Espagne : La proposition de loi sur la compétence universelle doit être rejetée

10/02/2014
Communiqué
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IMPUNITE UNIVERSELLE

Le 11 février 2014, le Parlement espagnol examinera la proposition de loi présentée par le groupe parlementaire Partido Popular, relative à l’extension de la compétence des tribunaux espagnols pour les crimes commis au-delà de ses frontières. L’APDHE et la FIDH appellent au rejet de cette réforme législative car son adoption limiterait de façon substantielle l’application du príncipe de justice universelle.

En août 2009, sous la pression de pouvoirs commerciaux, économiques et politiques internationaux, une réforme déplorable visant à réduire le champ d’application de la compétence universelle a été passée.

“Aujourd’hui, presque cinq ans après cette première réforme et à la suite des derniers arrêts prononcés par l’Audiencia Nacional (Cour nationale espagnole) dans l’affaire du Tibet, nous voyons s’exercer les mêmes pressions qu’en 2009 visant à donner la primauté aux intérêts économiques et politiques”, a déclaré Maite Parajo, Secrétaire Générale de l”APDHE. “Ces pressions ont débouché sur la présentation de la proposition de loi en question qui vide de tout contenu le príncipe de droit international en question” .

Cette proposition de loi comporte des dispositions limitant l’application de la compétence universelle pour les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, aux cas où le suspect est espagnol ou étranger résidant habituellement en Espagne ou un étranger se trouvant en Espagne et dont l’extradition a été refusée par les autorités espagnoles. Pour les dossiers de torture et de disparition forcée, la proposition de loi dispose que pour entamer toute procédure, le suspect doit être espagnol ou la victime doit être de nationalité espagnole au moment des faits incriminés et le suspect se trouver sur le territoire espagnol.

De nouveau, on applique une procédure législative accélérée visant à éviter toute publicité et tout débat public, occultant l’intervention d’organes consultatifs comme le Consejo General del Poder Judicial (Conseil général de la magistrature) et le Consejo de Estado (Conseil d’Etat).

“L’exercice de la compétence universelle découle des obligations internationales liées aux nombreux traités et conventions auxquels l’Etat espagnol est partie et par lesquels il s’engage à défendre les droits humains, à poursuivre et punir les responsables de crimes internationaux les plus graves (génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, torture, disparition forcée, entre autres)” , a déclaré Patrick Baudouin, Président d’honneur de la FIDH. “La proposition de loi contrevient aux príncipes les plus élémentaires du droit international et du droit international des droits de l’Homme déjà appliqués lors des procès de Nuremberg et actuellement en vigueur en Espagne. Par cette réforme, le gouvernement espagnol manque aux obligations internationales auxquelles il a adhéré, visant à éviter que ces crimes atroces demeurent impunis” .

La compétence universelle ne peut pas être restreinte jusqu’à nier son essence propre, par des prérequis ou des liens de connexité tels que la nationalité des victimes ou l’exigence de la nationalité espagnole du suspect.

Cette réforme introduit également une condition de nationalité espagnole ou de résidence habituelle en Espagne à la poursuite de personnes étrangères soupçonnées de délits de traite de personnes, trafic de stupéfiants ou d’atteinte à la liberté et à l’intégrité sexuelle de mineurs. En cela, elle limite l’étendue et les moyens d’investigation et implique ainsi que seuls des complices espagnols pourront être poursuivis alors que les principaux auteurs et instigateurs de ces délits jouiront d’une pleine impunité.

De plus, la réforme envisagée exclut toute “action populaire” (possibilité, en droit espagnol, pour la société civile de porter plainte et participer en tant que tierce partie) du principe de justice universelle. Cette restriction découle de l’expérience espagnole, selon laquelle ce sont souvent les actions populaires qui permettent l’ouverture d’enquêtes et l’initiation de procédures judiciaires, allant très souvent à l’encontre du ministère public, soumis à des intérêts ou instructions du gouvernement. Cette tentative d’élimination de l’action populaire révèle bien le but de la réforme qui est de conduire au classement de toutes les affaires actuellement en cours, par une déclaration tacite de l’impunité des auteurs identifiés voire même de ceux déjà incriminés.

N’oublions pas que cette proposition de loi, dans sa Disposition Transitoire Unique, prévoit que, dès son entrée en vigueur, toutes les affaires en cours soient classées jusqu’à que la preuve de leur conformité aux nouvelles conditions requises soit apportée.

En conséquence, la FIDH et l’APDHE :
 Manifestent leur indignation et leur rejet de la réforme envisagée qui violerait les obligations internationales contractées, conduirait à l’impunité des auteurs de crimes internationaux et interdirait aux victimes l’accès à la justice espagnole ;
 Déplorent le choix d’une procédure législative accélérée pour l’examen de la réforme proposée ;
 Déclarent que, comme énoncé par la Cour constitutionnelle en 2005 dans l’affaire Guatemala, le champ d’application de la compétence universelle ne connait pas de bornes et prime sur l’existence ou non d’intérêts nationaux ;
 Déclarent que l’action populaire est un droit introduit par l’article 125 CE qui permet l’intervention de la société civile, indépendemment de tout parti et gouvernement ainsi que de conglomérats économico-financiers et donc indépendante de leur influence. Pour cette raison, les pouvoirs publics devraient plutôt porter et encourager cette forme d’action et non pas la restreindre.
 Les signataires exigent le retrait de la proposition de loi afin que les tribunaux espagnols remplissent leur mandat qui est de garantir l’application effective des droits de la société civile et des victimes, respectant ainsi les obligations internationales contractées par l’Espagne ainsi que la conscience et le sens de la justice que chaque parlementaire a à coeur.

Voir aussi la lettre ouverte de différentes ONG sur cette proposition de loi en espagnol et en anglais.

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