Droits de l’Homme et lutte anti-terroriste

Document diffusé lors de la COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

La FIDH réitère sa condamnation absolue de tout recours au terrorisme. Les attentats commis à l’encontre d’une population civile ne peuvent trouver quelconque justification et leurs auteurs et commanditaires doivent être poursuivis en justice et sanctionnés, dans le strict respect des normes universelles de protection des droits de l’Homme.

La FIDH souligne la nécessité de la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme. Si la communauté internationale dans sa condamnation unanime du terrorisme, a tout de suite développé le cadre de la lutte antiterroriste en créant un mécanisme spécifique, le comité des Nations unies contre le terrorisme, il n’en demeure pas moins que cette stratégie internationale, pour être efficace, doit impérativement utiliser les droits de l’Homme comme cadre fédérateur.

Or, la FIDH constate que la lutte anti-terroriste internationale, telle qu’elle est menée actuellement, s’affranchit d’un certain nombre de dispositions internationales de protection des droits de l’Homme. En particulier, la lutte anti-terroriste engendre des atteintes au droit à la sécurité et à la liberté de la personne, au droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association, au droit à un procès équitable, et au droit d’asile et de non-discrimination raciale. La FIDH est particulièrement attentive aux Conventions régionales de lutte contre le terrorisme, auxquelles nombre d’Etats membres de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sont parties.

 Législations nationales antiterroristes et dérives sécuritaires

En dépit de la bonne volonté affichée des Etats au sein des organisations gouvernementales internationales et régionales, leurs actions au niveau national pour lutter contre le terrorisme ont de fait engendré des situations opportunes de violations des droits de l’Homme.

S’il est légitime que la plupart des Etats aient renforcé leurs dispositifs législatifs dans le but de garantir le droit à la sécurité, les atteintes aux libertés collectives et individuelles qu’ils entraînent ne le sont pas.

La FIDH déplore les arrestations et les mises en détention provisoire sans exigence de preuves, la censure de la presse et autres graves entraves aux libertés publiques rendues possibles ou de fait encouragées par les dispositifs législatifs et réglementations anti-terroristes en vigueur depuis le 11 septembre 2001.

Quant aux rapports des Etats sur les mesures adoptées pour lutter contre le terrorisme soumis au Comité des Nations unies de lutte contre le terrorisme mis en place par la résolution 1373 du Conseil de sécurité, ils présagent d’atteintes aux libertés fondamentales dans nombre de pays peu connus pour leur respect scrupuleux des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme. D’un côté, le Comité des Nations Unies contre le terrorisme, créé à l’automne 2001 par le Conseil de sécurité, a reçu à ce jour 207 rapports en provenance de 163 Etats. De l’autre, les six comités des Nations Unies, gardiens des conventions sur les droits de l’Homme, déplorent le retard cumulé de 1371 rapports de la part d’autant d’Etats, y compris des Etats membres de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.

La FIDH s’inquiète en particulier des discriminations raciales engendrées par la lutte contre le terrorisme dans certains Etats, ainsi que des restrictions apportées au droit d’asile. La FIDH réitère son attachement au dialogue des cultures dès lors que celui-ci s’appuie sur, et entend soutenir le respect des normes universelles de protection des droits de l’Homme.

  Atteintes au droit à un procès équitable

Outre les lois sécuritaires adoptées en hâte, les Etats se sont empressés de mettre en place ou de réactiver des procédures judiciaires dérogeant au droit commun et attentatoires aux principes du droit international.

Aux Etats unis notamment, les présumés terroristes sont privés d’une défense appropriée. Les preuves à charges restent secrètes, les jugements s’effectuent par des tribunaux d’exception voire militaires dont le fonctionnement et la composition portent atteinte aux principes élémentaire d’impartialité. La peine de mort peut être prononcée.

L’Egypte s’est ainsi trouvée légitimée dans son utilisation de tribunaux militaires. Pour le Président de cet Etat, l’instauration de tribunaux militaires aux Etats Unis " prouve que nous avions raison dès le départ en utilisant tous les moyens (..) (en réponse) à ces crimes qui menacent la sécurité de la société ". Ainsi dans plusieurs pays, le lien hypothétique avec Al Quaeda ou toute autre association terroriste est utilisé à convenance et repose en fait sur des intérêts strictement internes de maintien au pouvoir des autorités en place.

