Contribution de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Depuis la dernière session de la Commission en novembre 2013, l’Observatoire a manifesté sa vive préoccupation concernant les multiples violations des droits et des libertés des défenseurs des droits de l’Homme sur l’ensemble du continent, et en particulier en Angola, où l’Observatoire a mené une mission d’enquête en 2013, au Burundi, au Cameroun, à Djibouti, en Égypte, au Kenya, en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda, au Soudan et au Swaziland.

COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
55ème session ordinaire
Luanda, Angola
28 avril - 12 mai 2014

Contribution de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) Dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, Sous le point 9 de l’ordre du jour : « Situation des défenseurs des droits de l’Homme »

Madame la Présidente,
Madame la Rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l’Homme,
Mesdames et Messieurs les commissaires,
Mesdames et Messieurs les délégués,

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment une nouvelle fois leurs graves préoccupations concernant la situation des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique.

Le harcèlement judiciaire sur la base d’accusations fallacieuses, accompagné d’arrestations et de détentions arbitraires, reste la technique de harcèlement la plus courante, notamment en Angola, au Cameroun, à Djibouti, en Égypte, en Gambie et au Soudan.

Dans plusieurs pays, dont Djibouti et la RDC, les défenseurs ont également fait l’objet de menaces et de campagnes de diffamation.

Les défenseurs des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) ont notamment été la cible d’acte d’intimidations au Cameroun.

Des obstacles majeurs à la liberté d’association ont également été rapportés, comme par exemple en Algérie, en Angola, au Burundi, au Kenya, en Ouganda et au Rwanda.

Les défenseurs visés sont, entre autres, des membres d’organisations non gouvernementales (ONG), des avocats, des journalistes, des blogueurs, des défenseurs des droits liés à la terre et à l’environnement, des organisations de la société civile défendant les droits à la liberté d’expression, d’association et de manifestation pacifique, dénonçant les abus commis par les Etats et les entreprises influentes, et luttant pour le respect des droits des personnes LGBTI et les libertés fondamentales en général.

I. Poursuite et intensification du harcèlement judiciaire des défenseurs des droits de l’Homme

Le harcèlement judiciaire, les arrestations et détentions arbitraires des défenseurs des droits de l’Homme demeurent des pratiques répandues dans un grand nombre de pays, et la situation est particulièrement préoccupante en Angola, en Égypte, au Cameroun, en RDC, au Soudan et au Swaziland.

En Angola, M. Rafael Marques de Morais, connu pour ses publications dénonçant la corruption et les violations des droits de l’Homme dans le secteur diamantifère, reste poursuivi, après avoir été accusé en mars 2013 sur la base de 11 chefs d’accusation pénaux pour avoir prétendument diffamé des généraux ainsi que des entrepreneurs commerciaux. L’affaire a été transmise à la Direction nationale des investigations et de l’action pénale (DNIAP). Les accusations pendantes contre M. Marques, l’impossibilité, pour ce dernier et son avocat, d’accéder à tous les documents relatifs à cette affaire, le transfert de l’affaire à la DNIAP à la demande du procureur général, constituent de graves violations au droit de M. Marques à un procès équitable et sont une illustration de la volonté des autorités d’entraver sa liberté d’expression et de nuire à ses activités de documentation et de dénonciation. Par ailleurs, le 7 février 2014, M. Queirós Anastácio Chilúvia, directeur de la radio Despertar, a été condamné à une peine de six mois de prison avec sursis pour avoir fait part de ses inquiétudes sur les conditions de détention dans une prison de Luanda.

