Résolution sur les violations graves et systématiques des droits humains en Iran, adoptée par le Congrès de la FIDH réuni à Erevan

11/04/2010
Communiqué
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Résolution sur les violations graves et systématiques des droits humains en Iran

Présentée par la Ligue pour la défense des droits de l’Homme en Iran

Considérant que le parquet de Téhéran a annoncé à la mi-mars 2010, que les peines prononcées contre les 86 personnes jugées depuis l’élection de juin ont été finalisées. Le 15 mars, le parquet de Téhéran a annoncé que six manifestants post-élections ont été condamnés à mort sous l’accusation de « lutte contre Dieu ». Ces condamnations récentes illustrent le degré extrême de la répression en cours contre le peuple d’Iran.

Considérant que la situation des droits de l’Homme en République islamique d’Iran s’est considérablement détériorée en 2009. Alors que les violations des droits de l’Homme étaient déjà flagrantes, un virage s’est opéré immédiatement après les élections présidentielles du 12 juin 2009, lorsque le président sortant Ahmadinejad a été déclaré vainqueur. À partir du 13 juin, des millions de personnes sont descendues dans les rues pour contester le résultat et réclamer le respect de leur vote.

Considérant que durant les semaines et les mois qui ont suivi les élections de juin, les autorités ont réagi très durement et brutalement contre les manifestants pacifiques et ont violemment réprimé toute dissidence. Un comité formé par deux des candidats à la présidence, MM Mir Hossein Mussavi et Mehdi Karroubi, respectivement ancien Premier ministre et président du parlement, a annoncé en septembre qu’au moins 72 manifestants pacifiques avaient été tués par les forces armées et de sécurité et miliciens Bassidj en civil, soit en pleine rue, ou sous la torture et les mauvais traitements lors de gardes à vue dans les centres de détention tristement célèbre. Ce nombre a depuis augmenté à plus d’une centaine. Le comité a également documenté et signalé des cas de détenus, hommes et femmes, qui ont été violés en détention. Alors que plusieurs milliers de manifestants ont été arrêtés lors de la répression post-électorale dans la capitale, Téhéran, ainsi que dans d’autres villes, des centaines de militants et responsables politiques ont été arbitrairement détenus, souvent sans mandat d’arrêt, et détenus à l’isolement pendant des mois sans inculpation ni accès à une procédure régulière, et sans avoir accès à leur avocat ou à leurs familles. Certains d’entre eux, y compris d’anciens ministres et parlementaires, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement de longue durée.

Considérant que l’absence de procédure régulière et en particulier du droit à un procès équitable tel que requis par les normes internationales de protection des droits de l’Homme en la matière a été clairement illustrée lors des « Procès » spectacle de masse qui ont débuté en août 2009 contre les détenus post-élections. Lors d’une seule séance, environ 100 détenus ont été jugés. Il semblerait que beaucoup d’entre eux aient fait des aveux sous la contrainte et aient été vus à la télévision s’auto-accuser au cours des procès.

Considérant que de sources concordantes, plus de 60 journalistes et écrivains seraient en prison. Un journaliste, Alireza Eftekhari, est mort des suites des coups portés à son crâne. Des dizaines de journalistes et écrivains ont fui l’Iran depuis l’élection pour se rendre dans le Kurdistan irakien, la Turquie, en Europe et dans d’autres pays ; d’autres ont été arbitrairement arrêtés, maltraités et détenus pendant des mois sans être inculpés ni jugés. C’est le cas de Saharkhiz Issa, Badrossadate Mofidi, Ghiassvand Mohammadkhani Sousan, Khalil Darmanaki, Behavar Emad. Plusieurs ont même été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement : Seyed Massoud Lavassani (8,5 ans), Ahmad Zaydabadi (6 ans d’emprisonnement et 5 ans en exil intérieur), Saeed Laylaz (5 ans), Bahman Ahmadi Amou’i (6 ans), Kayvan Samimi Behbahani (6 ans), Massoud Bastani (6 ans), Reza Rafi’ee-Foroushani (7 ans), Omid Montazeri (6 ans), Hengameh Shahidi (6 ans), Javad Mahzadeh (4 ans), Reza Nourbakhsh ( 3 ans).

Considérant que des défenseurs des droits humains ont également été arrêtés et détenus arbitrairement. Parmi les défenseurs des droits de l’Homme persécutés se trouvent le défenseur primé Emadeddin Baghi, Kaveh Ghassemi Kermanshahi, Ali Malihi, Kouhyar Goudarzi, ainsi que Shiva Nazar-Ahari, qui a été emprisonné à deux reprises depuis l’élection et est toujours à l’isolement. Les autorités l’ont accusé, ainsi que d’autres de ses collègues, d’être lié aux groupes d’opposition à l’étranger. L’organisation membre de la FIDH, le Centre des défenseurs des droits de l’Homme (CDHH), établi par la lauréate du prix Nobel de la paix 2003, Shirin Ebadi, et ses collègues, a fait face à de fortes mesures répressives. Les bureaux du CDDH, qui ont été mis sous scellés à la fin 2008 à la veille d’une cérémonie marquant le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), restent fermés. Ses membres ont souvent été harcelés et détenus. Deux de ses membres fondateurs, MM Abdolfattah Soltani et Mohammad Ali Dadkhah, ont été arrêtés à la suite de l’élection et tous deux ont passé plus de deux mois en prison. En octobre 2009, l’autorisation de voyager a été refusée à M. Soltani alors qu’il devait recevoir un prix des droits humains à Nuremberg, en Allemagne.

