confédérations d’ouvriers, a donné lieu à de nouveaux problèmes, puisque le nombre des syndicats habilités à conclure des conventions collectives a diminué en raison de l’élargissement des secteurs.

La liberté d’association est ainsi régulièrement malmenée.

DROIT A LA LIBERTÉ ET DROITS DES DÉTENUS

La croissance continue du nombre de détenus dans les prisons turques illustre l’omnipotence de l’État policier. Le nombre de détenus, qui était de 128 604 fin 2011, est passé à 130 617 en février 2012. Parmi ces détenus, 42,30% sont en état d’arrestation et 2309 sont des mineurs (dont 2100 mineurs sont en état d’arrestation, soit 90,94%). Ce pourcentage indique clairement que la Turquie ne respecte pas le système de justice pour les enfants.

Afin de remédier au problème du nombre croissant de détenus, la Loi sur la mise en liberté contrôlée a permis dans un premier temps la libération de 20 000 personnes. Toutefois, le nombre de détenus a encore augmenté à la fin de l’année. En ce qui concerne les prisons ouvertes, environ 15 000 détenus ont été libérés en vertu de la loi n° 6411 adoptée en janvier 2013.

Du 12 septembre au 18 novembre 2012, des détenus politiques kurdes ont fait une grève de la faim illimitée et irréversible. Cette grève, débutée à l’occasion de l’isolation de la prison d’İmralı et pour soutenir le droit des accusés à une défense en langue maternelle, a été interrompue à son moment le plus critique grâce à l’appel d’Abdullah Öcalan, qui voulait éviter une fin tragique. La grève de la faim a permis aux demandes des détenus d’être entendues.

Le Ministère de la Justice s’est livré à de sérieuses fraudes juridiques afin de camoufler le nombre élevé de personnes arrêtées parmi les détenus. Les accusés dont le dossier se trouvait devant la cour de cassation ont été appelés « condamnés » au lieu de « en état d’arrestation en vertu d’une décision judiciaire ». « L’habitude » de juger les accusés en état d’arrestation continue en Turquie. Le nombre total de détenus était de 127 284 au 15 mars 2013.

Le troisième paquet judiciaire a aboli les cours d’assises à compétence extraordinaires, qui constituaient en quelque sorte une continuation des cours de sûreté de l’État. Toutefois, elles ont été remplacées par de nouvelles cours d’assises extraordinaires qui jouissent des mêmes compétences en vertu de l’article 10 de la Loi sur la lutte contre le terrorisme. Cette mesure institutionnalise la fragmentation du pouvoir judiciaire, renforçant le caractère répressif du système pénal.

Selon les données fournies par le Ministère de la Justice, 359 personnes ont fait l’objet de poursuites judiciaires en raison de leur appartenance à une organisation illégale armée en 2008, 4624 personnes en 2009, 7689 personnes en 2010 et 8301 personnes en 2011. En additionnant le nombre de poursuites engagées en quatre ans (24 273), on remarque que l’utilisation de la Loi sur la lutte contre le terrorisme et de l’article 314 du Code pénal turc fait est abusive et arbitraire.

En outre, entre 2007 et 2011, 46 231 personnes ont fait l’objet de poursuites judiciaires pour crimes de propagande (prévus par les articles 6 et 7 de la Loi sur la lutte contre le terrorisme), démontrant que les cours d’assises à compétence extraordinaire sont instrumentalisées en fonction des besoins du pouvoir politique. Les cours en question devraient absolument être supprimées si la Turquie veut respecter le droit à un procès équitable.

Les crimes de haine n’ont fait l’objet d’aucune régulation juridique et aucune initiative n’a été prise concernant la lutte contre la discrimination en 2012.

Une analyse de l’année 2012 permet d’observer des violations graves du droit à la liberté. Au courant de l’année 2012, 12 300 personnes, dont 550 mineurs, ont été placées en garde à vue. Parmi ces personnes, 2788 (dont 125 mineurs) ont été mises en état d’arrestation. La plupart des détentions et des arrestations étaient dirigées vers des Kurdes, dont la liberté d’expression et d’association a été violée.

