Droits de l’Homme et procédure d’avis conforme au Parlement européen concernant l’Accord d’Association entre l’Union européenne et le Liban

24/10/2002
Communiqué

Madame la Députée,
Monsieur le Député,

Dans le cadre des discussions actuelles au sein du Parlement européen concernant l’Accord
d’Association entre l’Union européenne et le Liban, le Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de
l’Homme, Human Rights Watch, l’Organisation Mondiale contre la Torture et la Fédération
Internationale des Ligues des Droits de l’Homme, tiennent à exprimer leur préoccupation face à la
détérioration de la situation des droits de l’Homme au Liban. Ces organisations demandent au
Parlement de respecter ses engagements pris dans le rapport Diez Gonzalez adopté le 25 avril 2002 et
d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour mettre en oeuvre de façon efficace la clause sur les
droits de l’Homme (article 2), considérée comme un élément essentiel de l’Accord d’Association.

Tout d’abord, nous approuvons l’organisation d’une audition des ONGs lors de la prochaine réunion de
la Commission des affaires étrangères le 5 novembre. Ceci représentera une occasion importante
d’engager un dialogue avec la société civile libanaise et les ONGs internationales sur la question
des droits de l’Homme au Liban dans le contexte des discussions sur l’Accord d’Association.

Ensuite, nous estimons qu’il est nécessaire de compléter le projet de résolution politique actuel en ce
qui concerne la mise en oeuvre de l’article 2 et l’évaluation de la situation des droits de l’Homme au
Liban en reprenant les éléments suivants :

1. Mécanismes d’évaluation et de suivi
Afin que la clause droits de l’Homme ne demeure pas lettre morte et que l’Union européenne et le
Liban respectent leurs engagements, il est impératif d’instaurer des mécanismes d’évaluation et de
suivi réguliers de la mise en oeuvre de cette clause, et ceci dès le début de l’entrée en vigueur de
l’Accord.
En particulier, un groupe de travail UE-Liban sur les droits de l’Homme devrait être mis en place
et faire des rapports réguliers au Conseil et autres institutions européennes sur les progrès en la
matière et proposer des plans d’action de protection et de promotion des droits de l’Homme. Ceci
devrait se faire en consultation régulière avec les représentants de la société civile, ainsi que sur la
base des conclusions et recommandations émises par les différents mécanismes de défense des Droits
de l’Homme des Nations Unies au Liban.
En outre, les organisations signataires considèrent que l’analyse et les priorités du document de
stratégie 2002-2006 et le programme indicatif national 2002-2004 de la Commission européenne
devraient être revus au regard des récents développements inquiétants en matière de droits de l’Homme au Liban. La Commission a certes identifié le respect des droits de l’Homme comme l’une
des quatre priorités spécifiques de la coopération, mais elle ne lui a pas accordé l’importance requise
en ne décidant de la traiter que dans la deuxième phase de l’assistance, c’est à dire pas avant 2005.
Nous invitons donc le Parlement européen à demander à la Commission de reconsidérer ses priorités
vis-à-vis du Liban, d’inclure les droits de l’Homme dans le programme indicatif national 2002-2004 et
de commencer immédiatement la coopération en la matière, notamment en soutenant la société civile
par le biais des programmes MEDA.

2. Les atteintes à la liberté d’expression
Des restrictions concernent toujours différents aspects de la vie politique, en violation du droit
international. On observe une aggravation des atteintes à la liberté d’expression au Liban, comme en
témoigne la fermeture par la force de la chaîne de télévision MTV, le 4 septembre 2002, pour avoir
couvert les élections partielles de la région du Metn en juin 2002 en permettant à l’opposition de
s’exprimer sur son écran. La décision du tribunal en appel du 21 octobre, qui a confirmé la fermeture
de MTV, ne fait que renforcer l’inquiétude de nos organisations face à la détérioration de la situation.

3. Persécution d’étudiants et d’opposants
Les persécutions d’étudiants et d’opposants sont multiples et comprennent des arrestations arbitraires
pour délits d’opinion, des passages à tabac systématiques lors des manifestations, des arrestations sans
mandat, souvent par des services non autorisés, la détention qui s’en suit, souvent au secret, les aveux
extorqués sous la torture dans les commissariats et au Ministère de la Défense, et les jugements
inéquitables prononcés par le tribunal militaire.
En août 2001, 200 personnes ont été arrêtées avec une violence inacceptable. Il en a été de même en
août 2002 lors des répressions des manifestations d’étudiants en protestation de la fermeture de la
MTV.

Pour ne citer qu’un autre exemple, trois des personnes arrêtées par les services de renseignements
libanais en août 2001 au cours de rafles sont toujours détenus, la cour de cassation militaire ayant, en
juillet 2002, confirmé leurs condamnations qui se basent exclusivement sur des aveux et des
témoignages extorqués sous la torture. Il s’agit d’un membre des Forces Libanaises, Toufic ELHINDI,
et deux journalistes, Habib YOUNES et Antoine BASSIL.

4. Les manquements de la justice
La justice est de plus en plus instrumentalisée, de l’aveu même des responsables gouvernementaux,
afin de servir comme un moyen de répression.
Le tribunal militaire a été établi au Liban en 1967 et est, depuis, devenu une juridiction couvrant tous
les litiges concernant "les atteintes à la sécurité de l’état" avec tous les abus découlant de cette
formulation élastique. Aujourd’hui, le nombre de jugements rendus par le tribunal militaire excède
celui rendu par les tribunaux ordinaires, et ceci en vertu d’une procédure expéditive (environ 3
minutes par jugement). Nous demandons donc au Parlement européen d’exhorter les autorités
libanaises à rétablir le système judiciaire d’avant 1967.
En outre, même si aucune exécution n’a eu lieu depuis 1999, la peine de mort existe toujours au Liban.
5. Les disparitions et détenus dans les prisons syriennes et israéliennes
Le sort de milliers de personnes disparues sur le sol libanais pendant et après la guerre n’a jamais fait
l’objet d’aucune enquête sérieuse de la part des autorités libanaises, laissant leurs familles dans une
situation de doute insupportable.