En Égypte, les membres du groupe « Non aux procès militaires pour les civils » ont été régulièrement pris pour cible par les autorités égyptiennes, pour avoir dénoncé l’article 198 du projet de constitution qui autorise la tenue de procès civils devant les tribunaux militaires, et pour avoir critiqué de manière générale les violations des droits de l’Homme commises par les forces de sécurité et l’armée sous le pouvoir du Conseil suprême des forces armées (CSFA) et ultérieurement. Le 26 novembre 2013, au moins neuf membres du groupe « Non aux procès militaires pour les civils » ont été arrêtés alors qu’ils manifestaient près de la place Tahrir au Caire. Ils ont été battus par les forces de police, qui ont également harcelé sexuellement des hommes et des femmes. Deux jours après la manifestation, M. Alaa Abdel Fatah, membre de « Non aux procès militaires pour les civils » et célèbre militant des droits civils et politiques, a été arrêté chez lui par les forces de sécurité. Le 5 janvier 2014, M. Fatah a été condamné, tout comme Mme Mona Seif, co-fondatrice du mouvement, et M. Ahmed Abdallah, membre du Mouvement de la jeunesse du 6 avril et co-fondateur de la Commission égyptienne des droits et des libertés, à un an d’emprisonnement avec trois ans de sursis, pour « incendie », « vol », « dommage à la propriété », « violence », et « danger pour la sécurité publique ». Les condamnations se sont uniquement fondées sur des déclarations faites par de prétendus témoins oculaires, qui étaient soit des agents du gouvernement soit des personnes ayant un casier judiciaire ou faisant l’objet d’une instruction pénale en cours. Le 23 mars 2014, le 16ème département chargé des actes de terrorisme de la Cour pénale du Caire-sud a ordonné la libération provisoire de M. Alaa Abdel Fatah contre versement d’une caution de 10 000 LE (environ 1 042 €). La deuxième audience dans le procès de M. Abdel Fatah a eu lieu le 6 avril 2014, lors de laquelle ses avocats ont obtenu l’ajournement du procès dans l’attente de l’examen de l’implication du juge El-Fikki dans cette affaire.

Les autorités égyptiennes ont aussi harcelé des membres du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux (Egyptian Centre for Economic and Social Rights - ECESR). Le 18 décembre 2013, plus de 60 hommes des forces de police des commissariats d’Azbakeya et d’Abdin et du département de la sécurité intérieure, lourdement armés, ont pris d’assaut le siège du ECESR au Caire. Sans aucun mandat de perquisition ni d’arrêt, ils ont brutalement malmené et arrêté M. Moustafa Eissa, chef de l’unité documentaire du ECESR, M. Mahmoud Belal, avocat du ECESR, ainsi que M. Hosam Mohamed Nasr, M. El Sayed Mahmoud El Sayed, M. Sherif Ashour et M. Mohamed Adel, tous quatre bénévoles au ECESR. Tous travaillaient sur un documentaire à propos d’une grève du Syndicat des travailleurs du fer et du métal, en vue de sa projection lors une conférence de presse le lendemain. A l’exclusion de M. Mohamed Adel, tous ont été libérés le lendemain matin mais ils auraient été battus pendant leur détention. En outre, le 7 avril 2014, M. Mohamed Adel a été condamné en appel à trois ans d’emprisonnement pour « participation à une manifestation non autorisée », « organisation d’une manifestation le 26 novembre sans en avoir notifié le ministère de l’Intérieur », et « attaque contre des forces de sécurité chargées de sécuriser la Cour d’Abdeen le 30 novembre ». La manifestation du 26 novembre visait à protester contre les tribunaux militaires.

Les détentions arbitraires et le harcèlement judiciaire des défenseurs des droits de l’Homme sont également monnaie courante en RDC. M. Abedi Ngoy et M. Gervais Saidi, membres de l’Alliance paysanne du Maniema (ALLIPAM), ont été arrêtés respectivement les 2 et 16 décembre 2013 pour avoir défendu des paysans de Kasongo dont les habitations avaient été incendiées en 2008. Les deux défenseurs ont été détenus avec 20 autres prisonniers dans une cellule conçue pour dix personnes, sans aération, sans lit, sans accès aux sanitaires ni à des soins médicaux. Ils ont également été privés de nourriture, et devaient reverser la somme de 10 dollars à leurs gardiens pour pouvoir recevoir la nourriture envoyée par leurs familles. Si M. Ngoy a été libéré sous caution, M. Saidi reste en détention à ce jour.

