Réformer la CDH : préserver son mandat et ses mécanismes de protection

Eléments de la position de la FIDH

1. Constat

Le constat que nous dressons est que la Commission des droits de l’Homme est en panne. Les Etats responsables des violations graves des droits de l’Homme, ont en effet investit l’organe afin d’influer l’exercice de son mandat de manière restrictive et rétrograde. Cette influence est caractérisée par les motions de non-action présentées sur des pays comme la Chine, le Zimbabwe, etc. Il n’est recommandé à aucun avocat des droits de l’Homme d’être présent dans l’enceinte au moment où les motions de non-actions sont adoptées sous les applaudissements des régimes complices, tant l’atmosphère y est délétère.
Ces Etats ont déjà gagné plusieurs batailles : après l’affaiblissement du mandat de la Sous-Commission des droits de l’Homme, qui ne peut désormais plus se prononcer sur la situation dans les pays, la remise en cause des résolutions sous le point 9, portant sur la situation des pays, l’infiltration des segments ONG par des « ONG-gouvernementales ». Leur dernière bataille, le cru 2005, est une proposition, portée par le Groupe asiatique, de « réformer » les méthodes de travail et modes de sélection des rapporteurs spéciaux et autres mécanismes créés par la Commission, afin de neutraliser un des derniers remparts d’indépendance et d’effectivité de l’enceinte. La nouvelle cible est identifiée, le rouleau compresseur avance.

2. Enjeux

Le constat à charge est accablant, mais le mandat et les attributs de protection de la Commission doivent pour autant être sauvegardés et renforcés. Il s’agit ici en effet d’un système universel de protection unique. Face à la multiplication des violations flagrantes des droits de l’Homme et à l’impossibilité de les dénoncer directement dans certains pays, les seuls espoirs des victimes, de leurs familles ou leurs défenseurs sont les condamnations et les pressions que peuvent formuler la communauté internationale, et les mécanismes de surveillance qui peuvent être créés pour mieux combattre les violations. La quarantaine de mécanismes indépendants ainsi créés par la Commission depuis près de quarante ans, réagissent chaque jour aux plaintes des victimes et des ONG en interpellant les Etats. Ce sont bien ces mécanismes que nombre d’Etats espèrent neutraliser à la faveur de processus de réformes engagés depuis plusieurs années.

Dans un tel contexte, la FIDH estime les propositions de Kofi Annan particulièrement audacieuses, en ce sens qu’elles tirent le débat vers le haut. Toutefois, le nouveau processus de réforme devant être avalisé par les Etats membres des Nations unies, l’inquiétude est de mise. La réforme qui s’amorce aux fins d’une crédibilisation - pourtant nécessaire- de la Commission ne doit pas être une nouvelle occasion - un prétexte ? - d’en réduire encore les capacités protectrices des victimes.
<>Si les « réformes » sont toujours justifiées s’agissant de réduire les dérives choquantes caractéristiques d’un organe politique tel que la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, plus que d’une nouvelle réforme, la FIDH souhaite rappeler que c’est de volonté politique que manque la Commission de la part des Etats qui la composent pour s’acquitter de son mandat. La crédibilité d’une réforme institutionnelle dépendra en conséquence de l’effectivité des moyens qu’elle doit prévoir, de réduire les volontés étatiques de neutralisation du système de protection.

3. Sur les propositions

 universalisation vs. composition restreinte

L’idée d’universaliser la composition de la Commission est présentée dans le rapport du panel des Hautes personnalités sur la réforme. Elle porte en elle la volonté d’élargir les débats de la Commission à tous les Etats intéressés - c’est l’idée que chaque Etat doit s’intéresser aux droits de l’Homme et être confronté à ses engagements. Elle permet aussi aux Etats d’éviter d’avoir à batailler pour être élus à la Commission.

Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui, la participation aux sessions de la Commission est quasi universelle nonobstant sa composition non-universelle. Un Etat non-membre de la Commission peut y siéger, prendre la parole et même présenter une résolution. De plus, un des risques de l’universalisation est de diluer davantage la mise en oeuvre du mandat de la CDH, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’Assemblée générale, dont la composition est universelle.

Par ailleurs, l’intérêt d’une composition restreinte ne doit pas être négligé, afin de faciliter la prise de décisions.

