Résolution sur transitions politiques et droits humains

Résolution adoptée par le 38e Congrès de la FIDH

Présentée par le Bureau International de la FIDH

Les 164 organisations membres de la FIDH sont honorées de tenir le Congrès mondial de la FIDH en Turquie, pays emblématique des problèmes que traversent aujourd’hui les pays en transition, dans l’aire arabo-musulmane ou ailleurs dans le monde. Les défis à relever y restent considérables, notamment s’agissant de la liberté d’expression, de la situation des défenseurs des droits humains ou du conflit dans l’Est du pays.
Les transitions sont marquées par des chantiers institutionnels et politiques, et notamment des réformes constitutionnelles qui doivent être l’occasion de réaffirmer sans équivoque les principes fondamentaux suivants : universalité des droits humains ; séparation des pouvoirs et indépendance du pouvoir judiciaire ; garantie des droits fondamentaux et criminalisation de leur violation ; universalité des droits humains ; établissement de mécanismes effectifs de lutte contre la corruption ; primauté des droits humains sur les normes internes et sur les accords internationaux de commerce et d’investissement.

Ce sont bien souvent des revendications pour la dignité et la justice sociale - liées aux droits économiques et sociaux - qui sont à l’origine des transitions et des révolutions. La FIDH appelle les Etats à garantir concrètement ces droits, en les inscrivant dans la constitution et la loi, en consacrant le maximum de leurs ressources à leur mise en œuvre, en garantissant des mécanismes de recours effectifs pour les victimes et en ratifiant le protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui permet aux individus de porter plainte devant les Nations unies en cas de violation de leurs droits économiques et sociaux.

Dans toutes les situations de transition politique, il est indispensable d’établir la vérité sur les violations graves des droits humains qui ont été commises. Si la traduction en justice des responsables de ces violations est un droit, sa mise en œuvre doit répondre aux exigences du procès équitable. Les processus de justice transitionnelle, en partenariat avec la société civile et tous les acteurs concernés, doivent assurer le droit à réparation des victimes ou leurs ayants droit et la garantie de non-répétition des crimes. La société tout entière doit tirer les leçons de ce qui s’est produit et, pour ce faire, établir la vérité sur les événements, préserver les archives, créer des lieux de mémoire et permettre à la génération suivante de comprendre le passé en lui prodiguant une éducation appropriée.

La communauté internationale a un rôle-clé à jouer à cet égard, dans le cadre des Nations unies comme des organisations régionales. Les droits humains et la justice doivent figurer au cœur des débats sur la résolution des conflits auprès du Conseil de Sécurité des Nations unies, mais également dans les enceintes politiques des instances régionales. La FIDH recommande la mise en place d’un calendrier de réformes des instances régionales qui leur permettraient de jouer un rôle d’appui politique au succès des processus de transition. La Justice est essentielle à la paix et les juridictions nationales des pays de perpétration des crimes en ont la responsabilité première. A défaut, les mécanismes de justice basés sur la compétence extraterritoriale doivent être renforcés. En outre, les tribunaux internationaux et notamment la Cour pénale internationale doivent être plus largement soutenus pour développer leurs missions d’enquête, de sanction, de réparation et de prévention, en complémentarité avec les justices nationales.

Dans le contexte des transitions, les sociétés sortant des dictatures sont souvent confrontées à l’enjeu identitaire quand il s’agit de construire une société pluraliste, respectant le droit des individus dans leur diversité. Pourtant le racisme, la xénophobie, l’appel à la haine de l’autre en raison de ses convictions philosophiques ou religieuses, l’homophobie et toute forme de peur de l’autre perdurent et sont exploitées par certains acteurs politiques. Les minorités ethniques ou religieuses sont particulièrement la cible de propos haineux, de violences et de discriminations parfois systématiques. Or, l’appartenance de chacun-e au genre humain ne saurait être réduite à son origine, sa nationalité, ses opinions, ses convictions ou sa religion, à son sexe ou son orientation sexuelle. La FIDH appelle donc les Etats à se mobiliser pour promouvoir le pluralisme, le respect de la différence et l’ouverture d’esprit fondateurs de la démocratie. Des législations antidiscriminatoires sont nécessaires afin d’accompagner la réalisation de l’ensemble des droits.