Sur le territoire de Tshikapa, province du Kasaï occidental, M. Albert Fwamba Kabasele, président territorial de la Ligue nationale paysanne des droits de l’Homme (LINAPEDHO), est arbitrairement détenu depuis son arrestation le 14 février 2014, suite à la tenue d’une réunion entre le vice-gouverneur de la province du Kasaï et les acteurs de la société civile concernant l’exploitation de la carrière de diamants de Mpokolo. M. Kabasele défend les droits de la population de Kamonia et de son encourage à résister à l’exploitation de la carrière de diamants, qui constitue sa seule source de revenus.

En octobre 2013, la Cour suprême de justice de Kinshasa a enfin décidé d’accorder la liberté provisoire aux neuf membres de l’Association pour la défense des intérêts de la ville de Bandundu (ADIVB), détenus arbitrairement depuis mars 2013 pour avoir appelé la population à participer à une manifestation pacifique afin de protester contre la majoration des factures de consommation d’énergie électrique et d’eau. Toutefois, cette libération a été soumise au versement d’une caution exorbitante (500 000 francs congolais chacun, soit plus de 400 euros) ainsi qu’à la condition de ne pas quitter la ville de Bandundu sans autorisation du procureur général près la Cour d’appel.

Au Cameroun, M. Célestin Yandal, président du Collectif des jeunes de Touboro, une association de défense des droits des jeunes dans la région de l’Adamaoua, a été arrêté le 23 novembre 2013 et placé en détention provisoire. M. Yandal rentrait d’un déplacement à Douala où il s’était entretenu le 19 novembre avec des membres du Réseau de défenseurs des droits humains de l’Afrique centrale (REDHAC). M. Célestin Yandal avait dénoncé en particulier l’arrestation arbitraire de quatorze jeunes de Rey Bouda, ordonnée par le second vice-président du Sénat camerounais. Après avoir été libéré par le procureur de Tcholliré, il a été immédiatement ré-arrêté à sa sortie du tribunal. Il a ensuite comparu pour la première fois devant la Cour d’appel du Nord le 16 janvier 2014, qui a rejeté la demande de libération provisoire présentée par son avocat. Au 19 avril 2014, M. Yandal restait détenu à la prison centrale de Garoua.

Au Soudan, un certain nombre de défenseurs de militants étudiants pacifiques ont été arrêtés par le Service national de la sécurité et du renseignement (National Intelligence and Security Services - NISS) et détenus au secret. M. Gazi Alrayah Al-Sanhouri et M. Abdulmonim Adam ont ainsi été arrêtés respectivement le 12 mars 2014 et le 13 mars 2014 à Khartoum, en lien avec une manifestation organisée à l’université de Khartoum le 11 mars pour dénoncer la situation des droits de l’Homme au Darfour. Cette manifestation a été violemment réprimée par les autorités, au cours de laquelle un étudiant a été tué et sept autres ont été sérieusement blessés. Au 18 mars 2014, le lieu de détention de M. Al-Sanhouri demeurait inconnu, et M. Adam restait détenu dans les bureaux du NISS de Khartoum Bahri sans accès à un avocat ou aux membres de sa famille.

Au Swaziland, M. Thulani Rudolf Maseko, un avocat renommé spécialisé dans la défense des droits de l’Homme, membre d’Avocats pour les droits de l’Homme du Swaziland (Lawyers for Human Rights Swaziland) et du Réseau sud-africain des défenseurs des droits de l’Homme (Southern Africa Human Rights Defenders Network), ainsi que M. Bheki Makhubu, chroniqueur et rédacteur-en-chef de The Nation, considéré comme le seul journal indépendant du pays, ont été harcelés à plusieurs reprises pour avoir dénoncé les abus commis par la système judiciaire national. Les deux défenseurs des droits de l’Homme ont été initialement arrêtés les 17 et 18 mars 2014 et maintenus en détention provisoire pendant trois semaines, pour « préjudice à la magistrature » et « outrage à la cour ». Ils ont été placés en liberté provisoire le 6 avril 2014, avant d’être ré-arrêtés le 9 avril 2014. Tous deux restent détenus au centre de détention provisoire de Sidwashini, à Mbabane, dans l’attente de leur procès.

