RWANDA : Une décision inattendue dans l’affaire « LIPRODHOR »

13/08/2014
Appel urgent

Paris-Genève, le 13 août 2014 - L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dénonce fermement la décision prononcée le 8 août sur l’exception de qualité soulevée par la partie adverse dans l’affaire de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (LIPRODHOR). Ce procès vise à faire la lumière sur la prise de contrôle illégitime et illégale de l’organisation en juillet 2013.

Les membres légitimes de la LIPRODHOR ont initié cette action en justice afin de faire reconnaître la nullité des décisions prises lors d’une Assemblée générale extraordinaire, convoquée illégalement le 21 juillet 2013, qui ont conduit à leur destitution et à l’élection d’un nouveau conseil d’administration « illégitime », reconnu trois jours plus tard par le Rwanda Governance Board (RGB), l’institution publique supervisant les organisations non gouvernementales nationales.

Le 8 août 2014, en pleines vacances judiciaires et au terme de reports incessants constatés par un observateur international mandaté par l’Observatoire depuis mars 2014, le juge du Tribunal de grande instance de Nyarugenge a rendu une décision inattendue, dans laquelle il a estimé que l’action en justice intentée contre les membres « illégitimes » du conseil d’administration de la LIPRODHOR était infondée, au motif que celle-ci aurait dû être dirigée contre la LIPRODHOR elle-même, et non pas contre des individus. L’Observatoire s’étonne de cette décision, et tient à rappeler que la prise de contrôle illégitime de la Ligue est avant tout le fait d’actes individuels, en l’occurrence de ceux des nouveaux membres du conseil d’administration, réalisés en violation des statuts de l’organisation. La partie plaignante était par conséquent parfaitement fondée à diriger son action en justice contre les membres du conseil d’administration « illégitime », en vertu de l’article 4 de la Loi No 21/2012 du 14 juin 2012 portant Code de procédure civile, commerciale, sociale et administrative, qui stipule que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ». L’Observatoire tient en outre à souligner que cette question aurait dû faire l’objet d’un débat sur le fond de l’affaire, au lieu de statuer et d’expédier l’affaire dans l’examen d’une exception. L’article 8 de la Loi No 21/2012 énonce en effet que « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui n’ont pas fait objet de débat ».

Dans son prononcé, le juge a par ailleurs estimé que la procédure interne devant le comité de discipline et de résolution des conflits de la LIPRODHOR n’aurait pas été respectée. L’Observatoire tient à souligner sur ce point qu’une telle procédure a bien été ouverte dès le 24 juillet 2013 pour exiger d’une part que le conseil d’administration « légitime » continue à travailler normalement, et convoquer, d’autre part, trois membres du conseil « illégitime » devant le comité de discipline au sujet de la prise de contrôle. L’Observatoire précise en outre que ces trois membres ayant refusé de comparaître devant cet organe le 2 août 2013, ce refus a été constaté par écrit, et joint aux conclusions de la partie plaignante.

Les avocats des membres « légitimes » de la LIPRODHOR ont immédiatement annoncé leur intention de faire appel de la décision du 8 août.

L’Observatoire dénonce fermement le prononcé du juge du Tribunal de grande instance de Nyarugenge, et réitère sa préoccupation face aux entraves subies par les membres des organes d’administration et du secrétariat « légitimes » de la LIPRODHOR depuis juillet 2013, et plus généralement aux actes d’ingérence dans le fonctionnement d’une organisation de la société civile, qui constituent une violation grave de la liberté d’association, pourtant garantie par la Constitution de la République du Rwanda et les instruments internationaux ratifiés par le Rwanda.

Réagissant notamment sur le cas de la LIPRODHOR suite à sa visite au Rwanda en janvier 2014, le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, M. Maina Kiai, avait rappelé que « l’indépendance et la capacité des associations à mener leurs affaires internes sans interférence extérieure revêt une importance capitale pour l’exercice de la liberté d’association » et déclaré qu’il ne voyait « aucune justification à ce que le RGB s’immisce dans les querelles de dirigeants d’ONG locales »[1].

L’Observatoire appelle par conséquent les autorités rwandaises à mettre un terme à toute forme de harcèlement et d’entraves à l’encontre des membres du conseil d’administration « légitime » de la LIPRODHOR, à demander au Rwanda Governance Board et à la juridiction saisie d’annuler la décision de reconnaître le nouveau conseil d’administration de la LIPRODHOR, et à se conformer plus généralement aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme ainsi qu’aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ratifiée par le Rwanda, en particulier aux articles 9, 10 et 11 garantissant les libertés d’expression, d’association et de réunion.

L’Observatoire rappelle qu’il a mandaté des observations judiciaires internationales à toutes les audiences depuis le 6 mars 2014.

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