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La justice centrafricaine, un défi titanesque

La justice centrafricaine, un défi titanesque

Dans la salle d'audience poussiéreuse du Tribunal de grande instance de Bangui, une mobylette est garée. Ici, personne n'a été jugé depuis des mois.

En Centrafrique, les criminels vont librement, en toute impunité: il n'y a pas de policiers ou gendarmes pour les arrêter, plus de prison pour les incarcérer et les magistrats vivent la peur au ventre.

"La justice fait son travail, assure pourtant à l'AFP la toute nouvelle Garde des Sceaux Isabelle Gaudeuille. Le problème c'est que nous n'avons pas les moyens de la faire appliquer".

"Chaque jour, le procureur ouvre des enquêtes, des dossiers sont bouclés, des auteurs des crimes identifiés, des mandats d'arrêt émis mais il n'y a personne pour nous amener les criminels et les locaux de la gendarmerie sont saturés, explique-t-elle. La justice est une chaîne et s'il manque des maillons, cela ne peut pas fonctionner."

Selon la Croix-Rouge centrafricaine, plus de 1.100 personnes ont été tuées par balles ou à l'arme blanche depuis le 5 décembre à Bangui, en dépit du déclenchement de l'opération militaire française Sangaris, censée restaurer, aux côtés de la force africaine Misca, la sécurité dans le pays plongé dans le chaos depuis un coup d'Etat en mars 2013.

"La situation de la justice, c'est que tous les magistrats du pays se sont réfugiés à Bangui, qu'ils n'ont pas été payés depuis 5 mois et que le procureur doit compter sur une vingtaine d'officiers de police judiciaire pour enquêter sur des centaines de meurtres !", explique Florent Geel, directeur Afrique de la Fédération internationale des Droits de l'homme (FIDH), en mission à Bangui.

"Nos partenaires internationaux nous ont fait des promesses mais nous n'avons pas reçu un sou, déplore Mme Gaudeuille. Les forces de sécurité restent embryonnaires, les magistrats font leur travail à pied, ils sont menacés et ne sont pas protégés, et leurs cabinets manquent des fournitures élémentaires".

Le procureur général de la République Eric Tambo explique à l'AFP que, comme la plupart de ses collègues, il ne vit plus chez lui. "Le 20 janvier, ma maison a été pillée après une attaque à la roquette" raconte-t-il, rappelant qu'en novembre, le directeur général des services judiciaires avait été tué et un autre magistrat gravement blessé le 9 février. Le même jour, un parlementaire avait été assassiné.

Principal magistrat sur le terrain à Bangui, le procureur près le Tribunal de grande instance, Ghislain Grésenguet, bénéficie quant à lui d'une escorte armée pendant la journée. "La nuit, je m'en remets à Dieu", dit-il.

Considérée comme la priorité des priorités, la Maison d'arrêt de Bangui, la seule prison du pays, devrait rouvrir ses portes lundi après avoir été sommairement réhabilitée. D'une capacité de 500 places, elle avait été fermée le 22 janvier après une attaque armée ayant permis l'évasion de tous les détenus, et devrait désormais être placée sous la protection de la force africaine Misca.

Mais, s'interroge la ministre de la Justice, "qui va sécuriser le Palais de Justice quand les audiences reprendront ? Qui filtrera les entrées ?".

En province, la situation est pire: "il n'y a actuellement aucun magistrat en poste dans l'arrière-pays", confirme la Garde des Sceaux, qui travaille à la mise en place, avec le concours de la FIDH, d'une "juridiction spécialisée pour les crimes de sang qui ait compétence sur l'ensemble du territoire".

"Il faut mettre un terme au sentiment d'impunité, insiste-t-elle. Le discours d'ouverture et de dialogue est dépassé, maintenant il faut réprimer".

Pour Florent Geel, "l'impunité est une véritable gangrène et constitue une des causes du conflit" en Centrafrique. Selon lui, la FIDH avait "déjà identifié lors de précédentes rébellions en 2002, 2003 et 2004 de nombreux responsables d'exactions qu'elle retrouve en 2013 et 2014".

"Ils n'ont pas été traduits en justice et ont encore repris les armes pour tuer, piller et s'accaparer les richesses des populations. Il faut mettre un terme au règne de l'impunité en Centrafrique si l'on veut espérer la paix un jour dans ce pays", souligne-t-il.

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