Plate-forme des ONG pour la défense de la loi de compétence universelle

21/05/2003
Appel urgent

Amnesty International Belgium, la Ligue Belge des Droits de l’Homme, Liga voor Mensenrechten, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), Human Rights Watch et Avocats sans Frontières - Belgique.

Bruxelles, le 21 mai 2003

Hier, le Conseil des Ministres belge a décidé, s’agissant de la plainte déposée contre le général Tommy Franks, d’appliquer - pour la première fois - le paragraphe 4 de l’article 7 de la loi modifiée dite de « compétence universelle ».

Il n’appartient pas aux ONG signataires de se prononcer sur la plainte en question, son appréciation relevant des autorités judiciaires belges.

Cependant, les ONG membres de la plate-forme pour la compétence universelle sont vivement préoccupées de l’immixtion du politique dans une affaire qui devrait relever de la compétence exclusive du pouvoir judiciaire.

En effet et conformément au paragraphe 4 de l’article 7, le ministre de la Justice peut, après décision délibérée en Conseil des ministres, porter les faits allégués à la connaissance de l’Etat « dont la législation incrimine les violations graves du droit humanitaire telles qu’énumérées aux articles 1er, 1 bis et 1 ter et garantit aux parties le droit à un procès équitable. Une fois que les faits ont été portés à la connaissance de l’Etat tiers, la Cour de cassation, sur réquisition du procureur général, prononce, dans le respect des obligations internationales de la Belgique, le dessaisissement de la juridiction belge saisie du même fait, après avoir vérifié qu’il n’y a pas erreur sur la personne. »

Le présent précédent soulève par l’absurde le manque de pertinence du paragraphe 4 de l’article 7 qui organise l’intrusion du politique dans l’administration de la justice. Sa mise en œuvre en l’espèce par le gouvernement belge - au surplus démissionnaire - aboutit à demander au parquet de se dessaisir d’une plainte sur la recevabilité de laquelle il ne s’était pas encore prononcée. Le Procureur n’a en effet pas encore statué sur cette affaire. Le fait que le Procureur ait donné un avis au ministre de la justice ne le décharge pas de sa responsabilité de prononcer une décision judiciaire susceptible d’appel, au titre du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi de compétence universelle modifiée. Appliquant le paragraphe 4 de façon incorrecte, le gouvernement court-circuite cette procédure, et prive les plaignants de la possibilité de faire appel de la décision du Procureur de ne pas poursuivre - démontrant ainsi le manque de transparence de ce filtre purement politique.

L’initiative prise par le Conseil des ministres - qui en réalité ne s’est même pas réuni en conseil - démontre que les craintes des ONG de voir une politisation accrue de la loi belge de compétence universelle étaient fondées. On assiste ici à l’instauration d’une justice à deux vitesses, selon que l’on est puissant ou misérable

La procédure utilisée aujourd’hui par le Conseil des ministres avait été qualifiée d’« exceptionnelle », lors des négociations précédant le vote de la loi. Les ONG notent, qu’en réalité, elle sert de prétexte à des décisions d’opportunité politique et diplomatique qui ont pour conséquence de porter atteinte au principe fondamental de la séparation des pouvoirs.

La loi belge de compétence universelle adoptée en 1993 et modifiée en 1999 permet de poursuivre en Belgique les auteurs présumés de crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité, quel que soit le lieu où ceux-ci ont été commis et quelle que soit la nationalité des auteurs ou victimes. Les ONG signataires considèrent qu’il appartient en priorité aux juridictions nationales d’enquêter et de poursuivre les auteurs présumés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Le mécanisme de compétence universelle des juridictions nationales devant être, pour les victimes, le dernier recours effectif pour lutter contre l’impunité. La plate-forme des ONG rejette l’instrumentalisation politique de la loi de compétence universelle qui trahit son essence et menace son existence.

La plate-forme des ONG restera vigilante à l’égard des démarches qui suivront la décision du Conseil des ministres.

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