Rwanda : Entraves à la liberté d’association de la LIPRODHOR

09/04/2014
Appel urgent

L’Observatoire a été informé que la prochaine audience dans le procès intenté par certains membres des organes d’administration et du secrétariat « légitimes » de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (LIPRODHOR) se tiendra le 10 avril 2014 devant le Tribunal de grande instance de Nyarugenge. Ce procès vise à faire reconnaître la nullité des décisions prises lors d’une réunion le 21 juillet 2013, qui a conduit à l’élection d’un nouveau conseil d’administration « illégitime », en violation des dispositions statutaires de la LIPRODHOR (cf. rappel des faits).

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante au Rwanda.

Nouvelles informations :

La première audience du procès au fond s’est tenue le 6 mars 2014. Les plaignants avaient précédemment introduit une demande d’intervention forcée du Rwanda Governance Board (RGB), l’institution publique supervisant les organisations non gouvernementales nationales.

Cette audience, pour laquelle l’Observatoire avait mandaté un représentant dans le cadre d’une observation judiciaire internationale, visait plus précisément, d’une part, à faire reconnaître l’annulation des décisions prises par l’Assemblée générale illégale et à demander la suspension du comité illégal autoproclamé et, d’autre part, à demander au RGB d’indiquer sur quel(s) texte(s) de loi(s) il s’était basé pour reconnaître les nouveaux responsables de la LIPRODHOR et confirmer les décisions prises par ces derniers.

Le représentant du RGB a indiqué à cette occasion qu’il n’était pas prêt à plaider, au motif qu’il venait de prendre connaissance du dossier. Le RGB a par conséquent demandé un report d’audience, accepté par le Président du Tribunal, qui a renvoyé l’affaire au 10 avril, laissant ainsi au RGB un délai raisonnable pour préparer sa défense.

L’Observatoire réitère sa préoccupation face aux entraves subies par les membres des organes d’administration et du secrétariat « légitimes » de la LIPRODHOR depuis juillet 2013, et plus généralement aux actes d’ingérence dans le fonctionnement d’une organisation de la société civile, qui constituent une violation grave de la liberté d’association pourtant garantie par la Constitution de la République du Rwanda et les instruments internationaux ratifiés par le Rwanda.

L’Observatoire appelle les autorités rwandaises à adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir le plein exercice du droit à la liberté d’association.

L’Observatoire annonce qu’il mandate une observation judiciaire internationale à l’audience du 10 avril, et appelle le Tribunal de grande instance de Nyarugenge à se conformer en toutes circonstances aux principes relatifs à un procès juste et équitable.

Rappel des faits :

Le 3 juillet 2013, le conseil d’administration de la LIPRODHOR a décidé de quitter le Collectif des ligues pour la défense des droits de l’Homme (CLADHO). L’Association pour la défense des droits des personnes et libertés publiques (ADL) et la Maison de droit (MDD) ont également signalé leur intention de se retirer.

Le même jour, un fonctionnaire du RGB avait demandé aux organisations de revenir sur cette décision et évoqué au cours d’une conversation téléphonique avec le président « légitime » de la LIPRODHOR l’éventualité d’un refus de ré-enregistrement de la LIPRODHOR en cas de maintien de la décision[1].

Par ailleurs, le 21 juillet 2013, à l’insu du conseil d’administration et du secrétaire exécutif, un ancien président de la LIPRODHOR a organisé une réunion dite « de concertation », requalifiée plus tard d’« assemblée générale extraordinaire ». Lors de la dite réunion, il a été décidé de démettre le conseil d’administration, d’en créer un autre et de rejoindre à nouveau le CLADHO, en violation des dispositions statutaires de la LIPRODHOR.

Selon les informations reçues, ces décisions ne sont pas valables en ce qu’elles n’ont pas été adoptées par une assemblée générale régulièrement convoquée. En effet, en cas d’empêchement ou refus du président ou du vice président de convoquer une réunion, une convocation régulière requiert d’une part l’implication d’un tiers des membres effectifs (article 11 des statuts), et d’autre part que les membres aient été convoqués au moins huit jours à l’avance. Or, en l’espèce, plusieurs membres dont le président, le vice-président et le secrétaire exécutif, n’ont jamais été informés de la tenue de cette réunion, de même que la dite réunion n’a pas été convoquée par un tiers des membres effectifs. En outre, la réunion ne peut être requalifiée d’assemblée générale en ce que les statuts disposent qu’une assemblée générale « se réunit valablement à la majorité absolue des membres effectifs » (article 12 des statuts), un quorum qui n’aurait pas été atteint. Or, plusieurs autres personnes auraient été comptabilisées alors qu’il ne s’agit pas de membres effectifs. La réunion de concertation ne peut donc constituer une assemblée générale, qui est le seul organe habilité à démettre et nommer un conseil d’administration.

