République démocratique du Congo (RDC) : Poursuite de la détention arbitraire de MM. Abedi NGOY et Gervais SAIDI / Menaces à l’encontre de M. Mémé AWAZI NENGO, M. ANGALI SALUMU YEMOKO et Mme SALUFA AZIZA

04/02/2014
Appel urgent
RDC

L’Observatoire a été informé par l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) de la poursuite de la détention arbitraire de MM. Abedi NGOY et Gervais SAIDI, respectivement chargé de règlement de conflit et chargé de l’encadrement de sinistrés de l’Alliance paysanne du Maniema (ALLIPAM), et de menaces visant M. Mémé AWAZI NENGO, secrétaire exécutif de l’ALLIPAM, M. ANGALI SALUMU YEMOKO, président du Réseau des associations de défense des droits humains dans le sud Maniema (RADHOSMA), et Mme SALUFA AZIZA, présidente des femmes de l’ALLIPAM, en raison de leur action en justice contre le Gouvernement provincial de Maniema en faveur de paysans sinistrés suite à l’incendie de leurs maisons dans la ville de Kasongo depuis 2008.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en République démocratique du Congo (RDC).

Description de la situation :

Selon les informations reçues, les 2 et 16 décembre 2013 respectivement, M. Abedi NGOY et M. Gervais SAIDI ont été arrêtés pour, respectivement, « recel de biens volés » et « complicité de vol » et transférés, sur ordre du Procureur général de Kindu, pour détention à la prison de Kasongo, où ils restent détenus à ce jour. Les deux défenseurs sont accusés d’avoir gardé chez eux des tôles données à des sinistrés, à leur demande, après distribution d’un greffier en exécution d’une décision judiciaire (cf. ci-après).

Depuis leur arrestation, les deux défenseurs n’ont jamais été présentés devant le juge du Tribunal de paix afin de contrôler la légalité de leur détention, en violation des articles 27 et 28 du Code de procédure pénale congolais[1].

En outre, leurs conditions de détention s’apparentent à des conditions inhumaines et dégradantes. En effet, les cellules contiennent environ vingt détenus dans un local conçu pour dix personnes, sans aération, sans lit (ils dorment à même le sol), y font leurs besoins et sont privés de tous soins médicaux. Ils sont également privés de nourriture car non seulement le centre pénitentiaire n’en pourvoit pas, mais de plus ils doivent s’acquitter du paiement d’une somme de 10 USD aux policiers de garde avant de recevoir la nourriture fournie par leurs familles.

La détention de MM. Abedi NGOY et Gervais SAIDI intervient après que l’ALLIPAM, le 7 octobre 2013, a initié une action en justice en faveur de 33 victimes des incendies de leurs habitations à Kasongo devant le Tribunal de paix de Kasongo, à laquelle 217 autres victimes se sont jointes dans le cadre d’une action en justice séparée afin de contraindre le Gouvernement provincial à leur distribuer, sans condition, 6 025 tôles et clous expédiés par le Gouvernement central de Kinshasa depuis 2008 à titre d’assistance humanitaire. En effet, selon les informations reçues, ce matériel était gardé dans un dépôt sans aucune raison valable depuis cinq ans, en dépit du fait que les victimes ainsi que les membres de leurs familles passaient la nuit à la belle étoile depuis cinq ans.

Le 25 novembre 2013, le Tribunal a, par son jugement rendu par défaut à l’égard du Gouvernement provincial, ordonné la distribution à chacune de victimes de 25 tôles et des clous ; condamné la Province de Maniema au paiement de la somme symbolique de 100 francs congolais et déclaré son jugement exécutoire nonobstant l’exercice de voies de recours.

Le 27 novembre, après que le greffier a signifié le jugement aux parties et démarré son exécution, un groupe de « manifestants » se réclamant appartenir aux partis politiques proches du gouverneur de province se sont rendus au bureau du président du Tribunal de paix, M. BAMWANGAY KANYONGOLO, où ce dernier a été séquestré pendant cinq heures et insulté.

Le même jour, M. Mémé AWAZI NENGO, M. ANGALI SALUMU YEMOKO et Mme SALUFA AZIZA ont été accusés publiquement, par lesdits manifestants, d’être « des opposants » au gouvernement provincial. Les manifestants ont également prononcé à l’encontre desdits défenseurs des menaces de mort.

Le 28 novembre 2013, vers 2 heures du matin, un groupe d’hommes armés, non autrement identifiés, a attaqué la résidence de l’un des membres de la famille de M. AWAZI NENGO, pensant qu’il s’y cachait. Depuis lors, les trois défenseurs ont dû entrés en clandestinité.

Selon les informations reçues, toutes les démarches effectuées par l’ACAJ pour obtenir la libération des deux défenseurs se sont avérées infructueuses[2], les autorités politiques et judiciaires exigeant la présence des trois défenseurs entrés en clandestinité, que ces dernières considèrent comme des « fauteurs de troubles » pour avoir organisé et gagné le procès au nom des paysans sinistrés d’une part ; et la restitution par les victimes de toutes les tôles reçues en exécution du jugement d’autre part.