Au Zimbabwe, alors que les agents de police et de sécurité sont souvent responsables d’arrestations arbitraires, d’enlèvements, de harcèlement et d’actes intimidation contre les défenseurs des droits de l’Homme, des développement positifs ont pu être observés avec l’acquittement de M. Abel Chikomo et de Mme Beatrice Mtetwa, respectivement les 22 et 26 novembre 2013. M. Abel Chikomo est le directeur exécutif du Forum zimbabwéen des ONG de droits des l’Homme (Zimbabwe Human Rights NGO Forum), une coalition de 20 organisations zimbabwéennes des droits de l’Homme militant contre la violence organisée, la torture et l’impunité au Zimbabwe. Mme Beatrice Mtetwa est une avocate spécialisée dans la défense des droits de l’Homme et membre du conseil d’administration d’Avocats pour les droits de l’Homme du Zimbabwe (Zimbabwe Lawyers for Human Rights - ZLHR).

II. Menaces et campagnes de diffamation à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme

En de multiples occasions, les défenseurs des droits de l’Homme ont été victimes de menaces ou d’actes d’intimidation, dans le but de les réduire au silence. Ces actes ont été commis soit directement par des agents étatiques, soit par des agents non-étatiques avec la complicité implicite des autorités, encourageant ainsi la poursuite de ces actes de violence à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme.

En RDC, M. Mémé Awazi Nengo, secrétaire exécutif de l’ALLIPAM, M. Angali Salumu Yemoko, président du Réseau des associations de défense des droits humains dans le Sud Maniema (RADHOSMA), et Mme Salufa Aziza, présidente des femmes de l’ALLIPAM, ont fait l’objet de menaces en raison de leur action en justice contre le gouvernement provincial de Maniema. Ils ont également été insultés publiquement et reçu des menaces de mort pour avoir défendu des paysans sinistrés suite à l’incendie de leurs maisons dans la ville de Kasongo en 2008 (cf. ci-dessus). Le 28 novembre 2013, un groupe d’hommes armés non identifiés a attaqué la résidence de M. Awazi Nengo et, suite à cet incident, les trois défenseurs sont entrés en clandestinité.

A Djibouti, la répression et le harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme restent des pratiques répandues et généralisées, qui ont été condamnées le 22 janvier 2014 par Mme Reine Alapini Gansou, Rapporteure spéciale de la CADHP sur les défenseurs des droits de l’Homme. Me Zakaria Abdillahi, président de la Ligue djiboutienne des droits Humains (LDDH), a été arrêté le 22 janvier 2014 avant d’être finalement libéré le 26 janvier 2014. En tant qu’avocat de plusieurs défenseurs des droits de l’Homme harcelés par les autorités djiboutiennes, ce dernier avait subi des pressions et reçu des menaces de mort antérieurement à son arrestation. Le jour de sa libération, le journaliste Maydaneh Abdallah Okieh, du journal La Voix de Djibouti, a été arrêté pour avoir couvert l’événement, avant d’être relâché peu après.

III. Intimidations et violence contre les défenseurs des droits des LBGTI

Au Cameroun, les défenseurs des personnes LGBTI restent l’objet de menaces et de harcèlement judiciaire. L’Observatoire y a réalisé une mission du 7 au 16 janvier 2014, et a pu observer un environnement marqué par une insécurité généralisée et des actes d’intimidation visant les défenseurs du droit à la santé et des droits des personnes LGBTI, dans un contexte de pénalisation de l’homosexualité. À ce jour, le Cameroun se distingue comme le pays comptant le plus de personnes poursuivies, condamnées et emprisonnées pour « relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe » (article 347 bis du Code Pénal). Les autorités camerounaises ne donnent aucun signe concret de leur volonté de faire cesser ces persécutions : aucun auteur de chantages et extorsions n’a jamais été arrêté ni inquiété, et les plaintes déposées par les défenseurs sont toutes restées sans suite. L’enquête sur la mort d’Éric Ohena Lembembe, directeur exécutif de la Fondation camerounaise de lutte contre le sida (Cameroonian Foundation for AIDS - CAMFAIDS) et journaliste engagé dans la défense des droits des personnes LGBTI, reste au point mort, le seul acte de procédure engagé à ce jour étant une citation à comparaître de six proches de la victime, pour témoigner et être interrogés pour des faits de vol aggravé.

