RDC / Sénégal : Une nouvelle plainte dans l’affaire Chebeya-Bazana

02/06/2014
Communiqué
RDC

Une plainte avec constitution de partie civile à été déposée ce jour contre Paul Mwilambwe au Sénégal, l’un des responsables présumés dans l’affaire Chebeya-Bazana, par les avocats du Groupe d’action judiciaire (GAJ) de la FIDH et des familles de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. Celle-ci fait suite à une plainte simple, déposée le 10 janvier 2014, restée sans réponse. Nos organisations et les familles des victimes exhortent la justice sénégalaise à arrêter et entendre ce suspect et à lancer au plus vite une procédure judiciaire.

« En l’absence de procédure équitable menée dans un délai raisonnable en République démocratique du Congo, nous avons déposé cette plainte au Sénégal afin qu’une enquête impartiale et indépendante puisse être ouverte et que toute la lumière soit faite sur l’assassinat et la disparition forcée dont ont été victimes Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. Elle aura notamment pour but de faire entendre Paul Mwilambwe, un acteur de cette tragédie, par un juge indépendant », a déclaré Me Assane Dioma Ndiaye, avocat du GAJ de la FIDH et des familles Chebeya et Bazana.

« Nous avons saisi la justice sénégalaise, car Paul Mwilambwe se trouve au Sénégal et qu’en vertu de la loi sénégalaise, la justice de ce pays est compétente pour instruire et juger ces crimes dans lesquels Paul Mwilambwe semble impliqué  », a déclaré Patrick Baudouin, président d’honneur et responsable du GAJ de la FIDH. « Depuis l’affaire Hissène Habré, c’est la première fois que la procédure de compétence extra territoriale est activée au Sénégal et nous comptons sur la justice sénégalaise pour que celle-ci contribue à la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves ».

Le 10 janvier 2014, les avocats du GAJ et des familles Chebeya et Bazana avaient déjà déposé une plainte simple contre Paul Mwilambwe et tous autres pour crime de torture, sur la base de la loi sénégalaise dite de compétence extra territoriale du 12 février 2007 qui intègre en droit sénégalais la Convention des Nations unies contre la torture. Selon cette disposition du Code pénal sénégalais, les tribunaux sénégalais peuvent juger toute personne suspectée de torture, si elle se trouve au Sénégal, même si la victime ou l’auteur du crime ne sont pas sénégalais et que le crime n’a pas été perpétré au Sénégal. Cette plainte est restée sans réponse.
Devant l’inaction du parquet Sénégalais saisi depuis janvier, la FIDH et les familles portent plainte en se constituant cette fois partie civile

Major de la Police nationale congolaise (PNC), Paul Mwilambwe était en charge de la sécurité du bureau du Général John Numbi, le chef de la PNC au moment des faits, dans les locaux duquel ont été assassinés Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. Peu après les faits, Paul Mwilambwe a pris la fuite dans un pays d’Afrique avant de venir au Sénégal. Au cours de sa fuite, il avait témoigné devant la caméra de France 24 et dénoncé, outre sa participation, le rôle et l’implication de hauts gradés de la police congolaise, dont le général John Numbi, dans l’assassinat et la disparition forcée des deux défenseurs.

« Cette plainte constitue, pour nous, un grand espoir de vérité et de justice qui nous sont refusés au Congo où la justice est enlisée. Je veux savoir où se trouve le corps de mon mari et je veux pouvoir l’enterrer dignement », a déclaré Marie-José Bazana, l’épouse de Fidèle Bazana dont le corps n’a toujours pas été retrouvé.

Rappel des faits :
Le 2 juin 2010, Floribert Chebeya, directeur exécutif de l’ONG la Voix des sans voix (VSV) est retrouvé mort dans sa voiture dans un faubourg de Kinshasa et Fidèle Bazana, son proche collaborateur est porté disparu. La veille, les deux défenseurs des droits humains s’étaient présentés à la Direction de la PNC pour y rencontrer son directeur, l’Inspecteur-général et général John Numbi, et n’en sont pas sortis vivants. Face à l’émoi provoqué par le meurtre de Floribert Chebeya et la disparition de Fidèle Bazana, le pouvoir congolais est obligé d’ouvrir une enquête qui abouti à la suspension à titre conservatoire du général John Numbi et à l’inculpation, pour assassinats, de 8 policiers dont Paul Mwilambwe qui est en fuite.

A l’issue d’un procès marqué par de nombreux incidents (voir rapport de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme), la Cour militaire de Kinshasa reconnaît le 23 juin 2011 la responsabilité civile de l’État congolais dans l’assassinat de M. Chebeya, ainsi que dans l’enlèvement et la détention illégale de M. Bazana par plusieurs de ses agents et condamne 5 des 8 policiers accusés, dont 4 à la peine capitale et un à la prison à perpétuité. Trois des condamnés à mort sont toujours en fuite, et trois policiers dont l’instruction avait pourtant révélé le rôle dans la disparition de Fidèle Bazana, ont été acquittés. Le 7 mai 2013, la Haute cour militaire, saisie en tant que juridiction d’appel, se déclare incompétente pour instruire des questions procédurales et décide de saisir la Cour suprême de justice, qui fait office de Cour constitutionnelle, ce qui suspend de fait la procédure judiciaire d’appel qui reste à ce jour en RDC dans l’impasse. En outre, aucune procédure judiciaire n’a jamais été engagée par les autorités congolaises pour instruire le rôle joué par le général John Numbi, qui a depuis été remplacé à la tête de la police nationale, malgré l’existence de preuves et le dépôt de plaintes nominatives par les familles des deux défenseurs.

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