Libération de Jean François Ndengue : Paris, complice de crimes contre l’humanité ?

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue française des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) expriment leur plus vive stupéfaction et leur indignation profonde au regard de la mesure prise au milieu de la nuit dernière de remettre en liberté Jean-François Ndengue, directeur de la police nationale du Congo Brazzaville.

Après avoir été placé en garde à vue le 1er avril, Jean-François Ndengue a été mis en examen pour crimes contre l’humanité par un Juge d’Instruction de Meaux puis placé en détention provisoire par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) hier soir. Cette décision a été prise nonobstant les pressions particulièrement fortes exercées par les plus hautes autorités de l’Etat français et relayées par le Parquet et ce, en violation flagrante du principe fondamental de la séparation des pouvoirs.

Alors que la thèse officielle avancée par le Quai d’Orsay pour justifier la libération de Ndengue est que ce dernier « avait un passeport diplomatique en cours de validité et était en visite officielle », la FIDH, la LDH et l’OCDH contestent et réfutent totalement ces arguments. Or, Ndengue ne pouvait justifier ni d’un passeport diplomatique, ne serait-ce que compte-tenu de la nature de ses fonctions, et tous les éléments de faits démontrent qu’il était en séjour privé et non en mission officielle, étant précisé que :

 1. La Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, accorde aux agents de missions diplomatiques permanentes une immunité de juridiction pénale complète (art. 31) et les protège contre toute forme d’arrestation et de détention (art. 29). Cependant, elle est inapplicable dans notre affaire puisque Jean François Ndengue n’appartient pas à une mission diplomatique permanente en France et n’est donc pas un « agent diplomatique » au sens de la Convention.

 2. La Convention de New York des 8 et 16 décembre 1969 sur les missions spéciales, accorde aux représentants d’Etats en mission spéciale à l’étranger une immunité de juridiction absolue le temps du voyage officiel (art. 31 et les protège contre toute forme d’arrestation et de détention durant la mission spéciale. Cependant, la France n’a pas ratifié cette Convention qui n’est donc pas applicable. En tout état de cause, la Convention ne prévoit aucune immunité pénale en cas de visite privée à l’étranger. Elle ne peut donc pas non plus trouver application pour exempter Jean François Ndengue de sa responsabilité pénale individuelle puisque ce dernier se trouve en France depuis le 19 mars dernier à des fins purement personnelles.

 3. Le droit international coutumier ne confère pas non plus d’immunité pénale à une personnalité étrangère en visite privée en France. Cette position a été officiellement adoptée en 2003 par le gouvernement français lui-même devant la Cour internationale de Justice dans la même affaire (République du Congo c. France). Le Conseil du gouvernement français lors de l’audience publique du 28 avril 2003 a indiqué sans ambiguïté : « Il paraît, prima facie, très évident qu’aucune des trois dernières personnalités que j’ai mentionnées [le général Pierre Oba, ministre de l’intérieur, de la sécurité publique et de l’administration du territoire, le général Norbert Dabira, inspecteur général des forces armées congolaises et le général Blaise Adoua, commandant de la garde présidentielle] ne bénéficie de quelque immunité internationale que ce soit à raison de ses fonctions. A fortiori, évidemment, le même raisonnement est applicable s’agissant du directeur de la police nationale du Congo Brazzaville.

En conclusion, Jean François Ndengue, venu en France en visite privée, ne bénéficie d’aucune immunité diplomatique en vertu du droit international conventionnel ni du droit international coutumier.

C‘est semble-t-il par la seule diligence extrême du Parquet qui a fait appel de la décision de placement en détention provisoire qu’un haut magistrat, agissant en qualité de président de la Chambre de l’Instruction de Paris, convoqué en urgence en plein milieu de la nuit, a statué en faveur d’une mise en liberté.

Il apparaît en outre que l’avocat lui-même de Jean François Ndengue, n’était pas informé de cette démarche ayant pour sa part fait une demande de référé liberté qui devait être examinée mercredi prochain par la Chambre de l’Instruction.

Pour le Président de la FIDH Sidiki Kaba, « quand la raison d’Etat prévaut, l’Etat perd la raison au plus grand mépris des victimes de crimes particulièrement odieux. De façon scandaleuse, la démonstration est hélas une nouvelle fois faite que les amitiés entre Etats priment sur le droit des victimes à un recours effectif devant des tribunaux indépendants ».

La FIDH, la LDH et l’OCDH condamnent le respect apparent d’une légalité formelle qui ne fait en réalité que confirmer le sentiment que l’exécutif français en couvrant de tels « amis », entretient en réalité sa complicité avec des criminels contre l’humanité. Les organisations rappellent enfin que Jean-François Ndengue est toujours mis en examen, en dépit de sa libération.


Rappel des faits et de la procédure

(pour un état complet voir le dossier sur http://www.fidh.org/afriq/dossiers/sassou/sassou.htm ....)

De passage dans la capitale française, Jean François Ndengue a été arrêté par les forces de police sur le fondement d’une plainte avec constitution de partie civile déposée en décembre 2001 aux côtés de victimes congolaises par la FIDH, la Ligue française des droits de l’Homme et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme, organisation membre de la FIDH au Congo, pour crimes contre l’humanité, disparitions forcées et torture.

M. Ndengue était en mai 1999 en charge de la sécurité au Port fluvial du Beach de Brazzaville où plusieurs centaines de réfugiés congolais de retour dans leur pays profitant d’un couloir humanitaire placé sous les auspices du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) furent enlevés par des éléments de la garde présidentielle et exécuté dans l’enceinte même du Palais du président Sassou Nguesso. De sources concordantes, plus de trois cent cinquante cas de disparitions auraient été recensées au cours de ce retour d’exil. Pour la seule journée du 14 mai 1999, plus de 200 personnes auraient ainsi disparu. Il était à ce titre en contact permanent avec les éléments de la Garde présidentielle qui patrouillaient au Beach, il recevait et exécutait les instructions officielles quant à la conduite à tenir au moment des massacres et était présent lors des arrestations et enlèvement des futures victimes congolaises.

M. Ndengue est la deuxième personne gardée à vue dans cette affaire. Ce fut également le cas le 23 mai 2002 de M. Dabira, Inspecteur général des Armées au moment des faits. Nos organisations rappellent à cet effet que M. Dabira s’était par la suite dérobé à une convocation du juge en septembre 2002, sur insistance des autorités congolaises. Il se trouve depuis à Brazzaville malgré une mise en examen en France et un mandat d’arrêt international délivré contre lui.


Point presse

Sidiki Kaba, Président de la FIDH
Patrick Baudouin, avocat des plaignants et des victimes parties civiles
Lundi 5 avril 2004 à 13h30
au siège FIDH
17, passage de la Main d’or
75011 Paris


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