Les bateaux en fin de vie - le coût humain de la démolition des navires

Un raport de Greenpeace et de la Fidh en cooperation avec YPSA.

« Les bateaux en fin de vie - le coût humain de la démolition des navires » est un rapport conjoint de Greenpeace et de la FIDH, qui vise à faire la lumière sur les conditions de travail et environnementales déplorables qui ont toujours cours sur les chantiers de démantèlement des navires (cimetières de bateaux). Ceci est illustré par les cas de l’Inde et du Bangladesh, les deux plus gros démolisseurs de navires.

La démolition des navires touche à la fois à la justice environnementale et aux droits de l’Homme. C’est pourquoi, pour la première fois, Greenpeace et la FIDH ont décidé d’associer leur expertise dans leurs domaines respectifs et de publier ce rapport conjoint.

Les cimetières de bateaux sont la dernière demeure des navires en fin de vie. Ces derniers y sont démantelés, principalement pour l’acier qu’ils contiennent. Le démantèlement des bateaux, souvent appelé « démolition navale », emploie des milliers de travailleurs en Asie et permet le recyclage de nombreux matériaux utilisés dans leur construction. Il s’agit néanmoins d’une activité polluante et dangereuse. Presque tous les navires condamnés à être démantelés contiennent des substances nocives tels l’amiante, des dépôts de carburant, de la peinture au plomb, d’autres métaux lourds comme le cadmium et l’arsenic, des biocides toxiques ainsi que des PCB et même des substances radioactives.

On ne mentionne presque jamais ceux qui ont perdu la vie à cause des activités de démolition navale et, lorsqu’on le fait, on se réfère à eux sous forme de « chiffres » et de « statistiques », que ce soit au sein des forums gouvernementaux ou intergouvernementaux ou dans les médias. Les chargés de mission de Greenpeace et de la FIDH se sont rendus sur les lieux de travail et de vie de ces travailleurs en Inde et au Bangladesh. Nous souhaitions en savoir plus sur les histoires réelles se cachant derrière les statistiques. Le présent rapport est le fruit de recherches de fond et de terrain. Dès le début, les incohérences entre ces « chiffres » et les récits des témoins sont clairement apparues.

Il est extrêmement difficile de rassembler des données sur ces travailleurs de la démolition navale. La plupart du temps, les autorités ne conservent tout simplement aucune trace d’eux, et si ces traces existent, elles ne reflètent pas la réalité. La Direction maritime de Gujarat, en Inde, fait état de 372 décès des suites d’accidents entre le début des activités de démolition navale en 1983 et la mi-2004. Mais lorsqu’on compare ces « chiffres » officiels concernant les morts par accident avec les déclarations des témoins, ils semblent très sous-estimés. Au Bangladesh, aucun registre n’est tenu, que ce soit par les propriétaires des chantiers de démolition ou par les autorités. Les rapports des médias locaux représentent la seule source écrite. Nous évaluons à environ 1 000 le nombre de personnes mortes à Chittagong à la suite d’accidents au cours des dernières décennies.

De plus, les chiffres officiels et les estimations ne prennent pas en compte les décès causés par les maladies : les morts « cachées ». Greenpeace et la FIDH estiment que le nombre total de décès liés à la démolition navale ces vingt dernières années pourrait s’élever à plusieurs milliers. Malgré l’attention portée à la question par la communauté internationale, il semble que la situation ne se soit pas améliorée. Il est frappant de noter que dès le deuxième jour de leur visite sur les chantiers de démolition au Bangladesh, le chercheur de Greenpeace et de la FIDH a assisté à un accident grave au cours duquel trois travailleurs sont morts et un a été grièvement blessé. Ils ont aussi découvert que deux autres travailleurs étaient décédés trois semaines auparavant. Seulement neuf jours après, ils ont appris qu’un homme avait été tué dans un nouvel accident.

Nombre d’entre eux meurent sur place ou restent handicapés à cause d’accidents comme des explosions causées par des réservoirs qui n’ont pas été vidés de leur carburant ou des accidents causés par l’absence de mesures de sécurité. D’autres encore s’éteignent à petit feu à cause de maladies liées aux vapeurs et aux matériaux toxiques auxquels ils sont exposés toute la journée. Certains types de cancer et de maladie liées à l’amiante ne se développent que 15 ou 20 ans plus tard. Les décès dus aux maladies ne sont pas enregistrés. Une chose est claire, cependant : des centaines de travailleurs sont morts et continuent de mourir à cause de la démolition navale, et laissent des centaines de veuves et d’orphelins sans ressources.