 Prétexte à la répression de l’opposition et des défenseurs des droits de l’Homme

L’arsenal politique, juridique, économique et militaire dont se sont dotés certains Etats leur permet en fait de réprimer toute forme d’opposition politique, militaire, religieuse ou ethnique à leur pouvoir.

Certains Etats, notamment au Maghreb, ont tiré profit du nouveau contexte international pour légitimer leur politique antérieure de lutte contre le terrorisme pourtant bien éloignée des standards internationaux.

Ainsi l’Algérie, dans son rapport au Comité des Nations unies contre le terrorisme, se targue d’une expérience passée positive en la matière : "Ayant longtemps souffert des ravages du terrorisme, souvent dans l’indifférence et parfois avec la complaisance de la part de certains secteurs de la communauté internationale (…) l’Algérie espère une reconnaissance et un soutien à ses propres efforts pour lutter contre un fléau transnational qui la vise directement". Or il faut rappeler que depuis 1992, les forces de sécurité algériennes ont procédé à des milliers d’arrestations arbitraires lesquelles ont été suivies de milliers de disparitions forcées, de mauvais traitements et actes de torture, et d’exécutions extrajudiciaires.

La création de la " Coalition internationale contre le terrorisme " et le contexte en résultant créent les conditions d’une fragilisation de la société civile et d’un renforcement de la criminalisation de toute activité liée à une quelconque forme d’opposition (politique, religieuse, ethnique…) dans nombre d’Etats peu respectueux de l’Etat de droit, habitués à utiliser le spectre du terrorisme pour asseoir leur pouvoir.

Le contexte post-11 septembre ajoute aussi un degré supplémentaire à la suspicion et au discrédit auxquels les défenseurs des droits de l’Homme sont confrontés dans le monde, et notamment en Afrique, à des degrés divers.

 Convention africaine de lutte contre le terrorisme

La Convention de l’Organisation de l’Unité africaine a été adoptée à Alger le 10 juillet 1999 et est entrée en vigueur en septembre 2002 avec la ratification de 15 Etats. Le document est donc désormais signé et ratifié par l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Angola, l’Egypte, l’Erythrée, le Ghana, le Kenya, le Lesotho, la Libye, le Mali, le Rwanda, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le Sénégal, le Soudan et la Tunisie. Six autres pays (la Tanzanie, l’Ouganda, l’Ethiopie, le Burkina Faso et le Niger) ont annoncé qu’ils procéderont à la ratification de cette convention dans les tous prochains jours.

L’acte terroriste, défini dans la Convention africaine, de manière particulièrement large, inclut tout acte en violation du droit pénal d’un pays " visant à intimider, faire peur, forcer, obliger, ou induire un gouvernement, un corps ou une institution, l’opinion publique (..) à faire ou obtenir tout acte, ou à adopter ou abandonner un engagement particulier ", " interrompre tout service public… " " créer une insurrection générale ". Cette définition, extrêmement large, fait craindre que tombent sous le coup de l’infraction terroriste un très grand nombre d’actes, y compris d’opposition légitime et conforme aux droits universels de la personne.

 Convention arabe contre le terrorisme

Adoptée le 22 avril 1998 au Caire par le Conseil des ministres de la justice de la Ligue des Etats arabes , cette convention est entrée en vigueur le 7 mai 1999, après sa ratification par sept pays signataires, soit un an après son adoption, un délai fort court si l’on considère, par exemple, que la Charte arabe des droits de l’Homme, adoptée le 15 septembre 1994, n’a été ratifiée à ce jour que par un seul pays, ... l’Irak.