En Ouganda, la loi anti-homosexualité promulguée le 27 février 2014 prévoit des peines d’emprisonnement pour la « promotion » de l’homosexualité et contre toute personne dotée d’une autorité qui ne dénoncerait pas un acte homosexuel dans les 24 heures. Ces dispositions placent les défenseurs des droits de l’Homme, et en particulier celles et ceux dont les organisations dispensent des soins, des services sociaux et juridiques aux personnes LGBTI, dans une situation de vulnérabilité et les exposent à des poursuites pénales. Ces dispositions constituent une atteinte grave aux principes et libertés fondamentales garantis par la Charte africaine, et notamment au principe de non-discrimination, à la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion.

IV. Obstacles aux droits à la liberté d’association, d’expression, de mouvement et de réunion pacifique dans les pays africains

Depuis la dernière session de la CADHP, l’Observatoire a continué d’observer de nombreuses entraves aux libertés d’association, d’expression, de mouvement et de réunion pacifique, notamment en Algérie, en Angola, au Burundi, au Kenya, en Ouganda et au Rwanda.

En Angola, les organisations de défense des droits de l’Homme demeurent dans une situation de vulnérabilité, en raison de l’ambiguïté volontairement entretenue par les autorités sur leur statut légal ou du recours subtil à des actes d’intimidation contre leurs membres, dans le but de nuire à leurs actions. L’Association justice paix et démocratie (Associação Justiça Paz e Democracia), Mãos Livres, Omunga ou SOS-Habitat figurent parmi ces organisations. Il est également interdit de documenter les violations des droits de l’Homme commises dans la province de Cabinda, comme illustré par l’interdiction imposée à l’ONG Mpalabanda en 2006 ou par le harcèlement continu de ses membres.

Malgré son accession au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en janvier 2014, l’Algérie reste le seul pays de la région à restreindre de manière générale l’accès de son territoire aux organisations de défense des droits de l’Homme. Les autorités algériennes n’ont pas autorisé la visite du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture ni celle du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, et ont restreint l’accès à d’autres observateurs de la situation des droits de l’Homme. Les autorités algériennes refusent également depuis des années d’accorder des visas à des ONG internationales de défense des droits de l’Homme. Au niveau national, le droit des organisations de défense des droits de l’Homme algériennes à agir librement a été violé de multiples manières. En 2012, les autorités algériennes ont adopté une nouvelle loi sur les associations plus répressive que la législation précédente. La Loi n°12-06 interdit aux associations de recevoir tout financement étranger, de coopérer ou de s’affilier avec toute organisation étrangère sans l’agrément du gouvernement. La loi impose également aux associations déjà enregistrées en vertu de la loi précédente de soumettre des statuts conformes à la nouvelle législation avant le 15 janvier 2014. Toutes les associations existantes qui ne seraient pas enregistrées sur la base de la nouvelle loi seraient considérées comme illégales et leurs membres exposés à des pénalités allant jusqu’à six mois d’emprisonnement et une amende de 300 000 dinars algériens (soit 2 800 €).

De la même manière, au Kenya, une nouvelle proposition de la loi soumise le 30 octobre 2013 visait à attribuer au gouvernement le pouvoir de contrôler les financements entrant dans le pays. Le projet de loi avait pour objectif de limiter à 15% le plafond des financements étrangers qu’une ONG pouvait recevoir de donateurs étrangers, et d’imposer le transfert de tous les financements via une nouvelle « Fédération des organisations d’utilité publique (Public Benefits Organizations - PBO) », au lieu d’autoriser les transferts directs de la part des donateurs. De plus, le texte prévoyait la création d’une « Autorité des PBO » dont le président aurait été nommé directement par le Président de la République, pour « imposer des termes et conditions pour l’attribution des certificats d’enregistrement, des autorisations de fonctionnement, ainsi que des statuts des organisations publiques ». Si le projet de loi a été rejeté par le Parlement en seconde lecture, suite à d’intenses pressions nationales et internationales, cette situation est représentative de l’environnement politique dans lequel les organisations de la société civile opèrent actuellement au Kenya.

