Elections en Tunisie : entretien avec Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la FIDH

28/10/2014
Communiqué


Que vous inspire le déroulement et le résultat des élections législatives du 26 octobre ?

Ces élections démontrent que les Tunisiennes et les Tunisiens se sont parfaitement appropriés le jeu démocratique et qu’ils ont pris conscience que leur bulletin de vote pouvait changer les choses. La politique menée par le parti islamiste Ennahdha au pouvoir a provoqué déception et frustrations. Vainqueur des élections du 23 octobre 2011, Ennahda a par diverses initiatives tenté une islamisation de la société, en essayant d’introduire la Charia dans la constitution et de réduire ainsi la référence à l’universalité des droits et des libertés. C’est grâce à la mobilisation des démocrates que Nidaa Tounès, une coalition anti-islamiste, est sorti vainqueur de ces dernières élections, faisant de la Tunisie une exception dans la région arabe et un formidable laboratoire politique.

La victoire de Nidaa Tounès, alors qu’Ennahada était au pouvoir, démontre également que l’alternance est dorénavant possible par les urnes : ce qui constitue une véritable victoire pour la démocratie.

Concernant le déroulement des élections, on regrette fortement que des irrégularités et fraudes ont été constatées dans certains bureaux de vote, surtout à l’étranger. Malgré ces irrégularités, tous les partis ont publiquement annoncé qu’elles n’avaient pas eu de véritable conséquence sur le résultat final. Il est cependant crucial que toute la lumière soit faite sur ces irrégularités avant les présidentielles le 23 novembre 2014.

Une autre préoccupation est la défection des jeunes auteurs du soulèvement de 2011 et partie inhérente de toute la mouvance anti-islamiste durant ces trois dernières années. Il semble qu’ils aient été, et cela se comprend parfaitement, davantage préoccupés par la gangrène du chômage.

Quels sont les principaux challenges législatifs qui attendent les nouveaux parlementaires ?

Aujourd’hui, de nombreuses lois en vigueur en Tunisie ne sont pas en conformité avec la nouvelle constitution adoptée en2014. Le parlement devra donc rapidement remédier à ces incohérences législatives. Cela est d’autant plus important qu’elles concernent des aspects cruciaux de notre société : la justice, l’égalité entre les hommes et les femmes, les droits économiques et sociaux, etc...

Ainsi, malgré l’inscription des libertés d’expression de pensée et d’opinion dans l’article 31 de la nouvelle constitution, l’article 226 du code pénal qui porte sur l’outrage public à la pudeur et le fait de porter atteinte publiquement aux bonnes mœurs constitue une limite légale à ces libertés. L’inégalité successorale est également un exemple flagrant de l’incompatibilité du code de la famille avec le principe d’égalité entre les hommes et les femmes énoncé dans l’article 20 de la constitution.

Le nouveau parlement devra également prendre les mesures nécessaires pour que la vie des citoyens s’améliore et que leurs droits élémentaires soient garantis.

A cet égard, la FIDH va organiser dans les semaines qui viennent un séminaire sur l’harmonisation des lois nationales avec la nouvelle constitution et les conventions internationales de protection des droits humains ratifiées par la Tunisie.

Pensez-vous que la communauté internationale se réjouira du résultat de ces élections ?

Nous avons parfois eu l’impression que l’aide internationale, qu’elle provienne des pays arabes ou de l’Occident, était conditionnée à la capacité des Tunisiennes et les Tunisiens "à absorber leurs islamistes". Je crains donc aujourd’hui que la communauté internationale ne pousse le futur gouvernement à mettre sur pied un gouvernement d’union nationale. Comme je l’ai dit plus haut, les Tunisiennes et les Tunisiens ont accepté les règles du jeu démocratique, au tour des partis qui ont perdu les élections et de la communauté internationale de faire la même chose.

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