Journée mondiale pour le droit à l’avortement : obstacles et disparités en France

Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Paris, le 28 septembre 2023. Près de 50 ans après la dépénalisation en France du droit à l’avortement, de nombreux obstacles entravent encore l’accès des personnes à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). À l’occasion de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dépose avec la Ligue des droits de l’Homme un rapport sur les défaillances de l’État français au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Cedef) des Nations unies.

Grâce à l’action des mouvements féministes et de leurs allié·es, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée en France depuis 1975. Depuis, plusieurs réformes ont permis de renforcer le droit à l’avortement : rallongement des délais (de 12 à 14 semaines depuis mars 2022), gratuité, accessibilité aux mineur·es… Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), en 2022, le nombre d’IVG augmente d’ailleurs à nouveau en France, atteignant son plus haut niveau depuis 1990. Mais les chiffres publiés le 27 septembre 2023 par le service statistique public ne doivent pas masquer les grandes disparités géographiques et les difficultés d’accès rencontrées par de trop nombreuses personnes : en fonction de leur adresse ou de leur milieu social, elles n’ont pas toutes le même accès à l’IVG.

À l’occasion de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, la FIDH a déposé avec la Ligue des droits de l’Homme, son organisation membre, un rapport au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Cedef) des Nations unies devant lequel la France sera auditionnée le 17 octobre 2023. Ce rapport souligne les défaillances de l’État français en matière de droits sexuels et reproductifs.

« En France, le droit à l’avortement existe dans les textes mais n’est pas effectif : les conditions ne sont pas réunies pour que les personnes puissent pleinement l’exercer. C’est un droit proclamé mais mal garanti par l’État. »

Alice Bordaçarre, responsable du bureau Droits des femmes et égalité de genre de la FIDH

Accueils culpabilisants, suppression de structures pratiquant l’IVG lors des restructurations hospitalières, centres manquant cruellement de moyens matériels et de praticien·nes réalisant cet acte, rémunération de l’IVG insuffisante pour les médecins, clause de conscience, méthode d’IVG souvent imposée, horaires de consultations parfois difficilement compatibles avec une vie familiale et/ou professionnelle… Les obstacles à un accès effectif à l’avortement restent nombreux.

Une situation très dégradée dans les régions et départements d’Outre-mer

Par ailleurs, les conditions d’accès à l’IVG dépendent beaucoup du lieu de résidence ou du milieu social des personnes. La situation est particulièrement dégradée dans les régions et départements d’Outre-mer. Alors que le nombre moyen d’avortements pratiqués chaque année y est deux fois plus élevé qu’en métropole, l’accès à l’IVG est globalement plus difficile que sur le territoire métropolitain.

À titre d’exemple, à Mayotte, les retards d’équipement sont importants, les IVG médicamenteuses ne sont pas totalement assurées par le service de protection maternelle et infantile et l’offre de soins ne cesse de se réduire alors que la population augmente de façon significative. Par ailleurs, les étranger·es en situation irrégulière, qui représentent presque la moitié de la population (48 %), ne bénéficient pas de l’aide médicale d’État qui permet aux étranger·es de bénéficier d’un accès gratuit à certains soins et d’une prise en charge à 100 % de l’IVG (dispositif pourtant disponible en métropole et dans les autres régions et départements d’Outre-mer). Au centre hospitalier de Mayotte, les étrangèr·es en situation irrégulière sont soumis·es au paiement d’une provision financière pour bénéficier d’une IVG, ce qui implique des difficultés d’accès à l’avortement pour les plus précaires.

De même, en Guyane, où la couverture territoriale des services d’avortement n’est pas totalement assurée, l’usage massif de la clause de conscience met de nombreuses personnes en difficulté. En 2019, tous les gynécologues de l’Hôpital public de Cayenne - 14 au total - ont refusé de pratiquer des avortements. Sur le territoire métropolitain, les disparités de l’offre, en termes de proximité géographique, de méthodes proposées et de disponibilité des professionnel·les sont significatives et conduisent à un allongement des délais de consultation et un rallongement des trajets pour les personnes.

Le 8 mars 2023, le Président Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

« Cet effet d’annonce ne doit pas nous faire oublier les réelles difficultés d’accès à l’avortement en France. Nous espérons que le Cedef rappellera à l’État ses obligations internationales pour que toutes les personnes qui le souhaitent puissent interrompre leur grossesse dans les meilleures conditions et faire valoir leur droit à disposer de leur corps. »

Alice Bordaçarre, FIDH
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