La Convention arabe définit le terrorisme comme " tout acte de violence ou de menace de violence, quels qu’en soient les mobiles ou les objectifs, commis pour exécuter individuellement ou collectivement un projet criminel et visant à semer la terreur parmi les populations en exposant leur vie, leur liberté ou leur sécurité au danger, ou à causer des dommages à l’environnement ou aux infrastructures et biens publics ou privés ou à les occuper ou s’en emparer, ou à exposer l’une des ressources nationales au danger "

Les critiques formulées à l’encontre de la Convention africaine pour la lutte contre le terrorisme sont a fortiori valables s’agissant de la Convention arabe pour la suppression du terrorisme, dont les formulations sont encore plus extensives.

La Convention arabe a en outre mis en place plusieurs mesures concernant l’extradition dont notamment la création dans chaque Etat partie d’une base de données informatisée sur " les groupes terroristes ", l’échange d’informations entre les polices des divers pays, la surveillance des mouvements des " groupes terroristes " et enfin l’extradition de toute personne impliquée par la justice de son pays d’origine dans une " activité terroriste " et réfugiée dans un autre pays arabe. L’usage quasi-systématique de la torture, la pratique étendue de la détention au secret, le contrôle strict de la justice par le pouvoir exécutif et l’existence de juridictions d’exception (cours de sûreté de l’Etat, tribunaux militaires, …) dans plusieurs pays de la région, soumis parfois depuis des décennies à l’Etat d’urgence , font craindre le pire.

Recommandations

- La FIDH souligne l’importance pour les Etats de collaborer pour prévenir et réprimer les actes de terrorisme, sous condition du strict respect des normes universelles de protection des droits de l’Homme.

- La FIDH précise que les projets en cours de conventions internationales et régionales relatives à la recherche d’une définition de l’infraction terroriste doivent impérativement tenir compte des différents auteurs d’actes de terrorisme (individus, groupes, Etats) ; et éviter l’écueil des incriminations trop larges portant en réalité atteinte aux libertés individuelles et collectives ou comportant le risque de telles atteintes.

- La FIDH affirme que certains actes de terrorisme pourraient peut être, sous les conditions très précises posées par le Statut de la CPI, relever des actes entrant dans la compétence da la Cour. En particulier, l’acte intentionnel de terrorisme (caractérisé par le meurtre, la persécution ou autres actes inhumains), isolé ou non, de grande ampleur ou planifié, à l’encontre de la population civile, en application d’un politique générale d’un Etat ou d’une organisation, pourrait être qualifié de crime contre l’humanité selon l’article 7 du Statut de la CPI. Cependant, les travaux préparatoires du Statut de Rome et la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux invitent à une certaine prudence. En tout état de cause, une telle qualification incombe in fine aux organes indépendants compétents à cet effet au terme du statut de la Cour, à savoir le Procureur et, le cas échéant, la Cour elle-même.

- La FIDH rappelle que les éventuelles mesures exceptionnelles prises par les Etats dans le cadre de la lutte contre le terrorisme doivent être strictement encadrées dans les limites prévues par le droit international pour garantir le respect des principes fondamentaux de la personne humaine.

- Considérant, les graves dérives intervenant dans le cadre de, ou justifiées au prétexte de la lutte antiterroriste, la FIDH recommande à la Commission africaine des droits de l’Homme d’encourager l’adoption, dans le cadre d’un Protocole additionnel à la Convention africaine de lutte contre le terrorisme, d’un mécanisme de surveillance spécifique de la conformité des mesures anti-terroristes, adoptées par les Etats membres de l’Union africaine, y compris les conventions régionales, avec leurs engagements internationaux de défense des droits de l’Homme.

Pour plus d’informations :

- Les pays de la Méditerranée après le 11 septembre : de l’usage opportuniste du terrorisme
- 27/03/2002. A human rights framework for responding to terrorism : Open statement to the 2002 Commission on Human Rights
- 22/03/2002 Tribunaux militaires, Intervention de Driss El Yazami, Secrétaire général de la FIDH
- 20/03/2002. Lutte contre le terrorisme et respect des droits de l’Homme : la FIDH lance un appel à la Commission des droits de l’Homme des Nations unies
- 58ème session de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies : Intervention écrite de la FIDH sur le terrorisme
- Janvier 2002 : Symposium international terrorisme et droits de l’Homme.
- Pour une approche universelle de la lutte contre le terrorisme et pour la protection des droits de l’Homme

Lire la suite