Russie : appel des soignants contre l’internement et le traitement psychiatrique forcé d’un opposant

18/07/2014
Communiqué

Nous signataires apprenons avec soulagement que Mikhaïl Kosenko, prisonnier d’opinion dans l’affaire Bolotnaïa, est sorti de l’hôpital psychiatrique dans lequel il avait été interné de force depuis le 25 mars de cette année. Pour autant, l’utilisation à son encontre de la psychiatrie à des fins répressives ne cesse pas pour autant.

Petit retour sur un précédent très inquiétant.

Le 25 mars dernier, le tribunal municipal de Moscou avait confirmé la condamnation du manifestant pacifique Mikhaïl Kosenko à de l’internement psychiatrique forcé et à des « soins obligatoires pour une durée indéfinie », trois experts psychiatres l’ayant déclaré « dangereux pour lui-même et pour la société ».

Quel est le crime commis par Mikhaïl Kosenko ? Avoir participé pacifiquement à une manifestation organisée en mai 2012, lors de la prise de pouvoir de M. Poutine, pour dénoncer les résultats des élections. Il est accusé, sans que cela ait pu être prouvé, d‘agression sur un représentant des forces de l’ordre .

A la violence d’un emprisonnement fondé sur des preuves imaginaires se sont ajoutées la perversion et la manipulation du système de soins de santé mentale au service de l’internement forcé des opposants dans une institution psychiatrique. On éprouve un douloureux sentiment de retour en arrière, au temps de l’Union Soviétique, où les opposants politiques étaient « diagnostiqués » malades mentaux et internés des années durant. Pour mémoire : Josef Brodsky, Vladimir Boukovski, Natalia Gorbanevskaïa, Olga Yofé et tant d’autres, tous internés pour « une schizophrénie légère ou un développement paranoïde ou une surestimation de leur personnalité qui atteint des proportions messianiques ». Beaucoup de ces diagnostics ont été effectués par l’Institut SERBSKY de Moscou, celui-là même qui a « expertisé » Mikhaïl Kosenko.

La FIDH s’était prononcée pour la libération de Mikhaïl Kosenko dès le mois d’ocotbre 2013.

Cette expertise, très critiquable, a été vivement mise en cause par des soignants russes et, tout particulièrement par Yuri Savenko, président de l’Association des psychiatres indépendants de la Russie, qui, bien qu’ « invité » par le Comité d’éthique à s’expliquer, n’a pas changé d’avis et s’est présenté comme témoin de la défense lors du procès. Le tribunal, malgré des demandes répétées des avocats de la défense, n’a jamais accepté une contre-expertise indépendante.

M. Kosenko, qui, depuis sa sortie de l’armée, suivait un traitement en ambulatoire délivré par un psychiatre de ville, n’avait jamais commis d’actes de violence ni été soigné pour ce motif. De toute évidence, s’il n’avait pas pris part à la manifestation de mai 2012 et affirmé son opposition au régime, il n’aurait pas eu ce type de traitement forcé ! Malgré une nouvelle décision prise par un Tribunal de Moscou de mettre fin à sa rétention dans une institution psychiatrique, il est dans « l’obligation » de poursuivre les soins et il n’a pas le droit de choisir son soignant.

  • Nous qui soignons des personnes ayant subi des actes cruels, inhumains et dégradants,
  • Nous qui nous déplaçons, soignons et témoignons des souffrances des populations défavorisées,
  • Nous pour qui un acte de soins est un acte de soulagement de la souffrance et pas un acte de destruction et de humiliation d’un être,

Nous ne pouvons pas rester indifférents à l’enfermement, chimique ou physique, de Mikhaïl Kosenko, ni au traitement psychiatrique forcé qui lui est imposé, et nous dénonçons la perversion d’actes de soins en actes répressifs par des systèmes despotiques qui empêchent et sanctionnent violemment la liberté d’expression.

Signataires :

  • Dr. Claire MESTRE – Psychiatre – ASSOCIATION MANA - Soins psychothérapeutique et prévention auprès des populations migrantes.
  • Dr Arnaud VEÏSSE - Directeur général – COMEDE - Comité Médical pour les Exilés - Hôpital Bicêtre
  • Me Antoine RICARD – Président – Centre Primo Levi - Soins aux victimes de le torture et de la violence politique
  • Dr Massimo GERMANI - Psychiatre, responsable du Centro per la patologie Post traumatiche et da stress - Ospedale San Giovanni-Addolorata, Roma - ITALY,
  • Claude SOUNACK – Président – TRACES réseau clinique international. Intervention et recherche sur les traumatismes psychiques liés à la violence politique
  • Fiorella RATHAUS - Responsabile Progetto VI-TA (Vittime della Tortura) Consiglio Italiano per i Rifugiati (CIR) - ITALY
  • Pr. Marie-Rose MORO – Professeur de psychiatrie enfant et adulte - Université Paris V,
  • Adriana KOREN – Psychanalyste – Psychologue Expert auprès de la Cour d’Appel de Versailles,
  • Dr Pilar GIRAUX-ARCELLA – Médecin Santé publique,
  • Dr Frédérique DROGOUL – Psychiatre – Ancienne responsable groupe « Santé Mentale » Médecins du Monde.
  • Eléonore MOREL – Directrice général – Centre Primo Levi - Soins aux victimes de le torture et de la violence politique,
  • Dr Chantal MANNONI – Médecin Santé Publique
  • Daniel KOREN – Psychanalyste – Psychologue clinicien Docteur en psychologie et psychopathologie clinique,
  • Dr Fabrice GIRAUX – Médecin Santé Publique,
  • Juan BOGGINO – Psychanalyste - TRACES réseau clinique international – Responsable du Programme Soins et soutien des défenseurs des droits de l’Homme et de leur famille
  • Dr Alain GILLIE – médecin généraliste – responsable de la commission santé/ lutte contre la torture Amnesty International France
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