En termes d’obstacles à la liberté d’expression, en décembre 2013, le Parlement kényan a adopté deux projets de loi visant à réguler le secteur des médias, qui octroient des pouvoirs discrétionnaires aux autorités sur les maisons de presse et les journalistes. Les deux textes sont entrés en vigueur suite à leur signature par le Président Kenyatta. Le premier texte, intitulé « Loi sur l’information et la communication de 2013 », crée un Tribunal d’appel sur les communications et le multimédia, désigné par le gouvernement et pouvant imposer, de manière discrétionnaire, des sanctions contre les professionnels des médias, y compris la révocation de leur accréditation, la confiscation de leurs biens, et l’imposition de lourdes amendes pouvant s’élever à un million de shillings kényans (12 000 dollars américains) pour les journalistes et à 20 millions de shillings kényans (25 000 dollars américains) pour les entreprises. La loi prévoit que ces amendes peuvent être imposées sur le seul fondement de plaintes anonymes. La loi restreint aussi les revenus publicitaires, et cette disposition pourrait forcer certains médias à mettre la clé sous la porte. Le second texte, intitulé « Loi sur le conseil des médias de 2013 », établit un Conseil des médias du Kenya (Media Council of Kenya) et une Commission des plaintes (Media Council’s Complaints Commission) qui peut censurer tout contenu médiatique « préjudiciable au public ou à l’intérêt national » et sanctionner ceux qui auront publié un tel contenu, sans que la notion « d’intérêt national ou public » n’ait été plus précisément définie. Suite à l’adoption de ces deux lois, deux différents recours contestant leur constitutionnalité ont été déposés devant le Tribunal de grande instance de Nairobi. Le 31 janvier 2014, la cour a joint ces deux affaires et a ordonné la suspension de l’application des deux lois dans l’attente de son jugement sur le fond de l’affaire. A ce jour, la cour n’a pas encore rendu sa décision sur le fond.

En Ouganda, la Loi sur la gestion de l’ordre public (Public Order Management Act - POM Act), entrée en vigueur le 2 octobre 2013 suite à sa signature par le Président Yoweri Museveni, restreint les libertés d’expression et de réunion pacifique et détériore encore davantage un espace déjà réduit pour la société civile et les défenseurs des droits de l’Homme dans le pays. Bien que la protection de l’ordre public soit une préoccupation légitime reconnue par les instruments internationaux, la portée et la nature des restrictions imposées par la Loi POM, adoptée par le Parlement en août 2013, vont bien au-delà des restrictions permises par le droit international et régional des droits de l’Homme et contredisent par conséquent les engagements internationaux et régionaux de l’Ouganda. En particulier, la Loi POM n’établit pas de présomption en faveur de l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique et ne rappelle pas l’obligation de l’Etat de faciliter les réunions publiques. Au cas où une réunion publique est organisée en violation de la loi, les participants à la réunion peuvent être sanctionnés pénalement par une peine allant jusqu’à 12 mois d’emprisonnement et/ou une amende pouvant aller jusqu’à 480 000 shillings ougandais (environ 140 euros). La Loi POM permet également au ministre de l’Intérieur, sur approbation parlementaire, de déclarer officiellement tout lieu comme formellement interdit aux réunions publiques, et interdit les réunions publiques au sein et autour des institutions publiques en les désignant comme « zones restreintes » interdites. La loi prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et/ou des amendes de 960 000 schillings ougandais. Ces zones comprennent notamment le Parlement et les tribunaux.

