Intervention de la FIDH auprès du 1er Forum Société Civile UE-Com.Andine

09/03/2005
Communiqué

La Fédération Internationale des ligues Droits de l’Homme (FIDH) se félicite de la convocation par la Commission européenne, le 3 mars 2005, du premier forum de la société civile sur les relations entre l’Union européenne (UE) et la Communauté Andine, formée de la Bolivie, du Pérou, de la Colombie et du Venézuela. Elle considère ce forum comme un premier pas important vers l’inclusion effective de la société civile dans le dialogue politique, la coopération et les relations commerciales entre les deux régions.

s objectifs de l’Accord de Dialogue Politique et Coopération signé le 15 décembre 2003. Cet accord doit encore être ratifié par la majorité des Etats l’ayant signé, mais dès à présent, les dialogues politiques sur les droits de l’Homme sont en oeuvre.
A l’occasion de ce forum, la FIDH souhaite proposer six axes d’action en matière de droits de l’Homme pour la région, qui pourraient être développées dans le Strategy paper pour la région pour la période 2007-2013. Certains sont déjà partiellement pris en compte part l’UE dans sa politique sur la région Andine. Leur prise considération entière et systématique sont à poursuivre.

Ces lignes de travail sont présentées dans ce document, illustrées d’exemples non exhaustifs, qui rappellent le caractère fondamental de leur adoption effective.

1.L’impunité, une réelle menace pour la région andine

L’Union Européenne s’est engagée à stimuler la gouvernance démocratique et la cohésion sociale dans les pays andins. Dans ce cadre, la FIDH souhaite exprimer sa préoccupation sà l’égard des failles actuelles des processus de démocratisation et de pacification, qui consacrent l’impunité et l’oubli des violations graves des droits de l’Homme. Cette impunité représente une menace grave sur la réalisation de la justice, la réparation des victimes et la cohésion des sociétés déchirées par les violations.
L’UE doit donc exercer son influence en soutenant les processus de paix et de démocratisation en s’assurant qu’ils respectent les droits l’homme et assurent la recherche de la vérité, l’application effective de la justice et la réparation des victimes.

PEROU - les suites de la Commission « Vérité et réconciliation »
La FIDH et ses ligues membres se sont félicitées du travail de la Commission « Vérité et Réconciliation » au Pérou, comme une initiative visant à la réalisation de la justice, la réparation des victimes et à la restructuration du tissu social de ce pays. Cependant, la FIDH regrette profondément qu’actuellement de nombreux recours initiés après cette initiative, comme par exemple les cas du "Groupe Colline", se retrouvent bloqués et permettent de laisser en liberté les présumés coupables à la fin du temps de détention préventive, voire permettent de laisser ces délits être gagnés par la prescription.

COLOMBIE - Processus de démobilisation des groupes paramilitaires
La Conférence des donateurs internationaux de Carthagène, tenue les 3 et 4 février 2005, s’est penchée sur le processus de démobilisation des groupes paramilitaires en Colombie. La FIDH est particulièrement critique de ce processus puisqu’il n’exige pas une véritable cessation des hostilités par les forces paramilitaires, le cessez le feu de fin 2002 ayant été violé à plusieurs reprises par les forces paramilitaires, y compris pour des massacres et des assassinats sélectifs.
Le processus doit par ailleurs garantir l’impératif de justice, de vérité et de réparation aux victimes, en permettant en particulier d’établir la vérité sur la structure, le financement et l’obtention des biens des groupes paramilitaires.
Enfin, le processus ne doit pas ouvrir la porte à l’impunité. En ce sens, la FIDH s’indigne particulièrement des projets de loi examinés actuellement au Congrés colombien, qui habilitent le Président à suspendre les peines de certains inculpés pour des crimes d’assassinat, de disparition forcée, de torture, etc., pouvant dans certains cas être qualifiés de crimes contre l’humanité.
2.L’administration de la justice et son indépendance : une grande faille dans la région andine

Les systèmes judiciaires de la région andine sont confrontés à de graves problèmes d’inefficacité, qui se conjuguent au manque de transparence et à la corruption. Au delà de la simple problématique institutionnelle cette question entache l’accès effectif et équitable à la justice.
L’UE devrait contribuer à la consolidation de l’Etat de droit dans la région, en stimulant les mécanismes de contrôle et les instances judiciaires totalement indépendante des gouvernements, de manière à consolider ces piliers fondamentaux de l’Etat de droit. Ce soutien doit avoir pour objectifs une administration effective et équitable de la justice dont l’accès puisse être égal pour tous, en transparence et respect des guaranties relatives au droit de l’Homme.

