Consécration d’une CPI " à la carte "

La réunion du Conseil de l’Union Européenne du 30 octobre 2002 a encore une fois démontré la frilosité politique de l’Union à l’égard des tentatives des Etats-Unis d’exclure totalement ses nationaux du champ de compétence de la Cour pénale internationale (CPI).

Conseil de l’Union européenne / CPI

Paris le 2 octobre 2002 -

Les juristes devaient en effet se prononcer sur une position commune concernant les accords bilatéraux susceptibles d’être passés entre ses Etats-membres - ou en devenir - et les Etats-Unis. Rappelons que les accords, fondés sur l’article 98 du Statut de la CPI, ont pour objet d’obliger les Etats signataires à refuser la remise de tout citoyen américain à la CPI et de les remettre, " lorsque nécessaire " aux juridictions nationales américaines.

Bien loin de condamner fermement la position des Etats-Unis, comme l’avait en revanche fait le Parlement européen le 26 septembre dernier, le Conseil de l’Union européenne a au contraire tenté d’apporter une caution morale aux accords bilatéraux en dégageant des principes directeurs censés guider " les Etats membres lorsqu’ils examineront la nécessité et la portée d’éventuels accords ou arrangements en réponse à la proposition faite par les Etats-Unis ".

Contravention avec le droit international

La position de l’Union européenne, en définissant les critères de légalité des accords d’immunité, encourage de facto les Etats à être en contravention avec le droit international. En effet, selon l’article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, lorsqu’une interprétation spécifique conduirait "à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable ".

Or les accords bilatéraux recherchés par les américains aboutissent précisément à un résultat absurde puisqu’ils permettent aux Etats non parties de remettre en cause le principe fondamental du Statut de Rome selon lequel toute personne, quelle que soit sa nationalité, commet un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un génocide sur le territoire d’un Etat Partie est soumis à la compétence de la CPI. Tout accord empêchant la CPI d’exercer sa fonction complémentaire avec les juridictions nationales en agissant lorsque un Etat ne veut pas ou ne peut pas juger, viole l’objet et le but du Statut.

De même, sous couvert d’un principe intitulé " pas d’impunité ", l’UE considère que " toute solution devrait (nous soulignons) comporter dans son dispositif des règles permettant de garantir qu’aucun auteur de crimes relevant de la compétence de la Cour ne jouira de l’impunité".

Or, le principe de complémentarité avec les juridictions nationales qui fonde l’action de la CPI suffit à lui seul à mettre les Etats-Unis à l’abri d’un jugement des criminels américains par la CPI. La Cour est en effet uniquement compétente lorsque les Etats refusent ou sont incapables de traduire les criminels en justice, lorsque l’ordre judiciaire est défaillant (article 17 du Statut de Rome). Il n’est donc pas nécessaire pour l’Etat qui veut soustraire ses nationaux au risque de les voir comparaître devant la Cour pour les crimes de la compétence de la CPI, d’entrer dans des accords bilatéraux sur le fondement de l’article 98 du Statut. Il lui suffit, chaque fois qu’un de ses nationaux fait l’objet d’une telle plainte, de le faire comparaître devant son propre système judiciaire, et la CPI, constatant, soit qu’une enquête ou des poursuites sont en cours, soit qu’après enquête, une décision de ne pas poursuivre a été prise ou enfin qu’un jugement est déjà intervenu, déclarera, appliquant le principe de complémentarité, que l’affaire est irrecevable devant elle. Les accords bilatéraux, violant le principe de complémentarité, mettent ainsi les Etats Parties qui les auront signés en contrariété évidente avec l’objet du Statut. De plus, dans ce contexte, comment ne pas mettre en doute la volonté américaine affichée de poursuivre, en tout état de cause, les nationaux américains devant leurs propres tribunaux ?

En outre, selon les travaux préparatoires, les accords internationaux admis sous l’article 98.2 ne se référaient qu’aux accords préexistants. L’article a été négocié précisément pour régler les conflits potentiels entre le Statut et les obligations issues du droit international existantes. Ainsi, l’objet de l’article 98.2 n’était qu’une référence expresse aux dispositions standards des SOFAs (status of force agreements) et ne permettait en rien la conclusion subséquente de tels accords, qui apparaissent être en totale contradiction avec les travaux préparatoires du Statut de la CPI et ainsi en contravention avec les obligations des Etats.

L’UE encourage de fait la signature des traités bilatéraux

L’UE a consacré la légalité des accords d’immunité permettant d’empêcher toute remise à la Cour de ressortissants d’Etats non-parties, " envoyés " par ces derniers sur le territoire de l’Etat signataire de l’accord. La FIDH souligne que par le terme " envoyés ", l’UE désigne des officiels jouissant d’une immunité d’Etat ou diplomatique, selon le droit international, alors même que l’article 27 du Statut stipule qu’aucune immunité ne doit pouvoir faire obstacle aux poursuites engagées par le procureur de la Cour.

Cette attitude risque en outre implicitement d’encourager les Etats non-parties ainsi que les Etats réticents vis à vis de la Cour à ratifier de tels accords, ce qui porterait gravement atteinte à l’essence même du Statut de la Cour. Celui-ci donne en théorie compétence pour juger les ressortissants des Etats non parties coupables des crimes les plus graves, commis sur les territoires d’un Etat Partie. Rien n’empêche désormais la Chine, la Russie, ou Israël, de tenter de conclure de tels accords avec d’autres Etats.

Or cette attitude ne peut être considérée que comme un manque de confiance dans la CPI. Le Statut contient précisément des garanties efficaces contre les plaintes abusives, notamment par le mécanisme de contrôle des actes du Procureur par la Chambre Préliminaire ou les mesures de protection mises en place pour les informations relevant de la sécurité nationale des Etats. L’encouragement donné par l’Union européenne à la signature des accords bilatéraux traduit en réalité un changement radical de position de la part des Etats membres de l’UE qui ne peut qu’être déploré, puisqu’il ébranle très fortement la compétence de la Cour, toujours en quête de légitimité.

Alors que de nombreux Etats - y compris non parties - attendaient une position forte de l’UE pour refuser la signature d’accords bilatéraux avec les Etats-Unis, les conclusions sur la position commune laissent les Etats en proie à de fortes pressions américaines. On peut craindre qu’elles ne valent encouragement à la signature de tels accords.

La FIDH ne peut que déplorer que l’Union européenne ait ainsi privilégié une approche politique, opportuniste et à géométrie variable, à l’application pure et simple des principes juridiques inhérents au Statut et qui lient ses Etats Membres.

>>>>>>> Signez la pétition adressée par la FIDH au Président des Etats Unis d’Amérique

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