Le président ougandais, Yoweri Museveni, a promulgué, lundi 24 février, une loi controversée qui durcit la répression de l'homosexualité. Les relations homosexuelles sont déjà passibles de la prison à vie en Ouganda, mais cette législation, adoptée à une écrasante majorité le 20 décembre par le Parlement, interdit également toute « promotion » de l'homosexualité, criminalise le soutien aux homosexuels et rend obligatoire la dénonciation de quiconque s'affichant homosexuel. Les détails de la loi anti-homosexualité de 2014 (en PDF).
L'activisme des organisations internationales de défense des droits humains a permis de bloquer pendant deux ans et demi le vote de cette loi, et pourrait avoir joué dans le retrait de la peine capitale dans l'éventail des sanctions qu'elle prévoit. Mais au vu de la dureté de la législation, des organisations non gouvernementales et des Etats craignent qu'elle ne lance une véritable chasse aux sorcières.
DÉLATION ET INCITATION À LA HAINE
« La loi en Ouganda est extrêmement dure. Non seulement les pratiques homosexuelles sont réprimées et condamnées, mais la loi oblige les personnes qui auraient tendance à être tolérantes vis-à-vis des pratiques homosexuelles, à faire de la délation », commente Drissa Traoré, vice-président de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).
« Pour le moment, les termes de la loi sont assez vagues et ils ne prendront tout leur sens qu'une fois qu'elle sera appliquée. Mais la loi rend tout le monde complice et nous craignons qu'il y ait à nouveau une chasse anti-homosexuelle en Ouganda », ajoute Guillaume Bonnet, chargé de campagnes pour l'organisation All Out, qui mobilise deux millions de personnes dans le monde.
Ces craintes se voient confirmées par la publication, mardi 25 février, en « une » du tabloïd ougandais Red Pepper, d'une liste des « 200 principaux homos d'Ouganda » présumés, en majorité des personnes n'ayant jamais fait état publiquement de leur orientation sexuelle. Parmi elles, un responsable d'une association de défense des minorités sexuelles, un prêtre catholique, une rappeuse renommée et une militante connue de la cause homosexuelle.
« Cette liste montre bien l'autre impact de la loi, qui est de valider indirectement les attaques, les meurtres et la haine anti-homosexuelle », précise Guillaume Bonnet.
Les homosexuels ougandais avaient déjà été victimes d'une chasse après qu'un autre tabloïd ougandais eut publié, en octobre 2010, les identités de cent supposés homosexuel(le)s, sous le titre « Pendez-les ». La campagne de haine qui s'était ensuivie s'était soldée par la mort tragique, en janvier 2011, de David Kato, figure de la cause homosexuelle dans le pays, assassiné à son domicile.
DÉCOURAGER LES ORGANISATIONS DES DROITS HUMAINS
Ces craintes sont renforcées par la pénalisation des soutiens, ou « alliés », des personnes reconnues comme homosexuelles, aux termes de la clause 13-12. Cette clause vise notamment les organisations qui soutiendraient des homosexuels et prévoit le retrait de leur permis d'exploitation ainsi que la condamnation de leur dirigeant à sept ans de prison.
Aucune poursuite judiciaire n'a encore été engagée mais des menaces sont déjà proférées. « Les organisations qui se sont prononcées contre cette loi sont vues comme des traîtres à la nation », indique Hassatou Ba, chargé du dossier Afrique à la FIDH. La loi les oblige désormais à travailler dans la clandestinité.
La pénalisation pourrait toucher un cercle plus grand d'organisations. « Tout le problème de cette clause est qu'elle est très large. Qui va être visé ? Ça peut être les organisations qui s'occupent des détenus, celles qui fournissent des soins de santé et luttent contre le VIH, celles qui travaillent dans l'aide juridique. C'est une véritable boîte de Pandore », s'inquiète Mme Ba.
Dans le pays, il existe quelques organisations défendant la cause homosexuelle et d'autres généralistes, qui prennent en charge les personnes vulnérables. « Les autres organisations pourraient être découragées de défendre les droits des homosexuels », s'inquiète-t-elle.
LA PÉNALISATION INÉDITE DES ENTREPRISES
Plus intriguante est la mention faite dans cette clause des entreprises. « C'est la première fois que je vois une telle mention dans une loi. Il y a un flou juridique sur l'appellation et le type de délit concerné », indique le vice-président de la FIDH.
« Cette mention peut servir à éviter que les entreprises dirigées par des personnes ouvertement homosexuelles ou soutenant la cause homosexuelle ne leur apportent leur soutien », suggère M. Traoré. Parmi les deux cents personnalités ayant été ciblées par le tabloïd Red pepper figurent des chefs d'entreprise locaux.
L'organisation All Out considère que cette clause « pourrait expulser de facto tout entreprise internationale d'Ouganda si celle-ci venait à protéger ses employés gays ou lesbiennes, ou défendre publiquement les droits des gays et lesbiennes. »
Car, précise Guillaume Bonnet, « les multinationales ont parfois des protections plus avancées pour leurs employés que les lois nationales. » Or, de nombreuses multinationales sont implantées dans le pays.
« Il n'y a pas eu à ma connaissance d'entreprises qui se soient prononcées pour sponsoriser la cause homosexuelle en Ouganda », précise M. Traoré. Mais le soutien appuyé de la compagnie américaine Google aux militants de la cause homosexuelle en Russie lors des Jeux olympiques de Sotchi, en mettant la page d'accueil de son moteur de recherche aux couleurs de la cause homosexuelle, pourrait avoir échaudé les autorités ougandaises.
MOBILISER LES ÉTATS, LES ENTREPRISES ET LES LEADERS RELIGIEUX
L'organisation All Out, qui a déjà recueilli 200 000 signatures sur une pétition destinée aux gouvernements, multinationales et leaders religieux, attend des gouvernements du monde entier qu'ils adaptent leurs relations diplomatiques avec l'Ouganda pour pousser à l'abrogation de la loi.
« On ne peut rester silencieux alors que l'Ouganda attache une cible sur tous les citoyens gays et les soumet au chantage. Les leaders religieux, comme le Prix Nobel de la paix sud-africain, Desmond Tutu, doivent démonter la racine de ces lois anti-gay et rappeler que l'homosexualité a toujours existé en Ouganda », leur enjoint Guillaume Bonnet, qui pointe le rôle néfaste joué par les évangélistes américains qui ont voyagé en Ouganda au cours des dernières années.
Pour Drissa Traoré, plus que des pressions extérieures sur le sommet de l'Etat, qu'il juge « contre-productives », il faut agir auprès de la société civile et notamment des organisations de défense des droits humains pour qu'elles s'impliquent dans la cause homosexuelle et fassent évoluer les mentalités par le bas.
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