La Birmanie n’est pas prête pour des investissements respectueux des droits de l’Homme

Suite à la mission menée en Birmanie par la FIDH et son organisation membre Altsean-Burma, en février 2013, ces organisations concluent que l’actuel cadre normatif, politique et économique en Birmanie ne rend pas possible un investissement étranger respectueux des normes et des standards internationaux les plus fondamentaux. Malgré les reformes récentes, la FIDH et Altsean-Burma considèrent que la Birmanie continue à manquer du cadre normatif et institutionnel requis pour des investissements responsables et la garantie d’une réalisation effective des droits des individus et des communautés affectées par les activités des entreprises en Birmanie.

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FIDH - Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme

DECLARATION DE FIN DE MISSION

La Birmanie/ le Myanmar n’est pas prêt pour des investissements respectueux des droits de l’Homme

28 février 2013 – Le cadre normatif, politique et économique actuel en Birmanie/au Myanmar ne permet pas un investissement étranger respectueux des normes et standards internationaux. C’est la conclusion d’une mission informelle en Birmanie/au Myanmar, menée par la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et son organisation membre Altsean-Burma. En février 2013, l’équipe FIDH Altsean-Burma a rencontré différentes parties prenantes à travers tout le pays, y compris des communautés affectées, des défenseurs des droits de l’Homme, des avocats et des militants. La mission a également conduit un atelier de formation pendant 2 jours, conjointement avec Altsean-Burma et Burma Partnership for civil society groups on business and human rights.

Sur la base des entretiens, des réunions et d’autres interactions, et considérant les réformes actuelles et le renouvellement de l’engagement de la part de la communauté internationale, la FIDH et Altsean-Burma croient que la Birmanie/le Myanmar continue à manquer du cadre normatif et institutionnel nécessaire permettant un investissement responsable. Dans le contexte actuel, les entreprises font face à des difficultés pour s’acquitter de toutes leurs responsabilités à l’égard de la diligence raisonnable (due diligence), initiale et continue, en conformité avec les standards internationaux, y compris l’assurance qu’elles ne contribuent pas, directe ou indirectement, à la violation des droits de l’Homme, et que toute violation connectée à leurs activités soit prise en compte et solutionnée de façon adéquate. Actuellement, dans la plupart des cas, l’engagement des entreprises aggrave les violations des droits de l’Homme qui ont lieu au quotidien dans le pays.

Le pays reste en proie à l’impunité et à la corruption généralisées, qui empêchent l’application effective des droits des individus et des communautés affectées par des activités des entreprises en Birmanie/au Myanmar. En outre, les violations de droits de l’Homme liées à la terre, au travail, à l’accès à la justice ainsi qu’à la liberté d’expression et d’association continuent à être fréquentes. Ces derniers temps, de telles violations ont régulièrement été associées à des activités des entreprises. Bien que le gouvernement Birman ait réalisé des réformes partielles dans ce domaine, ces dernières restent superficielles et ne sont souvent pas en conformité avec les normes internationales. De plus, la mise en œuvre des reformes reste limitée et inconsistante à travers le pays.

Par exemple, les organisations de la société civile continuent, à travers la Birmanie/le Myanmar, à rapporter que des fermiers et des communautés entières sont expulsés de leurs terres afin de permettre la mise en œuvre de projets d’infrastructure et les activités des entreprises. Au moins 20.000 personnes ont été déplacées de manière forcée en lien avec le développement de la Zone Économique Spéciale de Dawei par l’entreprise thaïlandaise Italian-Thai Development (ITD) [1].

