Conclusions préliminaires

15/07/2005
Communiqué

Après s’être vu refuser l’accès au territoire algérien pendant plusieurs années, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) a été autorisée à effectuer une mission à Alger du 5 au 10 juillet 2005. La FIDH accueille favorablement cette ouverture et prend acte des engagements du gouvernement algérien de laisser aux ONG internationales un accès libre à l’ensemble de son territoire.

La mission de contact menée par Sidiki Kaba, président de la FIDH, Michel Tubiana, vice-président et Paz Rojas, présidente du CODEPU, organisation membre de la FIDH au Chili, a été l’occasion de rencontrer les autorités algériennes et des acteurs de la société civile afin d’aborder la situation des droits de l’Homme dans le pays et en particulier, la question des disparitions et du projet de loi d’amnistie.

La FIDH avait déjà, à de nombreuses reprises par le passé, exprimé ses préoccupations concernant entre autres, le respect de l’état de droit, le sort des disparus, la situation des femmes et la situation de la liberté de la presse en Algérie.
Notre organisation constate qu’en dépit de quelques avancées, la plupart de ces questions demeurent des sujets de préoccupation.

Si la FIDH prend bonne note des réformes du code de procédure pénale, du statut de la magistrature et de l’administration pénitentiaire entreprises, elle s’interroge néanmoins sur l’application concrète de telles réformes.

La FIDH constate en effet que le statut de la magistrature bien que réformé, n’accorde pas les garanties nécessaires à l’indépendance de ce corps. Le renforcement du devoir de réserve et l’enquête des différents services de sécurité dont font l’objet les plus hauts magistrats avant leur avancement notamment, constituent des entraves à l’indépendance de la justice. En outre, l’habilitation d’officier de police judiciaire dont bénéficient certains membres des forces armées (notamment du D.R.S.) présente des risques d’autant plus importants pour les libertés individuelles que ces membres des forces de l’ordre dépendent hiérarchiquement du Ministère de la Défense et relèvent de juridictions militaires dont la persistance n’est en rien justifiée.

La FIDH est également préoccupée par le fonctionnement de l’administration pénitentiaire qui n’est soumise à aucun contrôle extérieur et indépendant. Celle-ci doit en outre faire face à de graves carences matérielles et n’assure aucunement son rôle de réinsertion sociale. La FIDH s’inquiète par ailleurs, du recours fréquent à la violence et à la torture par les membres des forces de l’ordre, pratiques qui ne font que très rarement l’objet de poursuites.

La FIDH s’inquiète du maintien de l’état d’urgence au nom duquel un certain nombre de libertés et droits fondamentaux sont violés et en particulier, les libertés de manifestation pacifique, d’association et de réunion. Cette situation a pour corollaire un manque de transparence des autorités algériennes , ce qui ne peut qu’accroître la méfiance des citoyens à l’égard des institutions. Par ailleurs, les nombreuses poursuites engagées au cours des derniers mois à l’encontre de journalistes et d’organes de presse constituent de graves menaces pour la liberté de la presse.

La persistance des discriminations à l’égard des femmes par le maintien notamment du tutorat, de la procédure de répudiation et de la reconnaissance de la polygamie constitue une source supplémentaire de préoccupations.

Enfin, la mission de la FIDH n’a pu que constater que la question des disparitions, qu’il s’agisse des disparitions imputées aux membres des forces de l’ordre, à leurs supplétifs ou aux groupes armés rebelles continue de ne pas être traitée. La FIDH déplore que le rapport rédigé par la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’Homme (CNCPPDH) n’ait pas été rendu public. Les grandes lignes de ses conclusions, telles que rapportées par la presse, tendent à envisager une indemnisation des victimes et une reconnaissance de la responsabilité de l’Etat. En revanche, la recherche de la vérité des faits comme des responsabilités ne semble pas avoir été envisagée. Les récentes déclarations publiques du Président de la République laissent à penser qu’une loi d’amnistie générale serait soumise, d’ici quelques mois, à référendum.

La FIDH tient à rappeler que :

· la vérité des faits est un préalable nécessaire à quelque démarche que ce soit. Les victimes, mais aussi toute la société algérienne, ont un droit imprescriptible à connaître la vérité de chaque cas mais aussi des processus politiques qui ont amené à ces situations. Les responsabilités encourues doivent être examinées.

· ce n’est qu’après une démarche de cette nature qu’il appartiendra au peuple algérien, en particulier aux victimes, de définir les conditions des réparations matérielles et morales qui doivent être allouées mais aussi le sort qu’il entend réserver aux responsables de ces actes.

. Il appartient aux autorités publiques ainsi qu’aux acteurs de la société civile et aux victimes de définir les voies et moyens qui permettront d’atteindre ces objectifs.

La FIDH demande aux autorités algériennes de :

 lever l’état d’urgence et de se conformer au point 4 de la résolution du Parlement européen sur la conclusion d’un accord d’association avec l’Algérie qui « considère que la levée de l’Etat d’urgence contribuera au développement de l’Etat de droit et donc, au respect des conditions préalables prévues par l’art. 2 de l’accord » ;
 modifier la législation sur la presse de manière à interdire les peines de prison et les amendes démesurées. Les autorités algériennes doivent garantir la liberté de la presse et la liberté d’expression conformément à l’article 19.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié auquel l’Algérie est partie depuis 1989 ; Elles doivent empêcher les procédures parallèles et détournées destinées à mettre en cause des journalistes.
 modifier la législation de manière générale et le code de la famille en particulier, afin de les rendre compatibles avec la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et envisager la levée des réserves à cet instrument international ;
 modifier le statut de la magistrature et en assurer l’indépendance en s’inspirant des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 1985 ;
 diffuser systématiquement les rapports concernant les droits de l’homme rédigés à la demande des autorités et en particulier, ceux émanant de la CNCPPDH.

En ce qui concerne la question des disparus, la FIDH demande aux autorités algériennes :

 d’entamer, sans délai, un dialogue avec les familles des disparus, les acteurs de la société civile, les partis politiques et toute autre partie concernée afin de définir, en s’inspirant des exemples étrangers, les conditions dans lesquelles la vérité des faits et les responsabilités, individuelles et collectives, pourraient être établies et des réparations allouées aux victimes. Il appartiendra alors au peuple algérien de s’exprimer sur les conséquences des faits et responsabilités encourus. Ce sont là les conditions minimales pour que la justice soit rendue aux victimes mais aussi pour que la société algérienne, dans son ensemble, puisse retrouver les chemins de la confiance et de l’apaisement ;

 D’ores et déjà, et afin de mettre un terme aux souffrances des familles des 3300 personnes enterrées sous X, en mettant en œuvre, de toute urgence, les processus d’identification par recherche d’ADN ;

 de tout mettre en oeuvre pour permettre l’ouverture d’un réel dialogue entre toutes les composantes de la société algérienne et avec les autorités de ce pays.

La FIDH, ayant pris acte des engagements du gouvernement algérien de laisser à toutes les ONG un accès libre à l’ensemble de son territoire, enverra, dans les prochains mois une nouvelle délégation afin de poursuivre son dialogue avec les autorités algériennes et de renforcer ses liens avec tous les acteurs de la société civile.

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