Considérant que le cinéaste primé Jafar Panahi a également été arbitrairement arrêté au début de mars 2010.

Considérant qu’une défenseur des droits des femmes, Alieh Eghdam-Doust, subit une peine d’emprisonnement de trois ans du fait de ses activités liées à la Campagne pour l’Egalité qui lutte contre les discriminations législatives fondées sur le genre. Pas moins de 50 membres de la Campagne ont été détenus à différents moments et certains d’entre eux, y compris Mahboubeh Karami, ainsi que d’autres femmes d’un groupe connu sous le nom "Mères en deuil" sont actuellement en prison. Un certain nombre de militants des droits des femmes ont actuellement trouvé refuge à l’étranger.

Considérant qu’en outre les discriminations déjà existantes telles que le refus aux femmes du droit de divorcer ou de garder leurs enfants après le divorce, depuis eptembre 2009, les étudiantes ont été obligées d’étudier dans les universités de leur ville ou village, ce qui restreint leur liberté d’accès à l’enseignement supérieur. D’autre part, le projet de loi sur la protection de la famille, qui est actuellement à l’étape du comité au Parlement, vise à permettre aux hommes de prendre une seconde épouse sans la permission de leur première femme.

Considérant que les travailleurs ont toujours été privés du droit de former des syndicats libres et les militants syndicaux ont subi des mauvais traitements. L’exemple notable est celui d’Osalou Mansour, leader du Syndicat des Travailleurs unis de la compagnie de bus de Téhéran et de sa banlieue, qui a été arrêté à plusieurs reprises et détenu quelques mois à chaque fois et qui a finalement été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Il purge sa peine parmi les plus grands criminels de la prison commune Rajaieshahr, bien en dehors de la ville de Karaj. Ebrahim Madadi, son adjoint, purge une peine d’emprisonnement de deux ans.

Considérant que des groupes et militants étudiants indépendants ont aussi subi de graves persécutions et répression, en particulier depuis l’élection de juin. Certaines résidences universitaires ont été sauvagement attaquées et pillées à Téhéran, Ispahan et Chiraz, immédiatement après l’élection. Des rapports ont indiqué que 5 étudiants ont été tués, dont deux à Ispahan et deux à Chiraz. Beaucoup d’étudiants ont depuis été empêchés de poursuivre leurs études et plusieurs étudiants ont été condamnés à de lourdes peines. Une leader étudiante, Bahareh Hedayat, est en détention depuis la fin du mois de décembre 2009 sans inculpation. Majid Tavakkoli, un leader étudiant, qui avait été arrêté plusieurs fois au cours des dernières années, a été condamné à 8,5 ans de prison en janvier 2010. Un autre jeune étudiant, Mohammad Amin Valian, aurait été condamné à mort au début du mois de mars 2010 pour avoir pris part à des manifestations de rue.

Considérant qu’au cours des deux dernières années, environ 20 journaux et magazines ont été interdits. L’édition de livres est soumise à un processus rigoureux de censure. Certains livres sont en attente de permission durant plusieurs années avant de recevoir un refus. Pour d’autres, c’est le droit de leur réédition qui est refusé en dépit de leur précédente publication. Pour d’autres encore, notamment des romans, l’octroi de licence est conditionné à des coupes de sections ou de paragraphes entiers qui rendent souvent incompréhensibles les histoires.

Considérant que les écrivains et les journalistes se voient refuser le droit de se syndiquer. L’Association des écrivains iraniens, dont l’enregistrement a été refusé par les autorités, a été empêchée de tenir son assemblée générale au cours des sept dernières années. L’Association des journalistes, instance légalement enregistrée, a été interdite l’année dernière.

Considérant que le nombre d’exécutions a considérablement augmenté au cours des dernières années, passant de 94 exécutions enregistrées officieusement en 2005 à 388 en 2009 ; les chiffres réels sont probablement plus élevés. En conséquence, l’Iran est classé au deuxième rang mondial, juste après la Chine, en ce qui concerne le nombre absolu d’exécutions et au premier rang si on prend en compte le ratio entre le nombre d’exécutions et le nombre d’habitants. Par ailleurs, la République Islamique d’Iran (RII) est au premier rang mondial concernant l’exécution de mineurs : 12 mineurs ont été exécutés en 2007, huit en 2008 et au moins cinq en 2009.