Avant tout, les arrestations et les détentions qui ont eu lieu depuis le 14 avril 2009 prouvent que le pouvoir judiciaire exerce une grande pression. Il y a eu 7718 cas de détention et 1923 cas d’arrestation en 2009, 7100 cas de détention et 1599 cas d’arrestation en 2010, 12 685 cas de détention et 2922 cas d’arrestation en 2011. Selon les données de l’Association des Droits Humains, il y a eu, durant les quatre dernières années, 39 803 cas de détention et 9232 cas d’arrestation. La plupart de ces actes visaient les Kurdes et les membres du BDP.

A l’heure actuelle, de nombreux défenseurs des droits humains ; des dizaines d’avocats (dont 9 députés), de journalistes et de maires ; des centaines de membres de conseils municipaux et de conseils généraux des villes ; plus d’une centaine de syndicalistes ; des centaines d’étudiants, d’universitaires, d’intellectuels et d’écrivains se trouvent en état d’arrestation.

DROITS DES REFUGIES ET DES DEMANDEURS D’ASILE

Aucun progrès concret n’a été réalisé dans ce domaine. Le projet de loi sur les étrangers attend toujours de figurer à l’ordre du jour de la Grande assemblée nationale turque. La somme élevée demandée aux réfugiés sous forme de taxe de résidence continue à donner lieu à de graves problèmes. Comme la Turquie est un pays de transit, 17 540 réfugiés et demandeurs d’asile (dont 14 024 en provenance de Syrie) ont été placés en détention au courant de l’année 2012. Les problèmes rencontrés par les personnes fuyant la Syrie à partir de 2011 ont été relevés par les organisations de défense des droits humains et rapportés au public ainsi qu’aux autorités.

PRESSIONS EXERCÉES SUR LES DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

Les pressions exercées sur les défenseurs des droits humains ont continué en 2012. Maître Muharrem Erbey, vice-président de l’Association des Droits Humains, est en état d’arrestation depuis 2009 à Diyarbakır. Rosa Erdede, l’une des dirigeants du bureau de l’Association des Droits Humains situé à Diyarbakır, a été relâchée en juin 2012, alors qu’Aslan Özdemir se trouve lui toujours en état d’arrestation depuis avril 2009. Abdulakadir Çurgatay, directeur du bureau de Mardin, ainsi que les dirigeants du bureau d’Aydın, se trouvent eux aussi toujours en état d’arrestation. Osman İşçi, qui représentait l’Association des Droits Humains auprès du comité administratif du Réseau euro-méditerranée des droits de l’homme, a été placé en détention le 25 juin 2012 puis arrêté, de même que 28 syndicalistes. Ali Tanrıverdi, directeur de la branche de Mersin, a lui été arrêté le 21 septembre 2012.

Par ailleurs, de nombreuses enquêtes et poursuites judiciaires contre les dirigeants et les membres de l’Association sont en cours. Ces enquêtes et ces poursuites indiquent clairement que la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, n’est pas respectée par la Turquie. L’augmentation des pressions exercées dans la pratique sur les défenseurs, en dépit de la Circulaire n° 2004/139 du Ministère de l’Intérieur, indique clairement que l’approche du gouvernement en matière de droits humains vise d’abord à assurer la sécurité et le maintien de l’ordre. Le projet de loi sur l’Institution des Droits Humains en Turquie n’a pas été adopté par le parlement en 2011 et est devenu caduc. Il a été présenté à nouveau en 2012 devant la Grande assemblée nationale turque, qui l’a adopté sans modification.

En conclusion, la protection des droits humains s’est clairement détériorée durant l’année 2012. Nous espérons cependant que les violations vont diminuer avec la reprise du processus de résolution du problème kurde. Avec l’adoption d’une nouvelle constitution démocratique an arrière-plan, notre association continuera sa lutte pour l’amélioration de la protection des droits humains en 2013.

COMITE ADMINISTRATIF CENTRAL DE L’ASSOCIATION DES DROITS DE L’HOMME
COMITE ADMINISTRATIF DE LA FONDATION DES DROITS DE L’HOMME DE LA TURQUIE

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