La FIDH appelle à la suspension de l’adoption du texte, afin de le mettre en conformité avec les obligations internationales des Etats membres relatives aux droits de l’Homme.

06/05/2008
Communiqué
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La Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), exprime sa profonde inquiétude à l’égard de la proposition de directive « relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ».

La dernière version du texte, issue du « trilogue » entre la Commission, la Présidence Slovène et le Rapporteur du Parlement européen, contient de nombreuses dispositions contraires aux droits de l’Homme qui placeraient les Etats membres en violation de leurs obligations internationales.

De nombreux facteurs d’inquiétude, à propos desquels la FIDH avait proposé des mesures correctrices (Cf Rapport de position de la FIDH, sont confirmés voire aggravés, et le texte dans son ensemble illustre l’affaiblissement drastique de toutes les garanties protectrices que la proposition de directive aurait pu apporter.

La FIDH est particulièrement préoccupée par les dispositions du texte qui :

 Organisent une détention potentiellement arbitraire, du fait de sa quasi-automaticité, de sa durée excessive (18 mois) et de sa justification pour des raisons administratives (Article 14).
 Systématisent l’interdiction pour 5 ans de réadmission sur le territoire européen pour les personnes expulsées, un bannissement contre-productif et contre lequel les recours seraient impossibles en pratique (article 9) ;
 Permettent la double exclusion, à savoir l’exclusion forcée de ressortissants étrangers en situation irrégulière vers un pays autre que leur pays d’origine (Article 3c) ;
 Permettent l’expulsion forcée de mineurs non accompagnés vers un pays tiers (autre que leur pays d’origine) où ils n’ont ni famille ni tuteur légal (articles 3c et 8a) ; permettent également la détention de mineurs non-accompagnés (article 15a) ;
 Ouvrent la possibilité d’exclure du champ d’application de la directive, et en conséquence de toute garantie protectrice, les personnes interceptées jusqu’à sept jours après leur entrée sur le territoire (article 2) ;
 Affaiblissent considérablement les possibilités de départ volontaire, pourtant vraie alternative à l’expulsion forcée (article 6a) ;

A l’heure de l’harmonisation progressive des politiques migratoires, la FIDH souhaite mettre en avant la responsabilité historique des Parlementaires et des Etats membres dans la construction d’une politique migratoire globale équilibrée et exemplaire. Cette responsabilité exige non seulement de vérifier scrupuleusement qu’aucune mesure adoptée dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine n’entraîne des violations des droits de l’Homme, mais implique aussi de s’assurer que l’harmonisation communautaire permette d’adopter les normes les plus humaines et les plus protectrices des droits des migrants.

La FIDH appelle donc les Etats membres de l’Union européenne et le Parlement européen à suspendre l’adoption de ce texte, et de le déférer à l’Agence européenne sur les droits fondamentaux, afin d’assurer la conformité de la proposition de directive aux obligations et engagements internationaux des Etats membres.

ANALYSE

1. Une détention potentiellement arbitraire :

La FIDH reste préoccupée par la possibilité de détenir un ressortissant étranger pour une durée excessive, de façon automatique et pour des raisons de convenance administrative. Chacun de ces trois éléments peuvent conférer à la détention un caractère arbitraire.

Automaticité de la détention

L’article 14 permet aux Etats membres de détenir une personne en situation irrégulière « à moins que que d’autres mesures moins coercitives puissent être mises en oeuvre dans le cas concret. » Le texte n’impose pas aux Etats membres de vérifier après un examen préalable rigoureux et individuel que d’autres mesures non privatives de liberté n’aboutiraient pas à un résultat aussi efficace. La règle est la détention, les autres mesures sont ici présentées comme une exception.
Ces dispositions violent potentiellement l’article 9 du Pacte sur les droits civils et politiques, relatif à la détention, qui prévoit, en cas d’entrée illégale, l’obligation de justifier le placement en détention par rapport à d’autres mesures. [1]
Enfin, cette disposition ne satisfait pas à l’exigence posée par le 6ème Principe directeur sur le retour forcé adopté par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, qui précise que le recours à la détention ne peut avoir lieu qu’en dernier ressort et après un examen rigoureux et individuel de la nécessité de privation de liberté. [2]
Durée de la détention

Le possibilité de détenir une personne jusqu’à 18 mois est en contradiction avec le 8ème Principe directeur sur le retour forcé adopté par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Bien que le projet de directive prévoit que « toute détention préalable à l’éloignement doit être aussi brève que possible » (article 14-4a), le texte permet l’extension de la détention jusqu’à 18 mois. Le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a par exemple qualifié « [d’]excessive » [3] la durée légale maximale de la rétention administrative en Irlande fixée à 8 semaines, ajoutant qu’elle était susceptible de causer des « grandes souffrances » une durée pourtant bien inférieure à la durée maximale envisagée dans la proposition de directive.
Détention pour raisons administratives :
Enfin, la FIDH est gravement préoccupée par la possibilité de maintenir une personne en détention pour raisons administratives, à savoir avant la décision d’éloignement, afin de « préparer le retour » (Article 14), et après la décision d’éloignement, « en raison de délais liés à l’obtention des documents nécessaires auprès des pays tiers » (article 14-5).
Ces dispositions du projet de directive sont contraires à l’article 9 du Pacte international sur les droits civils et politiques, et sa jurisprudence interpretative qui interdit la détention pour convenance administrative. [4]

2.Bannissement contre-productif et incontestable en pratique :

Systématisation de l’interdiction de réadmission sur le territoire européen pour 5 ans et restriction des voies de recours

La FIDH reste préoccupée par la possibilité d’imposer une exclusion de 5 ans du territoire européen à toute personne renvoyée. Cette mesure est potentiellement disproportionnée et contre-productive, en ce qu’elle empêchera les personnes expulsées de revenir en Europe par la voie légale et les incitera ainsi à immigrer clandestinement.
Par ailleurs, l’interdiction du territoire européen viole potentiellement le droit au regroupement familial, et porte atteinte à d’autres sortes de projets légitimes dans le cadre de missions professionnelles, d’ échanges culturels,d’ enseignement supérieur, etc.
Enfin, les possibilités de recours contre ces décisions sont illusoires, du fait que ces recours s’exerceront logiquement depuis le pays de retour.

