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Soudan, encore cinq années de régime sanguinaire ?

L’élection présidentielle au Soudan, prévue du 13 au 15 avril, s’accompagne de nombreuses atteintes aux droits de l’homme et à la liberté d’expression. C’est ce que pointe Amir Suliman, le cofondateur de l’African Center for Justice and Peace Studies.

Publié le 08 avril 2015 à 14h45, modifié le 19 août 2019 à 12h53 Temps de Lecture 4 min.

Le président Omar Al-Bachir, le 29 mars à Khartoum.

Le 13 avril 2015, les Soudanais seront appelés aux urnes pour élire leur président et leurs députés. Les résultats ne feront aucun doute. Ces élections, les deuxièmes, depuis l’arrivée au pouvoir en 1989 d’Omar Al-Bachir par un coup d’Etat militaire, n’auront rien d’équitable ni de crédible. Le parti au pouvoir, le Parti national du Congrès (NCP) a d’ores et déjà orchestré la réélection d’Al-Bachir.

Et à une semaine des élections, les voyants sont au rouge. Tous les appareils répressifs du pouvoir sont à l’œuvre. Le recensement controversé de 2008 sera une nouvelle fois utilisé pour ces scrutins qui seront avalisés par une Commission électorale nationale soumise au pouvoir. Plusieurs amendements à la Constitution nationale intérimaire ont été adoptés en janvier 2015 sans consultation préalable et en violation des règles de procédure prévues pour une telle révision.

Ces derniers mois ont aussi été marqués par une répression accrue des voix dissidentes. Depuis le 6 décembre 2014, l’éminent défenseur des droits humains Amin Mekki Medani, ancien président de Sudan Human Rights Monitor (SHRM) et actuel président de la Confédération des organisations de la société civile et l’opposant politique Farouk Abu Eissa, président du National Consensus Forces, un groupement de partis politiques d’opposition, sont détenus arbitrairement à Khartoum.

Leur crime ? Avoir signé le « Sudan Call » (l’appel du Soudan), une déclaration appelant à la fin des conflits au Soudan et à l’instauration d’institutions démocratiques. Signe de l’instrumentalisation de la justice, les deux hommes ont été poursuivis pour des charges grotesques : atteinte à l’ordre constitutionnel, guerre contre l’Etat ou encore incitation au terrorisme. Ils ont finalement été libérés le 9 avril après quatre mois de détention.

Dans cette stratégie de neutralisation, les médias ne sont pas épargnés. Depuis début 2015, l’African Centre for Justice and Peace Studies (ACJPS) a pu recenser la confiscation d’au moins 33 tirages de journaux. Quant aux journalistes, ils sont régulièrement convoqués dans les locaux des NISS et la justice utilise à souhait les dispositions les plus répressives du code pénal, dont celles qui prévoient la peine de mort, pour les poursuivre.

Les supporters de la campagne pacifique Irhal (dégage !) menée par les partis d’opposition et qui appelle au boycott des scrutins ont fait l’objet de mesures sévères par les National Intelligence and Security Services (NISS). A Dongla, Sennar, El Obied, Kasska et dans d’autres villes, les organisateurs de la campagne ont été arrêtés, harcelés, interrogés et détenus. Dans certains cas, des rassemblements ont été interdits. Des allégations d’actes de torture ont également été répertoriées.

L’espace pour la société civile indépendante continue de se réduire de façon dramatique. En amont des élections, au moins trois organisations indépendantes se sont vues retirer leur permis, dont Mahmoud Mohammed Taha Cultural Center, le National Civic Forum et le Sudanese Writer’s Union. En décembre dernier, les locaux de SHRM ont été fouillés par les autorités, leurs ordinateurs et documents ont été confisqués et plusieurs de leurs dirigeants ont été harcelés et interrogés.

Cet acharnement ne risque pas de disparaître après les élections. Le régime est coutumier du genre. Nous avons encore en mémoire la répression violente qui s’est abattue sur les centaines de manifestants venus contester en septembre 2013 les projets de hausse des prix du carburant. Au moins 185 personnes étaient tombées sous les balles des forces de sécurité. Face à ce massacre, le silence de la communauté internationale était assourdissant.

Dans ce pays, où demander justice est presque devenu tabou, y compris dans les couloirs des Nations unies et de l’Union africaine, la pression internationale et régionale doit s’intensifier. Elle doit contribuer à protéger les civils dans les zones de conflit et à s’assurer que les crimes du passé et ceux en cours ne demeurent pas impunis.

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Car depuis l’annonce, en décembre dernier, par la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, de la suspension de ses enquêtes au Darfour en raison du manque de progrès dans cette affaire, le président soudanais, poursuivi depuis 2009 pour crimes de guerre, crime contre l’humanité et génocide commis dans cette région, crie victoire.

Cette suspension des enquêtes n’absout pourtant en rien El-Béchir de ses crimes et signifie encore moins un abandon des charges contre lui et ses quatre co-accusés qui sont toujours l’objet d’un mandat d’arrêt international pour crimes internationaux. Elle illustre au contraire l’incapacité du Conseil de sécurité des Nations unies à adopter une stratégie efficace pour mettre un terme au drame qui se joue au Darfour depuis plus de dix ans. La communauté internationale, et en particulier l’Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations unies doit renforcer la pression sur le gouvernement soudanais et enfin reconnaître son pouvoir de nuisance, non seulement sur la paix et la sécurité intérieures, mais aussi dans la sous-région.


Amir Suliman, cofondateur de l’African Center for Justice and Peace Studies (ACJPS), basé au Soudan, et Karim Lahidji, président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)

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