Le 24 juillet 2013, le RGB a adressé une lettre à la LIPRODHOR prenant acte du changement de présidence et reconnaissant le nouveau conseil d’administration de la LIPRODHOR. A la même date, une activité organisée par la LIPRODHOR sur l’Examen périodique universel (EPU) des Nations unies a été stoppée par la police, et les comptes de la LIPRODHOR ont été bloqués.

Le 26 juillet 2013, une passation de pouvoir forcée entre le conseil d’administration « sortant » et le conseil d’administration « entrant » a été refusée par les membres du conseil d’administration légitime, mais le nouveau conseil a forcé le personnel du secrétariat exécutif à se soumettre à cette passation afin de prendre le contrôle de l’organisation, en violation de l’article 11 du règlement d’ordre intérieur de la ligue, qui stipule que la « remise et reprise » doit se faire entre le conseil d’administration sortant et le nouveau.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités rwandaises en leur demandant de :

i. Mettre un terme à toute forme de harcèlement et d’entraves à l’encontre des membres du conseil d’administration « légitime » de la LIPRODHOR, ainsi que de tous les défenseurs des droits de l’Homme au Rwanda ;

ii. Demander au Rwanda Governance Boardet à la juridiction saisie d’annuler la décision de reconnaître le nouveau conseil d’administration de la LIPRODHOR ;

iii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement :

à son article 1 qui prévoit que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international »,
à son article 5 b) et c) qui prévoit qu’« afin de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, aux niveaux national et international, de se réunir et de se rassembler pacifiquement et de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer » ;
à son article 6(b), selon lequel « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme et autres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l’Homme et toutes les libertés fondamentales »,
à son article 12.2 qui dispose que « l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration » ;

iv. Se conformer aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ratifiée par le Rwanda, et notamment de ses articles 9, 10 et 11 garantissant les libertés d’expression, d’association et de réunion ;

v. Se conformer aux dispositions de la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance, ratifiée par le Rwanda, dont les articles 3(7) et 12(3) disposent respectivement que les citoyens ont un droit de participation effective dans les affaires publiques et que l’Etat a le devoir de « créer les conditions légales propices à l’épanouissement des organisations de la société civile » ;

vi. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par le Rwanda.

Adresses :

M. Paul Kagame, Président de la République du Rwanda, Urugwiro Village, PO Box 15, Kigali, RWANDA.
M. Pierre Damien Habumuremyi, Premier Ministre, P.O Box 1334 Kigali , RWANDA, Email : webinfos@primature.gov.rw , Fax :+ 250 252 584 648
M. Sheik Musa Harerimana, Ministre de la sécurité intérieure (MININTER), PO Box 446 Kigali, RWANDA. Email : info@mininter.gov.rw, Tel/Fax. +250 252 58 78 81
M. Stephens Kanuuma Nuwagaba, Conseiller du Ministre de l’administration locale (MINALOC), Email : minister@minaloc.gov.rw
M. Johnston Busingye, Ministre de la justice (MINIJUST), PO Box 160 Kigali, RWANDA, Email : mjust@minijust.gov.rw, Fax : +50 252 58 65 09
M. le Directeur Général de Rwanda Governance Board, PO BOX 6819, Kigali RWANDA, Email : info@rgb.rw
Mme la Présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), BP 269 Kigali, RWANDA, Email : cndh@rwanda1.com
Mr. Moses Rugema, First Counsellor,Permanent Mission of the Republic of Rwanda to the United Nations Office in Geneva, Rue de Vermont 37-39 (4th floor), 1202 Geneva, Switzerland. Fax : +41 22 919 10 01. Email : ambageneve@minaffet.gov.rw
M. Michel Ryan, Ambassadeur, Délégation de l’Union Européenne au Rwanda, 1807 Umuganda Boulevard, Aurore Building, 515 Kacyru Kigali, RWANDA, Email : Delegation-rwanda@eeas.europa.eu, Fax :+250 252 58 57 34/36

***
Paris-Genève, le 9 avril 2014

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.

Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :

E-mail:Appeals@fidh-omct.org
Tel et fax FIDH : 33143552518 / 33143551880
Tel et fax OMCT : +41 22 809 49 39 / + 41 22 809 49 29

[1]En 2013, le RGB a demandé à toutes les ONG de se réenregistrer.

Lire la suite