3.Double Exclusion : Possibilité de renvoyer des migrants illégaux vers des pays autres que leur pays d’origine

L’article 3c de la proposition de directive prévoit la possibilité de renvoyer une personne en situation irrégulière vers son pays d’origine, vers un pays de transit avec lequel l’Etat membre ou la Communauté a un accord ou un arrangement de réadmission, ou vers un autre pays tiers dans lequel la personne décide volontairement d’aller et où elle sera acceptée.
La FIDH est extrêmement préoccupée par la seconde possibilité qui permet de renvoyer de force une personne en situation irrégulière vers un pays autre que celui d’origine, où elle ne disposerait d’aucun lien.

4.Droits des enfants bafoués : Detention et expulsion des mineurs non-accompagnés vers des pays tiers autres que leur pays d’origine

L’article 8a relatif au retour et à l’expulsion des mineurs non accompagnés prévoit qu’un mineur non-accompagné pourra être expulsé du territoire européen vers un pays tiers différent de son pays d’origine dans lequel il n’a ni famille ni contact, du moment qu’il a transité par ce pays avec lequel un Etat membre a des accords de réadmission et qu’il pourra être accueilli dans un « centre d’accueil adéquat ».
Cette disposition est incompatible avec l’article 3 de la Convention des nations Unies relatives aux droits de l’enfant qui impose la prise en considération de « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans toute décision le concernant, et notamment, selon l’Observation générale N°6 du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies que « tout devrait être fait pour restituer à ses parents un enfant non accompagné ou séparé, sauf si la poursuite de la séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’intéressé ». [5]

Par ailleurs, l’article 15a du projet de directive, en encadrant les conditions relatives à la détention des mineurs non accompagnés, établit qu’il est possible de les détenir. Cette possibilité viole l’article 37 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’Enfant. Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’enfant a en effet indiqué qu’ « en application de l’article 37 de la Convention et du principe d’intérêt supérieur de l’enfant, les enfants non accompagnés ou séparés ne devraient pas, en règle générale, être placés en détention » et précisé clairement que « la détention ne saurait être justifiée par le seul fait que l’enfant est séparé ou non accompagné, ni par son seul statut au regard de la législation relative à l’immigration ou à la résidence ou l’absence d’un tel statut.

5.Indésirables parmi les indésirables : Absence de garanties minimales pour les migrants interpellés jusqu’à sept jours après leur entrée sur le territoire européen.

La proposition de directive laisse aux Etats la possibilité d’exclure du champ d’application de la directive, et donc de priver des garanties minimales de protection, les personnes en situation irrégulière appréhendées ou interceptées par des autorités en charges du contrôle aux frontières, jusqu’à sept jours après le franchissement de la frontière (Article 2 et Partie III, Annexe I).
Ces personnes seraient alors placées automatiquement en détention et se verraient opposer une interdiction de territoire, sans toutefois bénéficier des garanties minimales prévues par le projet de directive telles que le droit de contester la décision d’enfermement ou d’expulsion. Aucun argument objectif et raisonnable ne justifie que ces personnes soient privées de droits et de libertés sans pouvoir bénéficier de ces contre-parties minimales.
La FIDH rappelle que dans ses observations relatives au projet de directive, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés avait recommandé de supprimer cette disposition et précisé que les « garanties de la directive devaient être appliqués sans distinction [6] ». Le UNHCR avait notamment précisé que cette recommandation visant l’égalité de traitement entre les personnes en situation irrégulière interceptées aux frontières et celles déjà sur le territoire européen s’inscrivait dans la ligne de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’ Homme, et notamment de son arrêt « Amuur c France, 19776/92 ».

6.Alternatives à la détention et à l’expulsion réduites : le principe de départ volontaire devient potentiellement inopérant

Alors que la proposition de directive réaffirme le principe de la « préférence » du départ volontaire à l’expulsion, le texte rend quasi-inopérant ce principe dans la pratique (Article 6a).
Tout d’abord, la dernière proposition de directive réduit la durée de départ volontaire à une fourchette de 7 à 30 jours.
Ensuite, elle élargit les possibilités de ne pas accorder de période de départ volontaire ou d’accorder une période inférieure à 7 jours, en cas de « risque de fuite » ou si la demande de titre de séjour du ressortissant étranger en situation irrégulière a été qualifiée « d’infondée ou de frauduleuse ». Or, la définition du risque de fuite (article 3h) étant excessivement large et le nombre de demandes de titres de séjour qualifiées d’infondées ou de frauduleuses étant particulièrement important, la nouvelle rédaction de l’article 6a-4 réduit encore conséquemment les hypothèses d’application du départ volontaire.
Enfin, le texte laisse la possibilité aux Etats membres d’inscrire dans leur législation nationale le fait qu’une période de départ volontaire n’est accordée que si le ressortissant étranger en fait la demande, possibilité dont ils ne sont que rarement informés.
L’ensemble de ces dispositions va donc à l’encontre du 1er Principe directeur du Conseil de l’Europe qui stipule que « l’Etat d’accueil devrait prendre des mesures encourageant le retour volontaire, lequel est préférable au retour forcé. »

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