Intervention orale de la FIDH

24ème session du Conseil des droits de l’Homme
4 septembre 2013
Genève, Suisse

La FIDH s’alarme de la gravité et du caractère systématique des violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises en RCA dans le contexte d’anarchie régnant dans le pays depuis le coup d’État du 24 mars 2013. Nous soulignons l’urgence de la protection de la population et de l’adoption et de la mise en œuvre d’une feuille de route droits de l’Homme et réitérons les recommandations déjà émises lors de l’Examen périodique universel de la RCA en 2009, ayant trait notamment à la lutte contre l’impunité, à la détention arbitraire, à la torture et aux mauvais traitements.

Une mission internationale d’enquête de la FIDH s’est rendue en RCA du 3 au 13 juillet 2013. Elle a pu établir que l’ensemble du territoire était toujours aux mains des éléments Séléka dirigés par des seigneurs de guerre centrafricains, tchadiens ou soudanais, plus cinq mois après avoir porté les chefs rebelles au pouvoir. Ces éléments continuent de commettre les exactions les plus graves contre la population civile, qui peuvent être qualifiés de crimes de guerre.

Depuis le renversement du régime de François Bozizé, s’il est difficile de mesurer l’exacte ampleur du phénomène, la FIDH estime, au terme du recoupement de nombreuses informations, à au moins 400 le nombre de meurtres commis par des membres de la Séléka. À titre d’exemple, le 28 juin 2013, dans le quartier de Bogondo à Bangui, des éléments Séléka ont tiré sur une foule de femmes, d’hommes et d’enfants qui manifestait contre l’assassinat d’un jeune du quartier, tuant au moins six civils et blessant plusieurs dizaines de personnes. La FIDH confirme également le nombre élevé de viols commis à Bangui.

Par ailleurs, jusqu’à ce jour, de très nombreux cas d’enlèvements de civils ont été rapportés, ainsi que des cas d’intimidation, de torture, de mauvais traitements et de détention arbitraire. La FIDH a également pu recueillir des témoignages d’incendies de villages. Sur l’axe Mbrès-Kaga-Bandoro, 270 maisons ont été incendiées et, le 14 avril 2013, six personnes ont été tuées dans six villages par des éléments Séléka, en représailles au meurtre de l’un d’entre eux.

Les Séléka demeurent toujours lourdement armés et comptent parmi eux des enfants soldats.

Les crimes commis le sont en toute impunité. En province, la sécurité et la justice sont inexistantes. A Bangui, au moment de la mission menée par la FIDH, seulement 16 mandats de dépôt étaient confirmés par le procureur de la République. Si des éléments Séléka sont parfois arrêtés par la FOMAC ou par des officiers de police judiciaire, ils sont pour la plupart cantonnés dans des centres de détention pour une formation disciplinaire et échappent à toute procédure pénale.

La protection de la population civile doit être placée au centre des priorités à la fois des autorités de transition et de la communauté internationale. Les Nations unies et l’Union africaine doivent s’engager à la mise en place d’une force internationale dont le mandat et le budget doivent permettre de garantir la protection de la population sur l’ensemble du territoire. De manière concomitante, la FIDH appelle la communauté internationale à adopter des mesures de sanction contre les chefs de la Séléka et les seigneurs de guerre, notamment le gel de leurs avoirs financiers.

Considérant que la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves est une condition sine qua non de la sécurité et de la paix, la FIDH demande la mise en place d’une juridiction mixte spécifique, qui permettrait de poursuivre les auteurs des crimes internationaux que la Cour pénale internationale ne poursuivrait pas et de renforcer le système judiciaire national.

La sécurité et la paix durables ne pourront se construire sans la mise en œuvre par les autorités d’une feuille de route droits de l’Homme, l’oubliée des accords de paix. Les autorités de transition doivent respecter leurs obligations internationales en matière de protection des droits humains, civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, notamment le droit à la vie, le principe de la légalité des détentions et des peines, la liberté d’expression, l’égalité devant la loi, le principe de non-discrimination, le droit à l’éducation et protection des droits des femmes.

Les autorités centrafricaines doivent lutter contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves en  :

  • Engageant des poursuites et en sanctionnant tous les individus accusés de violations des droits humains et de crimes internationaux ;
  • Renforçant les moyens d’action de la Commission nationale d’enquête et en s’assurant que celle-ci puisse établir les faits et les responsabilités concernant l’ensemble des violations commises avant et après le coup d’État, quels que soient leurs auteurs ;
  • Prévoyant la mise en place d’une juridiction hybride, nationale et internationale, au sein des tribunaux centrafricains pour juger les auteurs des crimes les plus graves, notamment sur la base des travaux de la Commission nationale d’enquête ;
  • Adoptant une législation spécifique contre les violences sexuelles, notamment pour faciliter l’accès des femmes à la justice, et en coopérant avec la CPI conformément au principe de complémentarité.

La lutte contre l’impunité des auteurs de violations des droits de l’Homme faisait partie des engagements volontaires de la RCA pris à l’issue de son Examen périodique universel en 2009.

Les autorités centrafricaines doivent également :

  • Combattre et sanctionner le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, en accord avec les obligations internationales de la RCA et les recommandations qu’elles a acceptées lors de son premier EPU ;
  • Prendre toutes les mesures nécessaires pour que les arrestations et détentions soient conformes au Code de procédure pénale et aux standards internationaux ;
  • Libérer toute personne arbitrairement arrêtée ou détenue ;
  • Prendre toutes les mesures pour que cessent les actes de torture et de mauvais traitements dans les centres de détention et pour que des enquêtes soit diligentées contre toute personne accusée de s’être livrée à de tels actes ;
  • Fermer tous les centres de détention illégaux ;
  • Établir un plan d’action pour le renforcement de la justice avec le soutien de la communauté internationale ;
  • S’engager sur la voix de l’abolition de la peine de mort, conformément aux résolutions de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples ; et
  • Faciliter et soutenir le travail des ONG de protection des droits humains, des journalistes et des humanitaires sur l’ensemble du territoire.

Il est essentiel d’infliger des sanctions pénales à tous les membres des forces de sécurité et aux éléments Séléka auteurs de violations des droits de l’Homme, en plus des sanctions administratives telles que la révocation. Ce principe, condition sine qua non de la lutte contre l’impunité, avait été accepté par la RCA lors de son EPU, en 2009.

En matière d’élections, les autorités de transition doivent engager dès à présent les mesures nécessaires à l’établissement d’un processus électoral pluraliste, libre et transparent. À cet égard et aux fins de lutte contre l’impunité, les autorités doivent ratifier la Charte africaine sur la démocratie, les élections, la gouvernance ; le Protocole à la Charte africaine sur les droits des femmes en Afrique ; le Protocole à la Charte africaine sur la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (et faire la déclaration à son Article 34.6) ; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés ; et le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.

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