La lèse-majesté en ligne, bête noire de la junte en Thaïlande

Delphine THOUVENOT
<p>Photo fournie par le bureau du roi, montrant le roi de Thaïlande Bhumibol Adulyadej lors de l'anniversaire de son couronnement, le 5 mai 2014 à Hua Hin</p>

L'armée arrivée au pouvoir par un coup d'Etat en Thaïlande se voit comme la protectrice de la royauté. Et la traque sur l'internet de toute lèse-majesté bat son plein, avec des "cyberpatrouilles".

Dans l'entrée de la Division de répression des crimes technologiques trône une monumentale chouette à képi, mascotte de cette "Cyberpatrol". Face à elle, un portrait du roi Bhumibol Adulyadej, dans un cadre doré, élément incontournable de toute administration du royaume.

L'équipe de 15 fonctionnaires qui y surveille les internautes a été renforcée par une vingtaine de policiers depuis l'instauration de la junte le 22 mai.

"Depuis le coup d'Etat, on nous a demandé d'intensifier notre surveillance et de nous focaliser sur les menaces à la sécurité nationale", explique le responsable de la Division, le général Phisit Pao-in, recevant l'AFP dans son bureau encombré de dossiers.

"La lèse-majesté est notre priorité", dit-il. "La monarchie est au-dessus des conflits", insiste Winthai Suvaree, porte-parole de la junte, pour justifier la stricte application de la législation.

La toile est en effet le seul espace public où est abordée la succession du monarque de 86 ans, pourtant au coeur de la crise actuelle selon les analystes.

Les médias locaux ne parlent jamais de cette question taboue, la loi de lèse-majesté thaïlandaise étant parmi les plus répressives au monde. En 2012, un vieil homme condamné à 20 ans pour quatre SMS jugés insultants envers la monarchie était ainsi mort en prison.

Depuis le coup d'Etat, la "cyberpatrouille" a fait bloquer l'accès depuis la Thaïlande à plus de 200 pages internet relevant de la "menace à la sécurité nationale" ou de la "lèse-majesté".

Pour l'heure, elle "discute" avec les cyber-dissidents afin de "faire changer leur attitude", explique le général Phisit, ravi de la facilité, sous régime militaire, à convoquer les individus.

Il a ainsi fait venir des intellectuels critiques de l'article 112 ou de la Loi informatique, souvent invoquée dans les affaires de lèse-majesté.

Après avoir pu faire assez ouvertement campagne il y a quelques années, ces intellectuels font profil bas depuis le coup d'Etat, comme les centaines de personnalités convoquées.

Selon les analystes, les élites royalistes veulent cette fois se débarrasser définitivement de la menace que constitue Thaksin Shinawatra, Premier ministre renversé par un coup d'Etat en 2006, dont les proches étaient revenus au pouvoir dès les élections de 2007.

Ils rappellent que par le passé, la loi a déjà été utilisée de façon politisée contre des partisans des Chemises rouges pro-Thaksin, vus comme de dangereux républicains par les ultra-royalistes.

- "Fortes têtes" -

Après le coup d'Etat du 22 mai, les dossiers ouverts pourraient déboucher sur des mises en examen pour les "fortes têtes", met en garde le général Phisit.

Deux hommes ont été incarcérés cette semaine pour "lèse-majesté", dont un responsable d'une radio rouge diffusée sur l'internet depuis l'étranger selon les médias thaïlandais.

Depuis cinq ans qu'elle existe, l'équipe du général Phisit a déjà mis sous les verrous de nombreux critiques de la royauté, comme Somyot Prueksakasemsuk, journaliste proche des Chemises rouges, condamné à 11 ans de prison pour lèse-majesté en janvier 2013.

Est ajourd'hui dans le viseur sa femme, Sukanya Prueksakasemsuk, très engagée dans la défense des droits des condamnés pour lèse-majesté.

Avec son fils, elle a été interrogée par les militaires après le coup d'Etat. Leurs ordinateurs ont été saisis, selon la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).

Celle-ci s'inquiète du fait que désormais, le crime de lèse-majesté relève de la justice militaire, sans possibilité d'appel.

"Cela semble refléter la conviction parmi les tenants de la ligne dure derrière le coup d'Etat que les Thaïlandais perçus comme des ennemis de la royauté doivent être écrasés", estime l'analyste Michael Montesano, de l'Institut des études d'Asie du sud-est de Singapour.

Parmi ces tenants de la ligne dure figure le chef de la junte, le général Prayut Chan-O-Cha.

D'autres représentants des élites royalistes expriment de plus en plus ouvertement leur volonté d'"exterminer" les coupables de lèse-majesté.

Parmi eux, "l'Organisation de collecte des ordures", association ultra-royaliste dirigée par le directeur d'un grand hôpital de Bangkok.

Il fait partie d'un réseau de "partenaires" civils qui seconde la "cyber-patrouille" et lui rapporte des commentaires antiroyalistes sur l'internet, se félicite le général Phisit.

Entre autres sites inaccessibles depuis la Thaïlande, figure celui du DailyMail britannique, qui a diffusé une vidéo concernant le prince héritier.

"Le contenu de ce site est inapproprié", dit la page qui apparaît à la place, postée par le ministère de l'Information, maison-mère de la "cyber-patrouille".

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