17 Libanais sont détenus illégalement en Israël. Alors même que des informations fiables font état de
la présence de plusieurs centaines de « disparus » libanais en détention au secret dans les prisons
syriennes, les autorités libanaises n’ont jamais demandé officiellement à la Syrie le rapatriement de
ces ressortissants. Le 11 octobre, un Libanais, Henri Daou, a encore été arrêté à la frontière libanosyrienne
et placé en détention au secret en Syrie.
Déjà dans sa résolution du 12 mars 1998 sur les prisonniers libanais détenus en Syrie, le Parlement
européen demandait au Conseil et Etats membres d’inclure cette question dans le cadre des
négociations de l’Accord d’association avec la Syrie.
La Commission de récolte d’informations sur les disparus, mise en place par le gouvernement libanais
en janvier 2001 sous la présidence du Ministre d’état à la réforme administrative, refuse de rendre
public les informations et témoignages qu’elle a recueillis, et qui, de l’aveu de plusieurs de ses
membres, prouvent d’une façon indiscutable la présence en Syrie de Libanais détenus au secret.
C’est dans ce contexte qu’une délégation de familles de détenus libanais en Syrie a rencontré à Damas
le Ministre de l’Intérieur syrien, le 22 juillet 2002. Celui-ci a promis aux familles des détenus
d’apporter une réponse au sujet de chacun des cas qui lui ont été soumis « dans les deux à trois
mois », soit au plus tard en octobre 2002. Malheureusement les familles sont toujours sans aucune
nouvelles, alors qu’elles avaient transmis au Ministre une liste nominative de 172 personnes détenues
en Syrie.

Nous vous incitons donc à questionner les autorités libanaises et syriennes à ce sujet et à demander au
gouvernement libanais d’accepter le principe d’une commission d’enquête internationale qui aura en
charge d’établir la vérité sur le sort des 17000 disparus, et d’établir les listes exactes des Libanais
détenus au secret en Syrie et en Israël.
6. Les atteintes aux droits des réfugiés et demandeurs d’asile
A ces violations s’ajoute la situation dramatique des demandeurs d’asile et des réfugiés, qui, au Liban,
voient leurs droits les plus élémentaires bafoués, y compris dans certains cas, leur droit à la vie, lors
de leur détention ou de leur expulsion vers leur pays d’origine.

Nous avons de vives inquiétudes au sujet des paragraphes du projet de résolution concernant
l’immigration illégale et les accords de réadmission et demandons au Parlement de préciser qu’il doit y
avoir une protection des droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Le Liban n’a pas ratifié la Convention de Genève de 1951. Depuis l’an 2000, des arrestations,
détentions et expulsions massives de réfugiés et demandeurs d’asile non-Palestiniens ont eu lieu.
Depuis 1999, environ 1000 réfugiés ont été détenus ou déportés, en violation flagrante du principe
international de non-refoulement.
Nous avons par exemple des informations accablantes sur les déportations vers l’Irak d’Irakiens entrés
illégalement au Liban. Au cours d’une de ces mesures d’expulsion, en décembre 2001, 15 à 17
personnes auraient été abattues à la frontière syro-irakienne par les gardes-frontières. En Mars 2002,
deux demandeurs d’asile irakiens, Khaled Salem AZZAOUI et Ali ALKOUT sont décédés à la prison
de Roumieh, vraisemblablement faute de soins médicaux appropriés.
Nous demandons au Parlement européen d’exercer des pressions sur le Liban afin qu’il ratifie et mette
en oeuvre la Convention de Genève de 1951.
Nous attirons également votre attention sur les conditions humanitaires dramatiques des 382 000
réfugiés palestiniens dont plus de la moitié vivent dans l12 camps au Liban, et où, sous prétexte de
soutenir leur "droit au retour", leurs droits sont gravement bafoués. Les violations de ces droits
concernent non seulement les droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi civils et politiques,
notamment le droit au travail, le droit à l’éducation, le droit à des services sociaux, le droit à un
jugement équitable, le droit à la propriété privée, le droit de représentation politique ou le droit
d’association.

Nous demandons que toutes les lois discriminatoires à l’égard des réfugiés palestiniens soient abolies.
La société civile libanaise, qui a de plus en plus de mal à se faire entendre sans risques au Liban,
observe avec beaucoup d’espoir la procédure d’avis conforme au sein du Parlement européen et y voit
une occasion importante d’établir un dialogue efficace avec l’Union européenne sur la question des
droits de l’Homme.
Nous espérons donc que vous pourrez assister à l’audition des défenseurs des droits de l’Homme
libanais et que leurs préoccupations et recommandations énumérées ci-dessus seront reprises dans la
résolution et les questions qui seront adressées par le Parlement à la Commission et au Conseil dans le
cadre de la procédure d’avis conforme de l’Accord d’Association.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Députée, Monsieur le Député, l’expression de nos salutations
distinguées.

Marc Schade-Poulsen,
Directeur du Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme
Driss El-Yazami,
Secrétaire Général de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme
Human Rights Watch
Eric Sottas,
Directeur de l’OMCT, Organisation Mondiale Contre la Torture.

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