EQUATEUR, VENEZUELA, nomination des hauts magistrats
En décembre dernier le Congrès de l’Equateur a approuvé la substitution de 27 des 31 magistrats de la Cour suprême par des juges rattachés politiquement au gouvernement. De même, le la coalition majoritaire pro-gouvernementale du Congrès du Vénézuela a balayé en décembre dernier le Tribunal Suprême en nommant 12 nouveaux magistrats. De tels faits, viennent s’ajouter à la loi approuvée en mai 2004 qui a étendu la composition de ce tribunal de 20 à 32 membres.

3.La situation des défenseurs des droits de l’homme : coercition et menace des piliers de la défense des droits de l’homme

Dans la majorité des pays de la région andine, tant les activités que l’intégrité physique et morale des défenseurs des droits de l’Homme sont menacés en permanence. L’Amérique latine reste aujourd’hui le continent qui enregistre le plus grand nombre d’assassinats de défenseurs des droits de l’homme. Un tel fait impose une réaction conséquente articulée dans une politique cohérente et effective de promotion des droits humains dans la région.
La FIDH se félicite de l’adoption des Lignes Directrices de l’Union Européenne pour la protection des défenseurs des droits de l’homme par le Conseil Affaires Générales des 14 et 15 juin 2004. Dans ce cadre, la FIDH souhaite que l’Union Européenne place la protection des défenseurs des droits de l’Homme au coeur de sa politique de droits de l’Homme pour la région.

COLOMBIE : dévalorisation dangereuse des défenseurs, assassinats des syndicalistes
En Colombie les personnes et groupes luttant pour la protection des droits de l’Homme souffrent de harcèlement et de coercition permanents. Les multiples déclarations du président Alvaro Uribe Vélez et d’autres hauts fonctionnaires de son gouvernement sont inacceptables, quant elles dévalorisent le travail de ces défenseurs, minent leur crédibilité ou les assimilent même à des porte-parole ou sympathisants de terroristes. Dans un contexte de violence ouverte et de contrainte permanente, de telles déclarations sont une menace directe à l’intégrité de ces personnes en les désignant comme des objectifs directs pour les groupes armés.
Les groupes syndicaux font l’objet également de menaces et d’un harcèlement dans leur tâche de protection et de défense des droits du travail. La Colombie est encore actuellement le pays le plus dangereux d’Amérique latine pour ceux-ci. En dépit des recommandations constantes et multiples de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), la situation et la sécurité des syndicalistes en Colombie ne cesse de se détériorer, tandis que subsistent d’importantes restrictions légales à la liberté syndicale. Selon des informations de l’École Nationale Syndicale de la Colombie, sur les 4 premiers mois de 2004, 20 syndicalistes ont été assassinés, 2 kidnappés et 143 ont reçu des menaces de mort.

BOLIVIE, EQUATEUR - menaces à l’action et l’intégrité physique des défenseurs
En Bolivie, l’Assemblée Permanente des Droits de l’homme subit menaces et harcèlements en réponse aux actions de dénonciation des activités des entreprises pétrolières transnationales. Le Centre d’Études Juridiques de Recherche Sociale (CEJIS) qui apportait son appui juridique à la reconnaissance du droit à la terre des peuples indigènes a du faire face à l’anéantissement de ses installations, à la destruction de tout son matériel incluant les archives de l’organisation et des menaces de mort répétées à ses membres s’ils continuaient leurs activités, par les membres de l’Association de Producteurs Agricoles et Forestiers.
En Équateur, le harcèlement de la Communauté Sarayaku et de ses avocats est représentatif du harcèlement et des menaces reçues comme résultat d’actions entreprises pour la défense du territoire de cette communauté indigène de ses droits à la terre, contre l’exploitation pétrolière, en dépit de mesures préventives.

4.Les abus dans la lutte contre le terrorisme : la déviation inacceptable d’une action nécessaire

La FIDH est consciente non seulement de la nécessité, mais de l’obligation pour les États de combattre de manière effective et sans relâche le fléau qu’est le terrorisme, expression maximale du manque de respect à la dignité et à la vie humaine. Toutefois, la FIDH regrette qu’une partie de ces actions se soient vues déviées de leur objectif pour créer une limitation des droits et libertés. Cette situation est particulièrement visible dans plusieurs pays andins comme le Pérou ou la Colombie où la prolifération des législations anti-terroristes entraine des violations flagrantes du droit, limitent substantiellement les libertés et les garanties de procédure. L’utilisation étendue et abusive des législations d’exceptions multiplie les violations aux droits de l’homme.