Au Rwanda, les autorités continuent d’interférer dans les affaires internes d’associations indépendantes et entravent en particulier le rétablissement du conseil d’administration légitime de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits humains (LIPRODHOR). La LIPRODHOR était l’une des rares organisations indépendantes des droits de l’Homme au Rwanda, jusqu’à la destitution de son conseil d’administration lors d’une réunion convoquée le 21 juillet 2013 par l’ancien président de la LIPRODHOR, à l’insu des membres du conseil d’administration. Au cours de cette réunion, le conseil d’administration en fonction a été remplacé par des personnes considérées comme étant favorables au Gouvernement. La réunion a été requalifiée ultérieurement d’« assemblée générale extraordinaire », en violation des dispositions statutaires de la LIPRODHOR. Quelques jours plus tard, le Comité rwandais sur la gouvernance (Rwanda Governance Board - RGB), l’organe public en charge de l’enregistrement des associations, a reconnu de manière expéditive le nouveau conseil d’administration. Le 24 juillet, une activité organisée par la LIPRODHOR sur l’examen périodique universel (EPU) des Nations unies a été stoppée par la police, et les comptes de la LIPRODHOR ont été bloqués. Le conseil d’administration ainsi destitué a intenté une procédure destinée à faire reconnaître la nullité des décisions prises lors de l’« assemblée extraordinaire » du 21 juillet 2013, afin d’obtenir la destitution du nouveau conseil d’administration illégitime. La première audience du procès au fond s’est tenue le 6 mars 2014, suivie d’une seconde audience le 10 avril, au cours de laquelle le juge a annoncé un nouvel ajournement jusqu’au 15 mai 2014. Le cas de la LIPRODHOR est illustratif de l’ingérence du gouvernement dans le fonctionnement des organisations de la société civile, en violation grave de la liberté d’association pourtant protégée par la Constitution rwandaise.

Au Burundi, des ONG de défense des droits de l’Homme continuent de subir des pressions de la part des autorités qui entravent leur bon fonctionnement. Le 4 avril 2014, le maire de Bujumbura a unilatéralement rejeté la notification soumise par l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME) pour organiser une commémoration sur l’assassinat de son vice-président Ernest Manirumva, qui reste non élucidé à ce jour. Le procureur général de la République du Burundi a même publiquement émis des accusations infondées et fallacieuses contre le président actuel de l’OLUCOME, M. Gabriel Rufyiri, lui imputant une possible implication dans l’assassinat d’Ernest Manirumva.

Recommandations :

1) Compte tenu de ces éléments, l’Observatoire rappelle aux Etats parties leur obligation de respecter toutes les dispositions de la Charte africaine, en particulier celles relatives à la protection des défenseurs des droits de l’Homme. Par conséquent, les États devraient de manière immédiate et inconditionnelle :

 Mettre en œuvre toutes les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme de 1988, notamment en garantissant en toutes circonstances leur intégrité physique et psychologique et leur capacité à mener leurs activités dans un environnement sûr et favorable ;

 Libérer tous les défenseurs qui sont arbitrairement détenus uniquement pour avoir exercé leurs droits aux libertés fondamentales, en particulier les libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association ;

 Mettre un terme à tous les actes de harcèlement, y compris judiciaire, à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme ;

 Mener sans délais des enquêtes exhaustives et transparentes quant aux allégations de violations des droits des défenseurs, afin d’identifier tous les responsables, de les traduire devant un tribunal indépendant, et de leur appliquer les sanctions prévues par la loi ;

 Ne pas adopter, abroger et réviser toute disposition non conforme aux normes internationales et africaines relatives à l’exercice du droit aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association ;

 Adresser une invitation permanente aux Rapporteures spéciales de la CADHP et des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et faciliter leurs visites.

2) L’Observatoire appelle également la CADHP à :

 Soulever la question de la situation des défenseurs des droits de l’Homme de manière systématique lors de l’examen des rapports périodiques des Etats parties à la CADHP, ainsi qu’à l’occasion des visites menées dans un Etat partie ;

 Adopter le rapport élaboré par le Groupe d’étude sur la liberté d’association, intitulé « Lois et pratiques relatives à la liberté d’association et de réunion en Afrique » ;

 Garantir la mise en oeuvre effective de ses observations conclusives afin d’assurer à tous, y compris aux défenseurs des droits de l’Homme, la jouissance effective de tous les droits et libertés reconnus par la Charte africaine et la Déclaration universelle des droits de l’Homme ;

 Poursuivre et renforcer la collaboration avec le/la Rapporteur(e) spécial(e) des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme.

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Luanda, avril - mai 2014

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