L’une des caractéristiques principales de la main d’oeuvre des chantiers de démolition des navires est que ces travailleurs migrent à Alang en Inde et à Chittagong au Bangladesh depuis les régions les plus pauvres de ces pays. Ce sont des travailleurs sans aucune qualification, qui ont très peu d’éducation et sont donc aisément exploitables. On ne leur donne ni la formation appropriée ni l’équipement nécessaire pour travailler dans un environnement aussi dangereux et nocif, et ce bien que la démolition navale soit considérée par l’Organisation internationale du travail comme l’une des professions les plus dangereuses au monde. Leurs conditions générales de vie après avoir migré vers les chantiers de démolition sont extrêmement mauvaises. Cependant ils ne peuvent pas gagner de revenus dans leurs villages d’origine. Un travailleur indien du village de Khaling résume ainsi la raison pour laquelle ils continuent de migrer : « Si je vais à Alang, une personne mourra peut-être, mais si je reste, cinq mourront ».

Le système actuel consistant à faire démanteler les bateaux sans prendre les mesures de précaution préalables ruine encore la vie de milliers de personnes en Asie. C’est sur les gouvernements des pays où se trouvent les chantiers de démolition que pèse la responsabilité première de protéger les droits des travailleurs. Néanmoins, les autres opérateurs de la chaîne ne peuvent être exonérés de leurs responsabilités, par exemple les propriétaires des bateaux, les propriétaires des cahntiers de démolition et les gouvernements des pays industrialisés.

Les producteurs échappent actuellement à leurs responsabilité, et le principe « pollueur - payeur » n’est pas appliqué. Les propriétaires de bateaux de l’hémisphère nord, les propriétaires de chantiers de démolition et les gouvernements ignorent leurs engagements internationaux relatifs aux droits de l’Homme et à l’environnement. Des personnes pauvres et vulnérables en sont les premières victimes. Greenpeace et la FIDH reconnaissent que fermer les cimetières de bateaux ou renvoyer la démolition navale vers les pays industrialisés n’est pas la solution, puisqu’elle représente une source importante de revenus pour les pays concernés et emploie de nombreux travailleurs. Une action urgente est néanmoins nécessaire pour régler la situation actuelle sur les chantiers de démolition.

Greenpeace et la FIDH appellent par conséquent les institutions de l’ONU et les gouvernements à mettre en oeuvre un régime obligatoire efficace et contraignant, fondé sur la Convention de Bâle et sur les directives de l’OIT, de l’OMI et de Bâle sur le démantèlement des navires. Un tel régime doit garantir les éléments suivants :
Les responsabilités respectives de tous les participants aux processus doivent être établies, du concepteur du bateau au démolisseur.
Les propriétaires de navires et les pays exportateurs doivent être tenus responsables de la bonne manipulation des matériaux nocifs et explosifs se trouvant à bord des bateaux en fin de vie.
Les normes internationales relatives au travail, à la sécurité, la santé et l’environnement doivent être respectées sur les chantiers de démantèlement des navires, partout dans le monde.
Un fonds financé par les propriétaires de bateaux et les gouvernements doit être créé pour soutenir l’amélioration des conditions de travail sur les chantiers de démolition des navires et offrir une compensation aux victimes et à leurs familles.

Au regard de la nécessité de démanteler de manière « propre » l’acier dans les pays en développement, et de l’exigence immédiate de sauver des vies humaines, Greenpeace et la FIDH exhortent également l’industrie navale et les pays développés à mettre en place un système de certificat de dégazage pour les bateaux en fin de vie en vue de prévenir les incendies et à procéder à un premier nettoyage des bateaux dans les pays industrialisés.

De plus, Greenpeace et la FIDH appellent les propriétaires des chantiers de démolition des navires et les gouvernements des pays où sont situés ces chantiers, éventuellement avec la coopération de l’OIT, à tenir un registre, précis et accessible au public, des travailleurs qui décèdent, tombent malades ou sont blessés dans le cadre de leur travail sur les chantiers.

Enfin, les gouvernements nationaux des pays démolisseurs navals comme l’Inde, le Bengladesh, mais aussi la Chine, le Pakistan et la Turquie, devraient s’engager à garantir la complète mise en oeuvre de leur législation nationale et de leurs obligations internationales relatives à la protection des travailleurs et de l’environnement.

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