Russie : Sous la blancheur immaculée des neiges de Sotchi

05/02/2014
Communiqué

Tribune publiée le 3 février dans le Monde

par Karim Lahidji, président de la FIDH

Trente-six milliards d’euros : les Jeux de Sotchi s’annoncent d’ores et déjà comme les plus coûteux de toute l’histoire de l’olympisme. Si l’événement avait pour objectif réel de développer une région jusque là délaissée, ou assurer un spectacle sportif célébrant l’amitié entre les peuples, cette débauche de moyens aurait pu trouver un début d’explication. Mais la raison fondamentale de cet événement sportif hors normes semble bien de consacrer Vladimir Poutine sur la scène internationale. Et par là de cautionner une politique intérieure désastreuse en matière de libertés publiques, ainsi qu’une diplomatie qui, en Syrie, s’apparente désormais à une complicité de crimes contre l’humanité.

ANNÉE DE TOUS LES « SUCCÈS »

En décembre 2013, le Times a attribué le titre d’ « Homme de l’année », au président russe. Une distinction qui a sonné comme une provocation, tant ce magazine conservateur britannique est peu suspecté d’être favorable à Moscou. Et pourtant, force nous est d’admettre que ce titre est totalement justifié. L’année 2013 aura bien été celle de tous les succès et de toutes les polémiques pour l’ex-officier du KGB devenu président.

Sur le plan international, tout d’abord, où il a assumé avec l’Iran, le rôle de soutien indéfectible du régime de Bachar Al-Assad, lui fournissant des armes et jouant un rôle diplomatique cynique au sein du conseil de sécurité des Nations unies, au mépris des centaines de milliers de victimes civiles de ce conflit interminable. Une position qui lui a permis au passage de signer avec le régime d’Al-Assad un contrat juteux de prospection pétrolière et gazière dans les eaux territoriales syriennes, en décembre 2013.

En Ukraine, ensuite, où, face à une Europe naïve, peu généreuse, et relativement condescendante, il n’a pas eu de mal à convaincre le président Viktor Ianoukovitch de maintenir le pays dans le giron russophone. Les accords EU-Ukraine ont été balayés d’un revers de main. Et face aux mécontentements des pro-européens, M. Ianoukovitch, soutenu par son voisin russe, a provoqué une crise qui a transformé le centre de Kiev en un véritable champ de bataille.

MISE AU PAS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

Sur le plan intérieur, la mise au pas des principales organisations de la société civile, à l’image du centre Mémorial contre la discrimination - obligé de s’auto-dissoudre pour ne pas s’enregistrer en tant qu’« agent étranger » auprès du ministère de la justice -, n’est d’ailleurs pas sans rappeler ces temps sombres, où les dissidents combattaient un monstre froid et implacable, qui ne leur laissait aucune marge de manœuvre. Un monstre froid et implacable, dont Vladimir Poutine était d’ailleurs déjà l’un des membres les plus zélés. Il en a gardé les méthodes, et poursuit sa logique, fidèle à la doctrine qu’il a lui-même élaboré depuis des années, « la dictature de la loi ». Journalistes, militants associatifs, artistes, intellectuels, simples manifestants : tous ceux qui sont considérés comme une quelconque forme de menace, sont surveillés, harcelés judiciairement, détenus, ou physiquement agressés. Nous pouvons sans nul doute affirmer aujourd’hui que nous vivons en Russie la vague de répression la plus intense depuis la fin de la guerre froide.

Parmi les mesures les plus liberticides adoptées ces derniers temps, le renforcement de l’arsenal antiterroriste et anti-extremiste. Il s’inscrit dans un cadre plus large, l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), qui inclue la Chine et quatre pays d’Asie centrale. Ces dispositions assurent donc, dans un espace géographique très vaste une impunité totale aux forces chargées de les appliquer. Des mesures qui sont d’ailleurs aussi dangereuses qu’inefficaces, au vu des derniers attentats de Volgograd en décembre 2013. Ces événements viennent en effet nous rappeler s’il était besoin que, contrairement à ce qu’affirme la propagande officielle, la région du Caucase, où se trouve précisément la ville de Sotchi, n’est en rien « pacifiée » aujourd’hui.

Il semble que plus rien ne fasse peur au président Vladimir Poutine, et gageons qu’il saura retourner à son avantage cette menace terroriste, qui lui sert à justifier sa politique répressive. C’est d’ailleurs un exercice dans lequel il excelle. Les récentes libérations de Mikhaïl Khodorkovski, des Pussy Riots et des activistes de Greenpeace l’ont une nouvelle fois prouvé. Car il ne faut pas y voir une quelconque considération des critiques émises par la communauté internationale. Ou un quelconque recul de sa politique. Les Pussy Riots et Khodorkovski n’avaient plus que quelques mois à purger après des années passées en prison. M. Poutine leur a accordé une faveur. Et il a fait état au monde de l’étendue de son pouvoir...

Sous la blancheur immaculée des neiges de Sotchi, derrière les valeurs universelles de l’olympisme, se cache donc la noirceur d’un régime qui ne partage en rien ces notions de tolérance et de liberté. Tout comme la Chine lors des Jeux olympiques (JO) de Pékin, le but poursuivi par ces jeux dispendieux demeure d’abord et avant tout le moyen pour un dirigeant autocrate de renforcer sa position au sein de la communauté internationale.

Vladimir Poutine célébrera probablement la cérémonie d’ouverture des jeux sans ses homologues européens. Ce n’est pas une surprise. Nicolas Sarkozy, par exemple, ne s’était pas rendu à Vancouver en 2010. La tradition n’a jamais obligé les chefs d’État à se rendre aux JO d’Hiver. Mais dans le cas de Sotchi, il semble que l’absence de certains responsables européens revêt une dimension politique. Une certitude : elle n’a pas été clairement exprimée. Tout a été dit timidement, à demi-mots. A l’image de la position de l’UE vis-à-vis de la Russie ! Espérons qu’à l’avenir, l’UE, au nom des milliers de victimes en Syrie et d’une société civile russe asphyxiée, fasse table rase de cette timidité. Cela a trop duré...

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