De nouvelles lois (la Loi sur les Terres Agricoles, la Loi sur la Gestion des Terres Vacantes, en Jachère ou Vierges) ont légalisé la confiscation de terres par le gouvernement, pour tout projet considéré d’ « intérêt national », permettant au gouvernement d’utiliser tout terrain désigné comme « vacant ». L’application de ces lois est en contradiction manifeste avec les normes internationales relatives au droit à un logement décent et aux évictions forcées [2]. Les entrepreneurs ayant des relations étroites avec le autorités profitent déjà d’une telle situation, en faisant inscrire des terrains en leur nom. Les organisations de la société civile ont, de source confirmée, déposé de nombreuses plaintes devant une commission parlementaire mise en place le 26 juillet 2012 pour enquêter à propos des confiscations de terres. Toutefois, la commission n’a pu traiter ces cas de manière efficace, ni faire avancer les réformes de manière à en prévenir d’autres. Tandis que les investisseurs étrangers peuvent, de bonne foi, louer des terres pour développer leurs activités, il leur sera difficile de s’assurer que ces terres n’ont pas été confisquées de manière illégale à des familles qui n’ont aucun moyen de recours.

Bien que les autorités du Myanmar aient signé un accord avec l’OIT pour mettre un terme au travail forcé d’ici 2015, de nouveaux cas continuent d’être signalés, particulièrement dans des régions à majorité ethnique. Cette pratique reste utilisée par les autorités, y compris l’armée, dans le cadre de projets d’infrastructure. De nombreux secteurs, notamment ceux de l’électronique et du textile, sont marqués par de mauvaises conditions de travail dont des heures des travail excessives, des salaires trop bas, des conditions sanitaires et de sécurité médiocres, le travail des enfants et des sanctions arbitraires à l’encontre des travailleurs. Le droit national du travail n’est pas suffisamment ni correctement appliqué.

En octobre 2011, la Loi sur l’Organisation du Travail a été promulguée pour permettre la formation de syndicats. Cela représente un énorme pas en avant. Toutefois, la Birmanie/le Myanmar n’a pas encore ratifié la plupart des Conventions Fondamentales de l’OIT. En outre, malgré la Loi sur l’Organisation du Travail, les syndicalistes continuent à être menacés par les autorités et leur liberté d’association continue de se voir très limitée. Des efforts supplémentaires et plus de temps sont nécessaires pour mieux organiser les travailleurs et rendre effective leur représentation sur le lieu de travail. Dans ce contexte, les entreprises internationales qui effectuent un audit social de leurs chaînes d’approvisionnement, y compris de leurs usines placées en Birmanie/au Myanmar, pourraient difficilement vérifier si les droits des travailleurs ont été en effet respectés, à moins que les travailleurs n’aient été capables de s’organiser et que la transparence de la chaîne d’approvisionnement soit garantie.

En règle générale, en Birmanie/au Myanmar, les recours pour ceux dont les droits ont été violés se révèlent inefficaces. L’impunité pour les violations des droits de l’Homme prévaut à travers l’article 445 de la Constitution du 2008, qui accorde au personnel militaire et aux représentants du gouvernement l’immunité à l’encontre de toute poursuite. Lorsque les représentants de la société civile se sont servi de la presse et/ou des voies judiciaires pour dénoncer les abus commis par les entreprises locales, il est arrivé que ces défenseurs des droits de l’Homme aient été accusés de diffamation et menacés avec violence. Les paysans sont aussi des plus en plus persécutés ou poursuivis en justice pour avoir réclamé la terre qui leur a été confisquée. Dans ce contexte, l’accès à un recours effectif à propos de violations de droits de l’Homme commises par des entreprises, un des piliers des Principes Directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’Homme (les Principes Directeurs des Nations unies), continue de constituer un énorme défi.

Les autorités du Myanmar continuent d’imposer des restrictions au droit de réunion pacifique. L’intolérance du gouvernement a été dévoilée au monde entier en novembre 2012, à l’occasion des manifestations pacifiques dans la mine de cuivre de Letpadaung, dans la région de Sagaing, que les autorités ont réprimées à jets de grenades au phosphore blanc. De nombreux moines et des civils ont été blessés à cette occasion. L’article 18 de la loi sur la réunion et les manifestations pacifiques de 2011 est fréquemment utilisé contre les individus protestant de manière pacifique contre des violations des droits de l’Homme [3]. La section 401 du Code de Procédure Criminelle place les prisonniers politiques récemment libérés sous la menace d’une nouvelle arrestation, et celle de devoir servir la peine à laquelle ils avaient initialement été condamnés, s’ils violent les lois en vigueur. Une telle disposition les dissuade de continuer leurs protestations.