Considérant que le nombre de condamnés à mort est estimé à des milliers, principalement pour trafic de drogue et assassinat. Une délégation parlementaire afghane qui a visité la République islamique d’Iran au début de février 2010 a indiqué que, selon les informations données par les autorités judiciaires iraniennes, sur plus de 5600 citoyens afghans dans les prisons iraniennes, environ 3000 se trouvent dans le couloir de la mort principalement pour trafic de drogue.

Considérant qu’en l’espace de moins de deux mois après l’élection, pas moins de 115 exécutions ont été signalées. Plus tard, en janvier 2010, deux prisonniers politiques ont été les premiers à être exécutés sur des accusations liées aux troubles post-électoraux. Ils ont été accusés en des termes vagues de « lutte contre Dieu », très fréquemment formulés à l’encontre des prisonniers politiques.

Considérant que les membres des minorités ethniques et religieuses ainsi que les prisonniers politiques sont fréquemment victimes de la peine de mort. Les membres des minorités Baluch, Kurdes et des groupes ethniques arabes du Sud-iranien ont souvent été victimes de procès et exécutions sommaires, parfois pendus en public deux ou trois jours après avoir été arrêtés, ce qui illustre de manière flagrante les violations des procédures régulières et du droit à un procès équitable par les autorités judiciaires iraniennes.

Considérant que les membres des minorités religieuses non reconnues par la Constitution sont fréquemment persécutés et font l’objet de poursuites et d’accusation d’hérésie et d’apostasie, passibles de la peine de mort. En particulier, les adeptes de la foi baha’ie, ainsi que les adeptes de Ahl-e-Haq, une secte soufie, et les membres du groupe Ale-ya-Sin ont fait l’objet de nombreuses arrestations et procès ces dernières années.

Reconnaissant l’élan porté par le mouvement de millions d’Iraniens, le Congrès de la FIDH :

Exprime son ferme soutien à toutes les personnes qui revendiquent leur droit de vote, les réformes démocratiques et leurs droits fondamentaux comme la liberté d’expression, la liberté de la presse, de réunion et d’association ;

Exhorte le gouvernement de la République islamique d’Iran à :

 Respecter ses obligations en vertu des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, en particulier les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention relative aux droits de l’enfant ratifiés par la République islamique d’Iran ;
 Respecter son engagement de garantir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes pris à l’occasion de l’examen de l’Iran par le Conseil des droits de l’homme dans le cadre de l’Examen périodique universel ;
 Libérer tous les prisonniers d’opinion, emprisonnés pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association ;
 Garantir aux détenus l’application d’une procédure judiciaire régulière, l’accès aux soins médicaux appropriés, l’accès à leurs avocats et à leurs familles et leur droit à un procès équitable ;
 Mettre un terme immédiat à l’exécution de mineurs ;
 Cesser d’appliquer la peine de mort pour des motifs politiques, ainsi que la condamnation à la lapidation pour adultère et restreindre les crimes passibles de la peine de mort aux « crimes les plus graves », comme une première étape vers l’abolition de la peine de mort.

Appelle l’Organisation des Nations Unies, l’Union européenne et les gouvernements nationaux à :

 Soutenir les défenseurs des droits de l’Homme, en particulier ceux qui demeurent en Iran, comme une haute priorité ;
 Demander au gouvernement iranien de libérer tous les prisonniers d’opinion détenus pour avoir exercé pacifiquement leurs droits fondamentaux, ainsi que tous les prisonniers et détenus emprisonnés sur des accusations vagues comme « propagande contre le système », « activité contre la sécurité nationale », « outrage au leader » et autres accusations similaires qui se rapportent à l’exercice de leur liberté d’expression ;
 Demander au gouvernement iranien de répondre positivement et rapidement aux demandes émises par les procédures spéciales des Nations Unies tels que le Rapporteur spécial sur la torture et le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, d’effectuer des visites de terrain en Iran ;
 Reconsidérer les relations politiques existantes avec le gouvernement de la République islamique d’Iran qui a constamment refusé de respecter les droits de l’homme et la vie de ses citoyens.
 Prendre des mesures efficaces pour prévenir et sanctionner le comportement des entreprises qui pourraient se rendre complice de violations des droits de l’Homme perpétrées en République islamique d’Iran. En particulier, les exportations d’équipement d’écoute et autres équipements utilisés pour contrôler l’accès des populations à Internet et autres médias ainsi que les articles utilisés pour la répression brutale des manifestants doivent être interdits.

Appelle les ONG de tous les pays à :

 Former un large front uni et parler d’une seule voix cohérente pour dire « non » aux violations flagrantes des droits de l’Homme commises par le gouvernement iranien ;
 Surveiller de près leurs gouvernements, y compris leurs relations politiques et économiques avec le gouvernement iranien, afin de les empêcher d’ignorer les violations des droits de l’Homme en échange d’une intensification des relations commerciales et économiques ;
 Soutenir la croissante société civile iranienne et les défenseurs des droits de l’Homme, en établissant le contact avec et en élargissant le soutien aux groupes existants, et en menant un plaidoyer auprès des gouvernements pour accueillir les dissidents iraniens.

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