Un Conseil restreint serait donc une bonne idée, dans la mesure ou le système des Nations unies conserverait un organe « en regard » de ce dernier, à composition universelle, tel que le troisième comité de l’Assemblée générale, aujourd’hui existe en regard de la Commission des droits de l’Homme.

 critères : pour des engagements clairs, publics et mesurables des Etats candidats

Une composition restreinte doit être fondée sur des engagements clairs, publics et mesurables des candidats au statut de membre.

La FIDH reste attachée au système de représentation géographique équitable et mesure le risque de transformer l’organe en club restreint d’Etats « vertueux ». Cependant, l’accession à un Conseil représentatif doit engager les Etats candidats dans la protection et la promotion des droits de l’Homme, et non procéder comme c’est le cas avec la CDH actuellement, quand l’accession a, pour beaucoup d’Etats, l’objectif de diluer le mandat de protection et la critiquer.

Pour la FIDH, un critère doit à l’évidence fonder une candidature à l’adhésion : l’obligation pour un Etat d’émettre une invitation permanente aux rapporteurs spéciaux et mécanismes de protection des droits de l’Homme. Le défaut de mise en oeuvre par un Etat de son invitation pourrait être automatiquement sanctionné, au terme d’une période probatoire de 12 mois, par son exclusion de l’instance. Il s’agirait de créer les conditions de mise en oeuvre -et de vérification de celle-ci- de l’obligation de coopérer avec les mécanismes de la Commission ou du futur Conseil pour les Etats qui la/le composent. Une telle obligation résulte de la combinaison des articles 1 para 3, 55 et 56 de la Charte des Nations Unies. Elle nécessiterait la mise en place par le Haut Commissariat d’un instrument public d’évaluation de la coopération des pays concernés avec les mécanismes créés, sous la forme d’un tableau, contenant les invitations demandées, les réponses obtenues, et une évaluation du degré de coopération avec les mécanismes par les autorités des pays sollicités.

 caractère permanent

La FIDH soutient le passage à une session permanente tel que proposé par le Secrétaire général. Une telle proposition permettrait de désengorger les débats, de manière à accorder une attention spécifique à chacune des situations présentées et surtout d’assurer la réactivité de l’organe principalement chargé des droits de l’homme au sein de l’ONU. Ceci permettrait d’accentuer la visibilité de chacun des rapports présentés, des conclusions des mécanismes particuliers.

Dans l’éventualité du passage à un organe permanent, l’organisation pluri-partite des débats (Etats-membres, Etats et OIG Observateurs, ONG) doit impérativement être conservée. Cette composition a en effet permis l’expression de vues plurielles et nuancées sur les situations à étudier. Pour la FIDH, conserver la participation toute particulière des organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme est à cet égard prioritaire.
<>Reconnaître l’importance de la participation des ONG indépendantes nécessite également une réforme du Comité des ONG afin de le transformer en organe composé d’experts indépendants, pour mettre un terme au phénomène des GONGOs (« ONG » gouvernementales)

 rapport annuel de la Haut Commissaire aux droits de l’Homme

La proposition d’un rapport annuel de la Haut commissaire aux droits de l’Homme peut être mise en oeuvre dès aujourd’hui sans nécessairement recourir à une résolution spécifique, dans le cadre du mandat actuel qui lui est dévolu.

Pour la FIDH, cette proposition présente une véritable valeur ajoutée en termes de visibilité des recommandations effectuées par les différents organes des Nations unies à l’égard de tel ou tel pays, permettant de la même manière d’évaluer le degré de coopération d’un Etat avec les mécanismes des Nations unies, ou de ratification des conventions relatives aux droits de l’Homme.

 Pérennisation et renforcement des procédures de protection

Les mécanismes de protection des droits de l’Homme sont le coeur de système de protection des Nations unies. La réforme comporte le risque de voir le coeur du système atteint, tant on a mesuré au fil des années la détermination de très nombreux Etats à voir affaiblis les mécanismes dont ils ne tolèrent pas l’indépendance et l’éventuelle critique publique.

Le coeur de la réforme doit donc porter sur la pérennisation et le renforcement des procédures de protection d’un système échafaudé depuis bientôt 40 ans. Ces mécanismes constituent bien souvent pour les victimes et leurs défenseurs, en désespoir de cause, l’ultime voie de recours pour obtenir l’interpellation par les Nations unies de leurs oppresseurs, et la cessation de la répression qui les vise.

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