Jusqu’à ce jour, le processus de réformes lancé par la gouvernement n’a pas, en dépit de son écho, eu d’effets positifs sur la vie quotidienne des gens du Birmanie/Myanmar. Ces derniers restent sujets à des pratiques arbitraires de la part des autorités. La FIDH et Altsean-Burma ont reçu de nombreux témoignages des pratiques continues et systématiques d’extorsion et de taxation illégale des communautés par l’armée, notamment dans les régions à majorité ethnique et d’autres endroits où la présence militaire est forte. Le manque de transparence ainsi que l’absence de consultation des communautés affectées continue à être la norme dans le cadre des projets d’infrastructure menés par les autorités. Dans un tel environnement - où les populations, étouffées par l’arbitraire et l’oppression, restent apeurées, il sera difficile pour tout investisseur étranger de consulter les communautés affectées de manière adéquate, comme requis par les Principes Directeurs des Nations Unies.

Enfin, l’économie en Birmanie/au Myanmar reste en grande partie dominée par les entreprises de l’État et les groupes privés appartenant à des « cronies », ces proches de fonctionnaires haut placés au sein de l’exécutif. C’est le cas de l’entreprise publique Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), seul exploitant et producteur de pétrole et de gaz en Birmanie/au Myanmar, et du conglomérat contrôlé par l’armée, Union of Myanmar Economic Holdings (UMEH), tous deux associés à de multiples violations des droits de l’Homme. Ces entreprises d’État et les « cronies » bénéficieront probablement plus de nouveaux investissements que le commun du peuple. Si la FIDH et Altsean-Burma se félicitent de l’annonce faite par les autorités du Myanmar de leur souhait de se joindre à l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE), nous espérons que le gouvernement birman entreprendra les réformes requises pour garantir la transparence des revenus publics, premier pas vers la responsabilité des entreprises et la redistribution des richesses. Sans de telles réformes, rien ne garantit que les revenus dérivés des activités des entreprises et de l’investissement puissent bénéficier à la population à travers des politiques efficaces de réduction de la pauvreté.

La FIDH et Altsean-Burma rappellent les conclusions du Conseil de l’Union Européenne sur la Birmanie/le Myanmar du 23 avril 2012, qui ont suspendu les sanctions à l’encontre de la Birmanie/le Myanmar, tout en réitérant la nécessité pour les entreprises européennes de ne mener des activités en Birmanie/au Myanmar qu’à la condition de respecter les Principes Directeurs des Nations Unies et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. De plus, conformément aux conditions de publicité à l’égard des investissements responsables en Birmanie (Reporting Requirements on Responsible Investment in Burma) publiés aux États Unis le 11 juillet 2012, les entreprises américaines implantées en Birmanie/au Myanmar devront fournir des rapports sur leurs activités et divulguer leurs procédures concernant les droits de l’homme, leurs acquisitions foncières, les questions environnementales, notamment celles concernant les violations de droits de l’Homme. La FIDH et Altsean-Burma notent aussi que de nombreuses entreprises se sont engagées à mettre en œuvre les Principes Directeurs des Nations unies et ont mis en place un réseau local du Pacte Mondial en Birmanie/au Myanmar.

La FIDH et Altsean-Burma se félicitent de ces premiers pas mais considèrent qu’ils restent insuffisants pour répondre aux défis structurels empêchant tout investissement d’être mené dans le respect des droits de l’Homme en Birmanie/au Myanmar. Sans des changements plus profonds, les entreprises étrangères s’installant en Birmanie/au Myanmar feront face à un champs de mine, et risqueront bel et bien de mettre en danger leur réputation et leur investissements financiers. Il est de l’intérêt des entreprises qu’un cadre normatif et institutionnel adéquat soit mis en place pour la protection et le respect des droits de l’Homme, et que des mécanismes effectifs de réparation existent avant d’entreprendre tout investissement en Birmanie/au Myanmar. A la lumière de ces contraintes, la FIDH et Altsean-Burma considèrent qu’il sera très difficile pour les entreprises étrangères de respecter les droits de l’Homme et mettre en œuvre leurs obligations de diligence raisonnable à l’égard des droits de l’homme, tel que prescrit par les Principes Directeurs des Nations Unies.