La FIDH rappelle que le droit international consacre le droit de toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir ou de ne pas avoir une religion ou n’importe quelle conviction de son choix. La liberté de manifester sa religion ou sa conviction ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité publique, de l’ordre public, de la santé ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Ainsi la liberté de religion s’arrête là où commencent les droits d’autrui.
A l’heure où dans nombre de pays les droits des femmes sont menacés de régression, la FIDH rappelle l’universalité et l’indivisibilité des droits humains. Les femmes ont des droits égaux à ceux des hommes dans tous les domaines, y compris le droit de participer à la vie sociale, culturelle, économique et politique de leur pays, ainsi qu’au processus de paix et de réconciliation. La FIDH appelle les Etats à prendre les mesures nécessaires d’ordre institutionnel, politique et culturel pour la promotion de la participation des femmes à l’action publique à parité avec les hommes, et pour l’abolition des législations familiales restrictives. La FIDH rappelle que les femmes ont aussi le droit d’accéder à l’ensemble des services et moyens leur permettant de contrôler leur fécondité.

La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par l’ensemble des instruments internationaux et régionaux de protection des droits humains. Il ne peut être limité que dans le cadre de la loi, et moyennant des conditions strictement énumérées et interprétées de façon étroite. La FIDH rappelle à cet égard que l’appel à la haine peut, dans certaines circonstances, constituer un crime international, tel que consacré par le Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI). Les nouvelles technologies de l’information et de la communication constituent également des supports d’expression et d’opinion qui doivent être protégés de toute restriction abusive.

La FIDH appelle les Etats en transition à réglementer les activités des entreprises, y compris dans des pays tiers, notamment en leur imposant une obligation de diligence raisonnable et de publication d’informations relatives à leur impact sur l’environnement et les droits humains, assortie de sanctions. La FIDH appelle également au renversement de la charge de la preuve quand il s’agit d’établir un lien de causalité entre un dommage et les activités d’une entreprise, en cas de poursuites judiciaires à l’initiative des victimes. Plus généralement, les sociétés mères devraient être par principe tenues pour responsables des comportements dommageables de leurs filiales.

Les investissements et le commerce international, censés être vecteurs de développement pour tous, ont souvent contribué à l’enrichissement d’entreprises multinationales aux mains d’une oligarchie minoritaire, aux dépens des droits économiques et sociaux du plus grand nombre. Ils ont fragilisé des économies et parfois marginalisé des populations entières, en altérant le droit à l’alimentation, à la santé, à l’éducation et l’ensemble des droits sociaux. La FIDH considère primordial que les Etats et les institutions internationales financières et commerciales auxquelles ils participent, intègrent la primauté des droits humains au coeur de leurs politiques de développement, d’investissement et d’échanges commerciaux. Ces politiques doivent être assorties d’indicateurs d’impact relatifs aux droits humains, dont le respect doit être mesuré par des mécanismes indépendants auxquels contribuera la société civile des pays concernés.

Quel que soit le régime en place, les sociétés civiles jouent un rôle fondamental de contre-pouvoir, à condition qu’elles soient indépendantes. Pour peser de manière effective sur les débats et sur l’élaboration de projets de sociétés démocratiques dans un monde complexe et multipolaire, la FIDH appelle les Etats à garantir la liberté d’association, d’opinion, d’expression et de manifestation pacifique ainsi que le droit à l’utilisation des médias publics. Convaincue de l’importance des alliances, la FIDH affirme sa politique d’alliances larges et renouvelées, ponctuelles ou à long terme, avec tous les acteurs qui se reconnaissent dans les normes universelles des droits humains.

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