Lettre ouverte au Président de la République Française

07/02/2003
Rapport

Monsieur le Président de la République,

Vous recevez à Paris le 10 février 2002 Monsieur Vladimir Poutine, Président de la République de Russie.

En novembre 2000, vous aviez assuré la FIDH de la " vigilance continue " de la France " sur le dossier douloureux " de la Tchétchénie ayant " pleinement conscience des conditions éprouvantes qui prévalent dans le Caucase Nord ". Vous aviez aussi rappelé les positions défendues par la France auprès des autorités russes lors de réunions bilatérales et multilatérales : " respect des engagements souscrits par la Russie, notamment dans le cadre de l’OSCE et du Conseil de l’Europe, priorité à l’action humanitaire ; nécessité et urgence d’une solution politique, seule à même de permettre un règlement durable de la crise ".

Depuis lors la situation des droits de l’Homme en Tchétchènie n’a eu de cesse de se dégrader et la FIDH a qualifié de crimes contre l’humanité les pratiques des services russes placés sous l’autorité directe de votre homologue.

La population est en effet quotidiennement soumise à des actes de violence indiscriminés qui continuent d’être principalement le fait des forces armées et du FSB, notamment lors d’opérations de "nettoyage". Celles-ci relèvent de véritables opérations punitives visant l’ensemble de la population civile : encerclement par les blindés, déploiement massif de militaires, arrestations de la population masculine, interrogatoires durant lesquels le recours aux mauvais traitements et à la torture est la règle. La systématisation du racket et des demandes de rançons par les militaires pour libérer les civils arrêtés est devenue l’une des caractéristiques majeures de cette guerre, et sans doute une des causes de l’intérêt que trouvent les militaires à la poursuite de cette guerre.

Ces violations continuent d’être pratiquées en totale impunité. L’absence patente de volonté du pouvoir russe de sanctionner les auteurs de violation des droits de l’Homme contrairement aux intentions proclamées, est apparue avec encore plus de cynisme lorsque le Colonel Boudanov, auteur du viol et du meurtre d’une jeune fille tchétchène, seul officier supérieur à avoir été jugé, a été acquitté, après deux ans d’un procès dilatoire. Le 31 décembre 2002, au terme d’une quatrième expertise psychiatrique, il a été déclaré pénalement irresponsable du meurtre pour cause de troubles mentaux.

Cette situation dénoncée dans nos rapports d’enquêtes publiés conjointement avec l’organisation russe Mémorial ont été confirmés récemment par le Comité contre la torture de l’ONU. En outre, la décision de la CEDH rendue publique le 16 janvier 2003 qui pour la première fois déclare recevables des plaintes contre la Russie émanant de victimes des forces fédérales dans le conflit tchétchène sont une première reconnaissance de l’impossibilité d’obtenir justice sur le territoire national.

Mais peut-être les victimes de ces pratiques sont-elles des terroristes, auquel cas, conformément à une doctrine qui n’est malheureusement plus l’apanage du seul V. Poutine, l’annihilement doit être la règle, quel qu’en soit les prix à payer par les populations civiles..
En outre, la guerre se poursuit toujours à huis-clos. L’accès des ONG internationales et des médias indépendants au territoire tchétchène n’est toujours pas libre, étant soumis à l’autorisation de l’administration tchétchène désignée par les autorités russes et à la bonne volonté des pouvoirs militaires. Les enlèvements de représentants de la société civile se sont multipliés depuis l’été 2002, sans qu’aucune information n’ait été donnée sur le sort par exemple d’un collaborateur de MSF Hollande et d’un membre d’une ONG russe. De plus, en janvier 2003, plusieurs ONG tchétchènes, seules à pouvoir fournir une information différente de l’information officielle, ont vu leurs sites internet menacés et l’un d’entre eux effectivement fermé le 21 janvier.
Aux demandes répétées de négociations de la part des autorités tchétchènes démocratiquement élues, le pouvoir russe répond par une fin de non recevoir et tente de faire croire à l’avancée d’une solution politique. En témoigne l’organisation le 23 mars 2003 d’un référendum destiné à doter la république tchétchène d’une nouvelle Constitution. Toute tentative de solution politique rejetant a priori la partie adverse est vouée à l’échec, comme l’ont dénoncé plusieurs personnalités russes importantes. Le précédent des élections truquées de 1995 (élection du leader pro russe D. Zavgaev) et le résultat hautement fantaisiste du recensement de l’automne 2002 (plus d’un million d’habitants recensés alors que toutes les évaluations parlaient de 500 à 600 000 personnes) laissent planer les plus forts doutes quant à la validité d’un scrutin qui ne sera l’objet d’aucune observation internationale.
Dans ces conditions et alors qu’il ne peut y avoir de solution au conflit tchétchène sans des négociations entre les parties en conflits, le discours sur la normalisation des autorités russes n’est qu’un leurre grossier et scandaleux.

La FIDH et la LDH ne peuvent qu’exprimer leur indignation au regard du comportement de la communauté internationale sacrifient à des raisons d’Etat dites impératives l’indispensable critique publique de la responsabilité criminelle du président Poutine, relève de la duplicité sinon de la complicité.

Monsieur le Président,

Nous voulons croire que la politique étrangère de la France dans le domaine des droits de l’Homme, fondée sur le respect du droit international et des normes universelles qu’il édicte, vise à mettre un terme également à tous les crimes contre l’humanité commis en Russie.

Aussi, nous vous demandons d’aborder avec franchise et détermination la situation des droits de l’Homme en Tchétchénie avec votre homologue russe lors de sa prochaine visite, en exprimant clairement les préoccupations de la France, que déjà vous nous disiez partager en novembre 2000.

Nous espérons en outre que la France, à l’occasion de la prochaine session de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU jouera, au sein de cette enceinte de concert avec ses partenaires européens un rôle déterminant pour emporter l’adoption d’une résolution de cette instance exigeant l’arrêt des violations des droits de l’Homme perpétrées contre la population civile et l’accès à la Tchétchénie des mécanismes d’enquêtes de l’ONU, des ONG et des médias indépendants.

Veuillez recevoir Monsieur le Président, l’expression de notre plus haute considération.

Sidiki Kaba
Président de la FIDH

Michel Tubiana
Président de la LDH

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