Ainsi, la FIDH et Altsean-Burma exigent que la communauté internationale accentue ses efforts afin que le gouvernement du Myanmar mette en œuvre, de manière effective, des réformes permettant de protéger chacun de ses citoyens de toute sorte de violations et leur donnant accès à des mécanismes de réparation. Le pilier de telles réformes doit être la lutte contre l’impunité qui continue de représenter le principal obstacle au respect des droits de l’Homme par les entreprises en Birmanie/au Myanmar.

La communauté internationale ne doit pas relâcher sa pression sur les autorités au Myanmar. Pour cela, elle doit :

  • Insister davantage pour une réforme du cadre normatif (y compris la Constitution de 2008) dans le but de le rendre conforme avec le droit international des droits de l’Homme ; encourager le Gouvernement de Myanmar à ratifier les principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme, en particulier le PIDESC, le PIDCP et les Conventions de l’OIT n°98, 100, 105, 111, 138 et 182 ;
  • S’assurer que les réformes nécessaires soient entreprises pour réduire la corruption, y compris des mesures à même de protéger les dénonciateurs de corruption ;
    Approuver la suspension des sanctions économiques pour une nouvelle période de douze mois, avant toute décision de les lever ;
  • Soutenir le renouvellement du mandat du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme en Birmanie/au Myanmar ;
  • Assurer la totale transparence des activités des entreprises étrangères en Birmanie/au Myanmar, en exigeant la divulgation des détails concernant l’investissement (y compris les contrats) et toutes les relations commerciales, y compris la liste des fournisseurs des compagnies en provenance de Birmanie/au Myanmar ;
  • Exiger que les investisseurs mènent à bien une diligence raisonnable - initiale et continue - en matière de droits de l’Homme, y compris une évaluation de l’impact de leurs opérations en Birmanie/au Myanmar sur les droits de l’Homme, et exiger des investisseurs étrangers en Birmanie/au Myanmar la publication de rapports publics sur leurs politiques en matière de droits de l’Homme, d’environnement et de risques sociaux, l’impact de leurs activités et les mesures prises pour en modérer les impacts négatifs ;
  • Exiger la divulgation de toutes les transactions financières effectuées par les compagnies pour les autorités de Myanmar ; et
  • S’assurer que les communautés touchées aient accès à des recours efficaces et, en particulier, faciliter l’accès des victimes aux tribunaux dans le pays d’origine des compagnies actives en Birmanie/au Myanmar.

La FIDH et Altsean-Burma recommandent que les entreprises multinationales insistent auprès des autorités du Myanmar sur la mise en œuvre des réformes et le développement des cadres nécessaires pour leur permettre d’investir de façon responsable et de garantir qu’elles ne causent ou ne bénéficient pas de violations des droits du peuple de Birmanie/Myanmar. Dans la réalisation de leurs investissements, les entreprises étrangères opérant en Birmanie /au Myanmar devraient, au minimum :

  • Être pleinement transparentes sur leurs projets d’investissement, y compris sur la divulgation des noms de leurs partenaires commerciaux et fournisseurs dans le pays, et entreprendre des efforts pour rendre cette information accessible aux parties prenantes au niveau local, y compris les communautés affectées ;
  • Mettre en œuvre et publier le processus et les résultats de l’évaluation de l’impact de leurs activités sur les droits de l’Homme, ainsi que ceux de leurs partenaires commerciaux en Birmanie/Myanmar, avant, pendant et après leurs opérations ;
  • Publier toute mesure prise pour prévenir, atténuer et répondre aux impacts négatifs ;
  • Collaborer pleinement avec les mécanismes de recours effectifs et légitimes pour les victimes de violations des droits de l’Homme susceptibles d’être liées à leurs opérations ; et
  • Éviter toute relation commerciale avec des individus ou des compagnies qui ont été liés à des violations des droits de l’Homme en Birmanie/au Myanmar.
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