Procès en appel des "martyrs de la révolution" : un verdict politique

14/04/2014
Communiqué

Le jugement en appel de responsables de la répression de la révolte du 14 janvier a conduit à des allègements de peines et des libérations d’anciens caciques du régime de Ben Ali. Ce verdict, prononcé par une juridiction militaire et non civile, contrevient aux normes internationales de protection des droits humains y compris pour son mépris de la prise en compte de la chaîne pénale des responsabilités et du droit à un procès équitable.

La Cour d’appel militaire de Tunis a rendu, le 12 avril 2014, ses verdicts dans les trois procès des martyrs et des blessés "de Thala et Kasserine ", du "Grand Tunis" et de "Sfax". La Cour a réduit sensiblement les peines prononcées en première instance à l’encontre de hauts responsables politiques et sécuritaires du régime de Ben Ali accusés d’avoir participé à la répression qui a accompagné et suivi le soulèvement populaire survenu en Tunisie entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011. Cette répression a entraîné la mort de plus de trois cents personnes et blessé gravement plusieurs milliers d’autres. La Cour a également procédé à la confusion des peines prononcées dans chacun de ces trois procès, cette confusion de peines permettant de n’exécuter que la plus lourde des trois peines prononcées.

Ces réductions massives des peines ont conduit à la libération d’un certain nombre d’anciens hauts responsables de la sécurité comme le Général et ex-chef de la sécurité présidentielle Ali Siriati, Lotfi Zouaoui, ex-directeur général de la sureté publique, Adel Touiri, directeur général de la sureté nationale, le brigadier Jalel Boudriga ex-directeur général des unités d’intervention et Rachid Abid, ex-directeur général des unités spécialisées condamnés à trois ans de prison (peines qu’ils ont déjà purgé). L’ancien ministre de l’Intérieur Rafik Haj Kacem, condamné lui aussi à trois ans de prison, sera libéré en mai prochain.

Après que ce verdict ait été prononcé, des altercations ont eu lieu devant la Cour d’appel militaire de Tunis entre les forces de l’ordre et des familles de victimes qui ont vécu cette décision comme une injure à la mémoire des « martyrs » de la révolution.

« Hautement symboliques, ces premières procédures se devaient d’être exemplaires. Or non seulement elles ont été confiées à la justice militaire au mépris des standards internationaux mais en outre, ce verdict semble révéler que la Cour d’appel militaire n’a pas su se démarquer de l’extrême politisation du dossier. »
a déclaré Karim LAHIDJI, président de la FIDH.

Les peines clémentes prononcées en appel le 12 avril 2014 par la Cour d’Appel dans le cadre de ces trois affaires traduisent la non-reconnaissance des chaînes de commandement qui engagent la responsabilité des décideurs politiques. Cette décision est particulièrement préoccupante alors que plusieurs autres procès portant sur les répressions intervenues dans d’autres villes pendant le soulèvement sont encore pendantes devant cette même Cour d’appel militaire.

La FIDH qui a observé plusieurs audiences du procès dit de Thala - Kasserine depuis novembre 2012 regrette également que la procédure ait duré aussi longtemps, ne permettant pas de garantir le droit à un procès équitable et le droit à être jugé dans un délai raisonnable.

La FIDH appelle les magistrats composant la Cour d’appel militaire à faire preuve de diligence dans la tenue des audiences à venir, afin d’assurer que ces procès soient menés dans un délai raisonnable, à la fois dans le respect des droits de la défense et du droit des victimes à obtenir réparation de leurs préjudices. Elle appelle également la justice militaire à faire une application stricte et fidèle des principes de droit international qui s’imposent à la Tunisie, notamment celui de la responsabilité du supérieur hiérarchique pour les crimes commis sous son commandement.

Rappel du contexte
En juin 2012, le Tribunal militaire permanent de Kef rendait son verdict dans le procès de 22 personnes accusées pour les exactions policières commises entre décembre 2010 et janvier 2011 dans les villes de Kairouan, Tajérouine, Thala et Kasserine. Le Tribunal avait prononcé 13 condamnations, allant d’un an de prison à la perpétuité (à l’encontre de l’ancien président Ben Ali), et 9 acquittements.

Entre novembre 2012 et février 2014, La FIDH a mené plusieurs observations judiciaires, devant la Cour d’appel militaire de Tunis, afin d’assurer le suivi du procès dit de Thala et Kasserine, concernant les auteurs présumés d’exactions commises en répression des soulèvements populaires qui, dans ces villes, ont mené à la chute du régime du Président Ben Ali.

Au cours de la procédure d’appel qui a duré près d’un an et demi, la Cour d’appel militaire à Tunis a mené 14 audiences durant lesquelles elle a entendu de nombreux témoignages et répondu à de nombreuses demandes de complément d’instruction faites par les avocats des parties civiles, par le procureur général et par la défense.
En novembre 2012, le Président de la Cour avait notamment acté du besoin d’entendre le ministre de la Justice de l’époque sur les failles qui ont persisté tout au long de la procédure, et spécialement sur les lenteurs observées dans la mise en œuvre d’une enquête judiciaire, sur ces faits criminels.

La FIDH publiera dans les prochaines semaines un rapport d’observation de cette procédure.

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