Guantanamo : Djamel Ameziane transféré de force en Algérie

Les spécialistes des droits de l’homme expriment leur vive inquiétude concernant l’orientation adoptée par l’administration américaine

Ce communiqué de presse a été publié le 5 décembre 2013 par le Center for Consitutional Rights (CCR), la ligue membre de la FIDH aux Etats-unis

Aujourd’hui, le Département de la Défense américain a annoncé avoir transféré contre son gré Djamel Ameziane, l’un des clients du CCR, vers l’Algérie à partir de Guantanamo, et ce, en dépit de la peur bien fondée de M. Ameziane d’être persécuté dans son pays, et sans que le fondement de cette crainte n’ait pu être dûment évalué par le tribunal. Le transfert de force de M. Ameziane en Algérie constitue une violation du droit international, y compris de la Convention contre la torture.

« Nous sommes profondément déçus par le transfert de force de Djamel effectué par l’administration Obama », a déclaré Wells Dixon, avocat senior au CCR. « Les États-Unis cumulent l’une après l’autre les injustices contre lui, et il mérite d’être mieux traité par les États-Unis ».

« Nous exigeons du gouvernement algérien qu’il libère immédiatement Djamel Ameziane, présentement en détention dans un lieu secret, le traite humainement et respecte ses droits de l’homme. En outre, nous appelons la communauté internationale à exiger de la transparence de la part du gouvernement algérien et à lui demander des comptes, afin de garantir que M. Ameziane ne soit pas persécuté, que ce soit aujourd’hui ou dans le futur », a déclaré Vince Warren, le directeur général du CCR.

Les avocats du CCR ont souligné que M. Ameziane n’a pas la moindre mauvaise intention à l’égard du peuple ou du gouvernement algérien. Par contre, il craint d’être persécuté par les services de sécurité algériens compte tenu de plusieurs facteurs, y compris son appartenance à une minorité, à savoir la communauté ethnique berbère. Par ailleurs, il essaye de longue date de trouver refuge hors d’Algérie, une recherche bien documentée dans des documents publics, et craint que ceci ne soit également utilisé contre lui pour le persécuter. Tel que les récents rapports du Département d’État américain et d’organisations de défense des droits de l’homme le confirment, les services de sécurité algériens sont connus pour leurs violations des droits de l’homme.

« Étant donné que le gouvernement américain sait parfaitement que Djamel, comme des dizaines de détenus avant lui, aurait pu recommencer sa vie dans un pays alternatif sûr, il est particulièrement outrageant de constater qu’il est aujourd’hui renvoyé de force en Algérie, avec tous les risques que cela entraîne pour sa personne », a déclaré M. Dixon, qui représente M. Ameziane depuis 2006. « Comme son prédécesseur, le président Obama n’a accordé aucun crédit à la peur d’être persécuté exprimée par M. Ameziane, et affiche ainsi une indifférence méprisante vis-à-vis de ses droits de l’homme ».

M. Ameziane a fait une demande de réinstallation au Canada, où des membres de sa famille sont citoyens. Par ailleurs, il est parrainé par le diocèse anglican de Montréal. Le Luxembourg lui avait également ouvert ses portes en 2010, et un certain nombre d’autres pays avaient manifesté un intérêt similaire, y compris très récemment. Il pourrait donc vivre paisiblement et libre en Europe ou au Canada, au lieu d’être détenu, comme il l’est maintenant, dans un endroit secret en Algérie.

« À l’heure où le Congrès s’oriente vers un assouplissement des restrictions appliquées aux transferts de détenus, l’administration Obama prend la mauvaise direction », a expliqué M. Warren. « Le transfert de force de Djamel Ameziane constitue un faux pas politique et diplomatique grave qui souligne une triste réalité, à savoir que cette administration n’a pas sérieusement l’intention de fermer Guantanamo ».