COLOMBIE - réforme législative anti-terroriste déclarée anticonstitutionnelle
La Cour Constitutionnelle de Colombie a déclarée inacceptable la réforme législative anti-terroriste pour vices de procédure, le 31 août 2004. Cette loi dotait l’armée de pouvoirs judiciaires, lui permettant d’arrêter des personnes, d’intercepter des communications, de faire des perquisitions sans ordre judiciaire et de procéder au relèvement de cadavres dans des zones de conflit.

5.La Criminalisation de la Protestation Sociale : la noyade de l’expression de la société civile.

La FIDH est profondément préoccupée par la criminalisation croissante de la protestation sociale dans les pays andins. Cette criminalisation noie l’articulation des sociétés civiles, en empêchant la canalisation normale d’une contestation sociale pacifique issue de l’expression collective.
Dans ses objectifs de consolidation de la cohésion sociale, l’UE doit donc exiger de ses homologues andins le respect scrupuleux des mouvements de protestation pacifique qui fortifient un tissu social pluriel pour une gouvernance démocratique et participative.

BOLIVIE - 80 morts dans une manifestation
En 2003, en Bolivie on a enregistré plus de 80 morts à l’occasion des manifestations sociales protestant contre les projets d’exportation de gaz naturel bolivien à travers le territoire Chilien.

PEROU - Etat d’exception après les grèves du secteur public ; manifestations réprimées
Au Pérou en mai 2003, après trois semaines de grèves des services publics (santé, éducation) et du secteur agricole, le gouvernement a déclaré l’État d’exception en utilisant l’article 137 de la Constitution, dérivé de la réforme constitutionnelle très contestée, réalisée en 1993 par le président Fujimori. Cette limitation des libertés publiques et la militarisation du conflit social, a abouti à la mort d’un étudiant et à une cinquantaine de blessés. En novembre 2003, à l’occasion de l’anniversaire de la Convention sur les Droits de l’Enfant, une manifestation pacifique de 150 enfants et des adolescents qui vivent ou travaillent dans les rues de Lima, a été brutalement réprimée par les forces de l’ordre. Ces jeunes réclamaient une pleine participation dans le débat public et au sein de la société civile. Treize personnes dont des enfants et des adultes ont été arrêtées. Certains des adultes ont dénoncé avoir été des victimes de mauvais traitements avant d’être libérés.

6.La pauvreté et les inégalités sociales dans les pays andins : une violation flagrante des droits de l’homme

La région andine est frappée non seulement par une pauvreté endémique mais aussi par des inégalités sociales profondes. L’Amérique latine est actuellement la région du monde où il existe une plus grande inégalité économique entre les secteurs les plus aisés de la société et le reste de la population. La pauvreté suppose une violation des droits les plus élémentaires de la personne humaine. En ce sens, la FIDH se réjouit que la coopération européenne se dirige non seulement vers réduction de celle-ci mais aussi à la réduction des inégalités sociales.

La FIDH se félicite, dans ce cadre, de la réalisation, depuis 1999, d’ "études d’impact" (sustainable impact assessment) et encourage l’Union à ce que celles-ci prennent en compte une plus large consultation de la société civile. Elle encourage le fait que ces études puissent évaluer la réalisation de l’ensemble des droits de l’Homme (civils, politiques, sociaux, économiques et culturels), comme facteur d’appréciation du développement.

Conclusions et recommendations : quels mécanismes pour apprécier et encourager la mise en oeuvre de la stratégie régionale en matière de droits de l’Homme ?

Afin que soit réalisée la stratégie régionale en matière de droits de l’Homme, la FIDH adresse à l’Union européenne deux recommandations :

1.la création d’un Observatoire Régional des Droits de l’homme, avec la participation des défenseurs du Peuple, ministères publics, ministères de l’intérieur et organisations de droits humains, la société civile, afin d’évaluer le respect et la réalisation des droits de l’homme -considérés dans leur intégralité- mais également stimuler l’adoption de politiques publiques qui contribuent à cet objectif.
2.Dans le cadre d’un futur accord d’association, nous proposons la création d’un Comité mixte des droits de l’homme entre l’Union européenne et les pays de la région, incluant les autorités et offrant une participation à la société civile. Le mandat d’un tel comité serait de superviser la mise en oeuvre des axes d’action, en veillant plus particulièrement à la mise en oeuvre des recommandations adressées par les organes internationaux et régionaux de protection des droits de l’Homme. Le comité pourrait également veiller à ce que l’ensemble des politiques entre l’Union européenne et la région andine se développent dans le sens de la meilleure mise en oeuvre des objectif s en matière de droits de l’Homme.

Voir en ligne : Site officiel du 1er Forum Société Civil UE-Com,Andine
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