Par ailleurs, le Gouvernement provincial, condamné à la distribution des tôles aux sinistrés, à la suite de l’action judiciaire menée par l’ALLIPAM, a fait appel tardif devant le Tribunal de grande instance de Kindu et demandé à ce que l’ALLIPAM soit condamnée à lui payer des dommages intérêts pour « action téméraire et vexatoire ». Le juge BAMWANGAY KANYONGOLO a été suspendu par sa hiérarchie au motif qu’il aurait dû d’abord la consulter avant de prononcer sa décision étant donné que qu’elle condamnait le Gouvernement provincial, ceci en violation du principe d’indépendance du juge bien entendu. Le greffier M. ALIMASI BUSHIRI qui a fait exécuter le jugement a également été suspendu.

L’Observatoire dénonce la détention arbitraire de MM. Abedi NGOY et Gervais SAIDI et les actes de harcèlement à l’encontre de M. Mémé AWAZI NENGO, M. ANGALI SALUMU YEMOKO et Mme SALUFA AZIZA, en ce qu’ils ne semblent viser qu’à sanctionner leurs activités de défense des droits de l’Homme, et plus précisément leur soutien en faveur de paysans sinistrés suite à l’incendie de leurs maisons. L’Observatoire appelle les autorités congolaises à libérer MM. Abedi NGOY et Gervais SAIDI de manière immédiate et inconditionnelle et, dans l’intervalle, à leur garantir de bonnes conditions de détention. L’Observatoire appelle également les autorités provinciales à mettre un terme au harcèlement à l’encontre de M. Mémé AWAZI NENGO, M. ANGALI SALUMU YEMOKO et Mme SALUFA AZIZA et à garantir leur sécurité ainsi que celle de leurs familles.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités congolaises en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de MM. Abedi NGOY, Gervais SAIDI, Mémé AWAZI NENGO, ANGALI SALUMU YEMOKO et Mme SALUFA AZIZA, ainsi que tous les membre d’ALLIPAM, et l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en République démocratique du Congo ;

ii. Libérer MM. Abedi NGOY et Gervais SAIDI de manière immédiate et inconditionnelle en ce que leur détention ne semble viser qu’à sanctionner leurs activités de défense des droits de l’Homme ;

iii. Garantir, dans l’intervalle, de bonnes conditions de détention en faveur de MM. Abedi NGOY et Gervais SAIDI ;

iv. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, administratif et disciplinaire, à l’encontre des défenseurs sus-mentionnés ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en RDC afin qu’ils puissent mener leurs activités de défense des droits de l’Homme librement et sans entrave ;

v. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement :
 son article 1 qui stipule que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales aux niveaux national et international” ;
 et son article 12.2 qui prévoit que “l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration” ;

vi. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la RDC.

Adresses :

· S.E M. Joseph Kabila, Président de la République, Cabinet du Président de la République, Palais de la Nation, Kinshasa/Gombe, République Démocratique du Congo, Fax +243 88 02 120 ; Email : cabinet_president@yahoo.fr
· M. Augustin Matata Ponyo, Premier Ministre et Président du Comité de Pilotage de l’entité de liaison pour les droits de l’Homme, Avenue Roi Baudouin, n° 5, Kinshasa/Gombe, République Démocratique du Congo ; Email : cabinet@primature.cd
· Madame Wivine MUMBA MATIPA, Ministre de la Justice et des Droits Humains, BP 3137, Kinshasa Gombé,minjustdh@gmail.com
· M. Flory KABANGE NUMBI, Procureur Général de la République ; Email : florykan@yahoo.fr
· M. KAHASA SIWA, Procureur général près de la Cour d’appel à Kindu ; Téléphone portable : + 243 85 720 27 56 (par SMS)
· M. KITOKO TABU Charly, Chef de Parquet de Kasongo ; Téléphone portable : +243 85 24 97 503 (par SMS)
· Mission permanente de la République démocratique du Congo auprès des Nations unies, Avenue de Budé 18, 1202 Genève, Suisse, Email : missionrdc@bluewin.ch, Fax : +41 22 740.16.82
· S.E. M. Henri Mova Sakanyi, Ambassadeur, Ambassade de la République démocratique du Congo à Bruxelles, 30 Marie de Bourgogne, 1000 Bruxelles, Belgique. Email : secretariat@ambardc.eu. Fax : + 32.2.213.49.95

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la RDC dans vos pays respectifs.

***
Paris-Genève, le 4 février 2014

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.

Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :
· E-mail : Appeals@fidh-omct.org
· Tel et fax FIDH : 33 1 43 55 25 18 / 33 1 43 55 18 80
· Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / 41 22 809 49 29

[1] Aux termes de l’article 28, alinéa 3 du code de procédure pénale congolais, le Magistrat instructeur qui place une personne en détention préventive à l’obligation de le présenter devant le juge compétent (juge de paix) pour statuer sur sa détention préventive au plus tard dans les cinq jours de la délivrance de son mandat d’arrêt provisoire.

[2] L’ACAJ a contacté plus de trois fois le chef du parquet et le procureur général par téléphone pour exiger ces libérations. Le Chef du parquet et le Procureur général ont promis d’accéder à cette demande, sans toutefois mettre ces promesses à exécution. Un avocat mandaté par l’ACAJ a en outre introduit une demande de mise en liberté provisoire auprès du parquet le 15 janvier 2014, qui reste sans suite à ce jour. Le paiement de cautions et autres frais reste par ailleurs exigé pour leur libération, en violation des articles 27 et 28 du Code de procédure pénale congolais.

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