Djamel Ameziane, qui détient un diplôme universitaire et parle couramment plusieurs langues, a fui l’Algérie au début des années 90 pour échapper à la guerre civile ayant dévasté la quasi-totalité de sa génération. Il a également résidé à Vienne, en Autriche, et à Montréal, au Canada, où il était un chef restaurateur connu. Cependant, le Canada lui a refusé le statut de réfugié permanent. Craignant d’être déporté en Algérie, il a fui en Afghanistan peu de temps avant le 11 septembre ; puis, suite à l’invasion américaine, il a fui au Pakistan pour éviter une guerre à laquelle il ne voulait pas participer et n’a jamais participé. Il a été capturé et vendu par des Pakistanais aux forces américaines contre de l’argent. M. Ameziane n’a jamais mis les pieds sur le territoire américain et n’a jamais commis le moindre acte hostile envers les États-Unis ou qui que ce soit. Cependant, il a été envoyé à Guantanamo en février 2002, où il a été détenu par les États-Unis pendant près de 12 ans sans la moindre accusation et sans procès, et ce en dépit des autorisations de transfert qui lui ont été accordées de manière répétée, et en dépit des aveux par l’armée américaine en 2008 selon lesquelles sa détention n’avait désormais plus aucune finalité militaire. Les États-Unis l’ont aujourd’hui renvoyé de force dans un pays qu’il a fui il y a 20 ans pour éviter la violence et l’instabilité, une fuite qui fut « aussi nécessaire qu’amèrement douloureuse », a commenté M. Dixon.

Djamel Ameziane a vigoureusement défendu ses droits en vertu de l’habeas corpus pendant huit ans, mais n’a jamais été traduit en justice, et aucune décision de justice n’a jamais été prise concernant la légalité de sa détention. Le Département de la Justice américain a convaincu à de nombreuses reprises le tribunal, en dépit des objections de ce dernier, de ne pas juger cette affaire.

De surcroît, M. Ameziane, que les États-Unis avaient déjà tenté de renvoyer en Algérie en 2008, a manifesté ses craintes au gouvernement américain à de multiples reprises. Un juge fédéral a rendu une injonction interdisant ce transfert, laquelle injonction est ultérieurement arrivée à expiration, et le droit de la circonscription judiciaire de Washington interdit désormais aux tribunaux de bloquer un transfert vers un lieu de torture ou de persécution.

« Le moment choisi pour réaliser le transfert de Djamel permet de conclure clairement que la décision de le renvoyer aujourd’hui en Algérie consiste autant à tenter de décrédibiliser le récent litige engagé dans son affaire concernant la désintégration graduelle des pouvoirs de détention américains qu’à démontrer la volonté de l’Algérie d’exécuter les ordres des États-Unis en utilisant des méthodes que les pays démocratiques ne peuvent pas employer », a conclu M. Dixon. « Martin Luther King avait déclaré de façon prophétique que « l’arche de l’univers moral est très longue, mais elle est courbée en faveur de la justice ». Nous sommes consternés de constater que ceci n’a pas été le cas concernant Djamel Ameziane ».

Pour plus de renseignements concernant M. Ameziane, veuillez consulter notre site Internet à www.ccrjustice.org/ameziane. Pour consulter le résumé du dossier habeas corpus de M. Ameziane, veuillez cliquer ici.

Le Center for Constitutional Rights constitue le fer de lance du combat juridique mené concernant Guantánamo depuis 11 ans, en représentant des clients dans deux affaires jugées par la Cour suprême des Etats-Unis, et en organisant et coordonnant des centaines d’avocats bénévoles à travers le pays afin de garantir que la quasi-totalité des hommes détenus à Guantanamo puissent bénéficier de la possibilité d’être représentés par un avocat. Parmi d’autres affaires liées à Guantanamo, le CCR représente les familles d’hommes qui sont morts à Guantanamo, ainsi que des hommes qui en ont été libérés et qui ont saisi les tribunaux internationaux pour demander justice. De plus, le CCR travaille par divers canaux diplomatiques pour déterminer où remettre en liberté les hommes qui restent détenus à Guantanamo, sachant qu’ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine par crainte de persécution et de torture.

Le Center for Constitutional Rights travail à la progression et à la protection des droits garantis par la Constitution des Etats-Unis d’Amérique et par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Fondé en 1966 par des avocats représentant divers mouvements de défense des droits civiques dans le sud des États-Unis, le CCR est une organisation légale et éducative à but non-lucratif déterminée à veiller à ce que la loi soit utilisée de manière imaginative en tant que force positive au service du changement social. Visitez www.ccrjustice.org, et suivez-nous @theCCR.

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